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À dix-huit mois de la présidentielle, les Verts se bricolent un attachement à la République
Pantin, France le 22 aout dernier.
© Christophe Morin / IP3 Press / Maxppp

À dix-huit mois de la présidentielle, les Verts se bricolent un attachement à la République

Réappropriation culturelle

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Les déclarations de Yannick Jadot sur la sécurité et la laïcité ont rappelé que les écologistes, qui souhaitent ouvertement exercer le pouvoir, peinent sur les thèmes régaliens. À la recherche de crédibilité, le parti entend se réapproprier la notion de République pour en défendre sa propre version.

Derrière la microcacophonie, un débat existentiel pour Europe Écologie-Les Verts (EELV). Mi-septembre, Yannick Jadot, candidat déclaré pour l’élection présidentielle, a planté le décor en abordant ouvertement des sujets sur lesquels les écolos sont d’ordinaire peu diserts : la sécurité (« Il y a une violence qui se banalise »), la laïcité (« Il faut faire le ménage dans les associations »), la montée de l’islamisme (« Des groupes tentent de remettre en question la sécularisation, de sortir des lois de la République au nom d’une idéologie ou de principes religieux. C’est inacceptable. »). Des propos tenus dans l’Obs et agrémentés d’un pavé lancé dans la petite mare des Verts : « Le burqini, ça n’a rien à faire dans une piscine ! » De quoi déclencher un petit psychodrame. Plusieurs responsables écolos se sont désolidarisés de cette pique en direction d’Éric Piolle, maire vert de Grenoble et candidat putatif à la présidentielle, suspecté d’être complaisant envers les militantes d’Alliance citoyenne, une association qui avait organisé des actions coups de poing dans les bassins de sa ville.

Indigénisme et penseurs décoloniaux

La polémique est vite passée, mais elle soulève une question plus profonde : ces écolos qui souhaitent présider aux destinées de la République… sont-ils républicains ? Ces derniers temps, la référence à la République est devenue un mantra. Emmanuel Macron, autrefois chantre de la « start-up nation » n’a désormais que l’unité de la nation, la souveraineté et la laïcité à la bouche. Face à ce retour d’un discours patriotique axé sur les thèmes régaliens, les Verts peuvent apparaître en décalage. Ils ont soutenu la marche contre l’islamophobie en novembre 2019. Leur tête de liste aux municipales à Rennes prônait une « écologie qui ne soit pas que blanche mais verte et populaire » reprenant les poncifs de l’indigénisme. Plusieurs penseurs décoloniaux étaient invités aux Journées d’été du parti à Pantin. Déjà évoqué, Éric Piolle a également été entraîné dans une polémique sur la sécurité, le ministère de l’Intérieur, Gérald Darmanin, l’ayant accusé de laxisme.

Les sorties de Yannick Jadot ne s’inscrivent donc pas dans un contexte neutre. En privé, le député européen ne fait pas mystère de ses intentions : « Si j’avance si fort sur le régalien, c’est pour dire que, si on ne rassemble pas autour de ce qui fait société, le pacte républicain, si la société ne règle pas ses fractures, il n’y aura pas de transition écologique » confie-t-il. Comme si les Verts étaient encore trop immatures sur ces enjeux. « Le confort consiste à éviter les sujets compliqués, qui peuvent créer des dissensions entre nous avoue un cadre du parti. Mais qui peut imaginer faire une campagne présidentielle en occultant la laïcité, le “vivre ensemble”, l’immigration ? Quelqu’un qui ne veut pas gagner. Or la majorité des écolos ne réfléchissent pas à ces sujets. » Peut-être un signe : alors qu’EELV dispose de pas moins de 31 commissions thématiques, pas une seule n’est consacrée à la laïcité. L’eurodéputé David Cormand reconnaît à demi-mot le manque d’appétence de son parti pour ces thématiques : « Certaines forces politiques ont un intérêt objectif à installer le champ de bataille sur ces sujets-là. À EELV, on pense que nos libertés individuelles sont davantage menacées par l’extinction massive des espèces ou le numérique que par trois femmes qui mettent un burqini. »

Marseillaise et défilé militaire

L’histoire des Verts, parti libertaire, fédéraliste et décentralisateur, ne le prédestine pas vraiment à la défense de la République indivisible. L’ex-eurodéputé Alain Lipietz se remémore les « affrontements très durs avec Jean-Pierre Chevènement » quand tous cohabitaient au sein du gouvernement de la gauche plurielle, à la fin des années 1990. « Le soutien aux régionalismes et le droit à l’autodétermination sont dans l’ADN des écolos » poursuit le vétéran du parti. En matière de symbolique, on se souvient également de la proposition d’Eva Joly, candidate EELV à la présidentielle en 2012, visant à supprimer le défilé militaire du 14-Juillet pour le remplacer par un «défilé citoyen ». Julien Bayou, aujourd’hui secrétaire général du parti, avait proposé de modifier les paroles « belliqueuses » de la Marseillaise après les attentats de janvier 2015.

