Aux Etats-Unis, Beethoven victime de la « cancel culture »

- Publié le 7 octobre 2020 à 13:19
Photo : Wikipédia
Un musicologue et un journaliste américains prétendent que « les personnes au pouvoir, en particulier les hommes blancs et riches » auraient érigé la Symphonie n° 5 en « symbole de leur supériorité et de leur importance », renvoyant à un sentiment d'exclusion les autres communautés raciales et sexuelles. Explications... et démenti.

Ce devait être une fête, une ode à la joie mondialisée sur tous les tons de la fraternité : 2020, année Beethoven, s’est transformée en crash test planétaire de la vie musicale. Comme si l’outrage pandémique ne suffisait pas, l’auteur de Fidelio est désormais victime de la cancel culture, mouvement né outre-Atlantique, dont la vague ne tarde pas à gagner nos rivages.

L’étincelle de la polémique est partie d’un article et d’un podcast publiés sur le média en ligne Vox, par le musicologue Nate Sloan et le journaliste Charlie Harding. Leur cible ? La Symphonie n° 5, que « les personnes au pouvoir, en particulier les hommes blancs et riches » ont érigée en « symbole de leur supériorité et de leur importance ». Accrochez-vous, c’est pas fini : « Pour certains, dans d’autres groupes – femmes, personnes LGBTQ +, personnes de couleur – la symphonie de Beethoven peut être principalement un rappel de l’exclusion et de l’élitisme dont est porteuse l’histoire de la musique classique. » Car en exigeant du public, par la complexité de son langage, une écoute plus attentive que par le passé, la 5e aurait imposé de nouvelles normes dans l’organisation du concert : « Ne pas tousser ! » ; « Ne pas applaudir ! ; « S’habiller de façon appropriée ! » Autant de « signifiants de la classe bourgeoise » qui, finalement, font de la Symphonie n° 5 « “un mur” entre la musique classique et un public nouveau et divers ».

Fichtre ! On pourrait évidemment balayer d’un revers de main de telles inepties, s’agissant d’une des œuvres les plus populaires de tout le répertoire, donc une des plus inclusives. Une œuvre subversive, aussi, qui exprime mieux qu’aucune autre l’esprit de la Révolution, s’inspirant ouvertement de ses chants. Une œuvre que la Résistance n’avait pas pour rien choisie comme emblème pendant la Seconde Guerre mondiale. Essayons plutôt de comprendre ce que révèle un tel naufrage de la pensée.

Jeans et baskets

Il révèle tout d’abord – mais hélas ! nous n’en doutions pas – que notre domaine artistique est victime de préjugés désespérément tenaces, jusque dans les milieux académiques. S’il enseigne à l’Université de Californie, cela fait sans doute quelques lunes que M. Sloan n’a pas mis les pieds dans une salle de concert. Sans quoi il aurait pu y constater que « l’étiquette sociale » qu’il dénonce s’est depuis belle lurette assouplie, qu’en fait de « tenue appropriée » le public mélomane préfère souvent autant qu’ailleurs les jeans et les baskets. En bon historien, il devrait aussi se rappeler qu’à l’époque même de Beethoven, les spectateurs n’étaient pas avares de leurs applaudissements ; un critique ayant assisté à la création de la 9e a ainsi parlé de « l’enthousiasme délirant du public », l’exécution ayant été saluée par cinq rappels.

Cette tentative de déboulonner la statue de Beethoven nous dit aussi que la notion d’exigence en art, au lieu d’être vue comme une condition nécessaire, est désormais entachée d’une connotation négative. Or, comme le travail ou la discipline, l’exigence est largement répandue parmi les musiciens classiques, peut-être davantage que dans d’autres univers artistiques. L’exigence est le socle de l’apprentissage de tout instrument. Elle est le carburant indispensable à la mécanique de l’orchestre symphonique. L’exigence rend possible le tour de force – physique, intellectuel – que représente un récital de chant ou de piano. Et si l’exigence est aussi requise dans l’écoute, matérialisée par le cérémonial du concert, c’est que les secrets des plus grands chefs-d’œuvre, en musique comme dans les autres arts, ne se percent pas sans un minimum d’effort et de concentration. Oui, mais voilà : dans un monde où tout ce qui n’est pas cool est suspect, l’exigence nous est devenue un fardeau.

Patrimoine de l’humanité

Enfin, une confirmation : les antiracistes, les antisexistes, les antihomophobes sont souvent les meilleurs – ou plutôt les pires – pourvoyeurs des maux qu’ils prétendent combattre. Non, Beethoven n’est pas un compositeur blanc, mâle, hétérosexuel. Beethoven est un compositeur universel, patrimoine de l’humanité entière. Beethoven est une femme, noire, pourquoi pas lesbienne. Assimiler un tel génie à une seule catégorie de la population et prétendre que les autres, renvoyées à un sentiment d’exclusion, ne peuvent s’approprier son œuvre : si ça c’est pas de la discrimination…

MM. Sloan et Harding aiment-ils vraiment la musique ? Ou croient-ils, comme bon nombre de nos contemporains, que Beethoven est le nom d’un adorable saint-bernard ? Car comme chacun sait, qui veut noyer son chien…

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