Jeudi 7 octobre, dix jours avant l’assassinat du professeur d’Histoire-Géographie Samuel Paty, la principale du Collège du Bois d’Aulne à Conflans-Sainte-Honorine, où il enseignait, avait reçu des messages anonymes envoyés sur la boîte mail de l’établissement. « Face au climat actuel de la France où un climat d’islamophobie s’est installé, pourquoi cherchez-vous à diviser en plus dès le plus jeune âge ? », disait l’un d’entre eux.

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Le lendemain, la principale recevait le père d’une élève de 13 ans particulièrement mécontent qu’une caricature du prophète Mohammed ait été montrée par Samuel Paty dans le cadre d’un cours sur la liberté de la presse.

Islamophobie et sentiment de stigmatisation

Selon une note du renseignement émise avant l’attentat et à laquelle La Croix a eu accès, ce père d’élève semblait « mettre à profit cette situation pour dénoncer une ’islamophobie ambiante’». Il était accompagné au collège par Abdelhakim Sefrioui, un militant islamiste connu des services de renseignement depuis les années 1980, d’abord pour des troubles à l’ordre public puis, plus récemment, pour « des questions en lien avec la radicalisation », comme le formule une source au sein du renseignement.

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Tous les deux ont été placés en garde à vue après l’attentat, avec neuf autres personnes. À ce stade, aucun lien entre eux ou leur entourage et l’assaillant n’a été établi. Les investigations sont en cours sur ce point.

Depuis l’assassinat du professeur de Conflans Saint-Honorine, « plus de 80 enquête» ont été ouvertes pour haine en ligne et des interpellations ont eu lieu, a explique le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin lundi 19 octobre sur Europe 1. Il a affirmé vouloir dissoudre plusieurs associations dont le Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF).

Au ministère de l’intérieur, on estime que « des questions se posent » au sujet des personnes ou des structures qui luttent contre l’islamophobie et produisent « un discours victimaire qui engendre le harcèlement sur les réseaux sociaux et favorise un sentiment de stigmatisation chez certains musulmans ».

La vidéo dans laquelle le père d’élève relate sa version de « l’incident » et appelle à « dire stop, touchez pas à nos enfants » a été très relayée sur les réseaux sociaux, notamment via des structures proches d’Abdelhakim Sefrioui, comme la mosquée de Pantin.

L’influence d’Abdelhakim Sefrioui

Ce dernier avait d’abord fait parler de lui dans les années 1980 pour des questions de troubles à l’ordre public. Bernard Godard, spécialiste de l’islam au ministère de l’intérieur entre 1997 et 2014, se souvient de ses tentatives de pression sur les responsables politiques des Ulis pour favoriser la construction d’une mosquée et, plus tard, de ses actions pour exclure l’imam Hassen Chalgoumi de sa mosquée de Drancy, à cause de son soutien à la loi interdisant le voile intégral.

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« Abdelhakim Sefrioui et son entourage étaient plein de haine, proches de certains milieux d’extrême droite, antisémites et négationnistes, relève Bernard Godard, mais ils n’ont jamais été des délinquantset encore moins des terroristes, mais des agitateurs. Ils intéressaient les renseignements territoriaux du coin, mais peu la DGSI, parce qu’ils s’en tenaient à des actions légales, sans commettre aucun délit ».

Longtemps, les services les ont aussi considérés comme marginaux. C’est devenu de moins en moins vrai après la création par Abdelhakim Sefrioui du collectif Cheikh Yassine (du nom du fondateur du Hamas, tué par Tsahal en 2004) et l’organisation de manifestations pro palestiniennes. « Dans les Yvelines comme en région parisienne, certaines mosquées sont depuis quelques années tenues par des personnes plus jeunes, qui sont davantage sensibles au discours d’Abdelhakim Sefrioui, principalement sur l’islamophobie », décrit une source au sein du renseignement. Pour lui, la popularité de celui-ci tient également à la faiblesse des institutions représentatives de l’Islam, en particulier du Conseil des institutions musulmanes des Yvelines (Cimy).

Abdelhakim Sefrioui affirmait d’ailleurs, dans une autre vidéo très relayée sur les réseaux sociaux avant l’attentat, être « membre du bureau des imams de France ». Cette association de fait a condamné l’attentat dans un communiqué, précisant « se désolidariser de tout ce qui a été dit en notre nom ». À La Croix, son secrétaire général, Dhaou Meskine, indique qu’Abdelhakim Sefrioui est exclu du bureau depuis 2015.