Soucieux de se bâtir une crédibilité, les Verts s’attachent néanmoins à convaincre qu’ils peuvent être à la hauteur en dehors de leur zone de confort. « Cessons d’intérioriser ces injonctions au régalien et assumons notre propre grammaire » a martelé Julien Bayou lors du conseil fédéral du 19 septembre. Le patron des Verts s’agace des critiques et les renvoie à leurs propres turpitudes : «Un petit microcosme s’autopersuade que nous ne serions pas crédibles. Si la seule manière de l’être, c’est de gueuler “sécurité” le plus fort, c’est sûr qu’on n’est pas comme ça. Darmanin joue les matamores et fait notre procès ? Nous, on demande plus de moyens humains et une police de proximité. » Sur RMC, Éric Piolle défendait la même ligne en juillet : « Depuis l’arrivée de Nicolas Sarkozy à l’Intérieur en 2002, la police nationale a été brisée en termes d’effectifs et de formation. Il y a une urgence à réinvestir avec de la présence humaine. » Sur la laïcité, Bayou contre-attaque aussi, réaffirmant son « attachement à la loi de 1905 » qu’il affirme relire régulièrement, au contraire des « experts en carton qui désinforment ». « Nous assumons de ne pas céder à la démagogie et de ne pas instrumentaliser la laïcité pour stigmatiser les musulmans avance le secrétaire général. Que l’on combatte l’islamisme radical, évidemment, c’est une menace pour la République. Mais si des personnes veulent combattre les musulmans, elles doivent assumer que ce n’est pas ça, la laïcité. »

Vision girondine

Le malentendu tient peut-être au fait que la référence à la République, en France, se conjugue avec le jacobinisme. En plus de l’attachement aux principes républicains (liberté, égalité, fraternité, laïcité), elle implique une défense de l’indivisibilité du territoire, de la souveraineté nationale, d’un universalisme insistant sur le commun plutôt que les minorités. Autant de notions qui donnent de l’urticaire aux Verts. « On se distingue d’autres traditions, mais ça ne veut pas dire qu’on est moins républicains ! argumente David Cormand. Historiquement, la République s’est construite dans une approche jacobine, centralisée, unificatrice voire uniformisatrice. Notre vision est plutôt girondine : pour nous, la République est le moyen de faire vivre ensemble des gens différents. »

Fait peu relevé, EELV s’était allié aux autonomistes corses pour les élections européennes.

Les Verts sont ainsi des régionalistes convaincus : leur projet est à terme de transformer la France en un État fédéral, grâce à « la promotion des cultures et langues minoritaires de l’espace français » mais aussi à « l’obtention pour les régions à identité particulière d’un statut administratif propre ». Fait peu relevé, EELV s’était allié aux autonomistes corses de Gilles Simeoni durant la campagne des élections européennes. Les quinze communes ayant le plus voté pour les Verts se trouvaient sur l’île de Beauté. Fédéralistes à l’intérieur du territoire français, les Verts le sont également à l’échelle du continent, et défendent avec constance la dilution de la souveraineté française dans le cadre d’une Union européenne aux pouvoirs renforcés. « Certains posent comme postulat que l’écosystème naturel de la démocratie ne pourrait être que l’État-nation avance David Cormand. Ça se discute. Il y a d’autres espaces où a vocation à s’exprimer la souveraineté populaire. » Même s’il reconnaît que l’UE est « une démocratie inachevée » l’écologiste estime qu’il est dans « l’intérêt objectif des États de s’appuyer sur l’UE pour pouvoir disposer d’une souveraineté qu’ils n’ont pas, n’ayant pas la masse critique nécessaire pour l’exercer».

Plus globalement, les Verts rejettent la notion de République vue « comme un bloc » assimilant autour d’une culture unique. « On peut appartenir à plein de communautés différentes, des communautés culturelles, historiques revendique Éric Piolle. Je suis basco-béarnais, je le resterai toute ma vie et j’entretiens ces racines. Pourtant, on a un rapport direct à la France. » Alain Lipietz appuie : « La défense des minorités fait partie de notre bagage spontané. La République a cette tradition d’utilisation perverse de l’universalisme pour faire perdurer les injustices. Quand on s’est battus pour la parité hommes-femmes en 1995, on s’était déjà heurtés aux universalistes républicains ! » Les écolos reprochent aux républicains de proclamer une égalité abstraite et hors-sol. « Certains veulent accaparer la République, en font un argument d’autorité pour défendre une vision figée alors qu’elle est née pour lutter contre les conservatismes » tance David Cormand. En somme, les Verts ambitionnent de faire du triptyque liberté-égalité-fraternité un programme, là où certains n’y voient qu’une devise, pour reprendre le bon mot d’Edgar Roskis, journaliste du Monde diplomatique décédé en 2003. Reste à savoir si une République française fédérale privée de souveraineté est le meilleur moyen pour y parvenir.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne