Robert Badinter rend hommage au "courage tranquille" de Samuel Paty

Robert Badinter, ancien garde des Sceaux ©AFP - Joel Saget
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Robert Badinter, ancien garde des Sceaux ©AFP - Joel Saget
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L'ancien garde des Sceaux, Robert Badinter, est invité à l'occasion de la journée d'hommages à Samuel Paty, enseignant assassiné par un terroriste islamiste à la sortie de son collège de Conflans-Saint-Honorine.

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"C'est, encore une fois, le visage du terrorisme islamique, qui se montre à nous", se désole Robert Badinter. "En cette période de deuil national, je tiens à saluer la mémoire d'un homme qui est à sa manière pour moi un héros tranquille. Dans le corps enseignant aujourd'hui, il y a des femmes et des hommes qui s'exposent pour nous, pour la République, qui tiennent bon les valeurs essentielles sans lesquelles la République n'existe plus, nous n'avons aucune chance de connaitre le bonheur de vivre dans un État de liberté. Ce sont eux les vrais combattants de la liberté."

"C'est un héros de la liberté, un héros tranquille, anonyme, un héros comme il y en a tant, mais qu'il soit salué, qu'on se taise, qu'on rende hommage, qu'on ne se déchire pas autour de projets de lois."

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"La question à cet instant n'est pas là, elle est d'abord dans le témoignage que la Nation doit rendre, de reconnaissance à ces femmes et ces hommes qui assument une fonction si difficile sans lesquels nous ne pourrions plus espérer vivre dans la liberté, on ne le dira jamais assez", selon l’ancien garde des Sceaux. "On a beaucoup parlé de la noblesse du métier d'enseignant, moi j'ai le privilège d'appartenir à cette communauté là aussi, mais ce n'est pas ici une question de noblesse et de dignité, c'est une question de courage tranquille. En dépit de toutes les menaces, du terrorisme islamique, de tous ceux qui voudraient supprimer la liberté, moi je continue, à ma place, à dire aux enfants : voilà le chemin de la vérité, le chemin de la République."

"Difficile d'inférer d'un cas particulier que nous connaissons mal, le parcours de ce garçon, une dimension générale"

Les enseignants sont-ils trop seuls pour défendre ces principes ? "Je ne crois pas que [les enseignants] soient seuls, je crois qu'ils se sentent menacés, mais seuls non, les parents d'élèves, les élèves eux-mêmes, la communauté toute entière est là, ce n’est pas la solitude. Samuel Paty a exercé sa profession avec dignité, courage, mais lucidement je pense. C'est une raison de plus pour l'admirer, l'honorer. Ce n'est pas la solitude, la solitude à l'intérieur de la communauté d'enseignants, elle n'existe pas. Ce qui est tragique, c'est qu'il y ait ces filières de haine, qui ainsi s'en prennent à des femmes et des hommes qui exercent dignement les plus hautes fonctions qui soient dans la République."

Sur le profil du tueur, âgé de 18 ans seulement : est-ce qu'il n'y pas là quelque chose qu'on a raté ? "Difficile d'inférer d'un cas particulier que nous connaissons mal, le parcours de ce garçon, une dimension générale", tempère Robert Badinter. "Il a eu un parcours chaotique difficile, tombé dans l'islamisme radical… Comment l'a-t-on élevé, qui l'a élevé, quels sont les mauvais maîtres qu'il s'était donné, c'est là où git la première responsabilité. Lui est mort dans un acte de barbarie, mais qu'est ce qui peut conduire un adolescent vers un tel acte? Il considère que c'est un devoir divin : là vous êtes dans une forme d'aliénation complète. Donc la responsabilité, je le pense, doit être étendue à ceux qui sont les co-auteurs intellectuels, les complices de cet acte."

"Ce sont des champions de la mort, et nous sommes pour la vie"

Mais y‘a-t-il eu une escalade facilitée par les réseaux sociaux ? "Les réseaux sociaux, c'est une collectivité anonyme", balaye-t-il. "Ici, ça commence par un propos d'une fillette de 13 ans, qui n'a même pas assisté à l'enseignement en question, c’est un non-dit, et la flammèche de la haine s'allume, et puis c'est le père, puis le prédicateur, et pour finir lui, à 70 km de là. Qu'est ce que c'est que ce réseau de haine ? Ça se répand, ça se propage jusqu'à la mort, ce sont des doctrines de mort, et c'est ça la menace la plus vive. Ce sont des champions de la mort, et nous sommes pour la vie. À 18 ans, il y a bien d'autres choses à faire que de penser à décapiter un enseignant pour un propos qu'on ne connaît pas, alors qu'on ne l'a jamais vu !"

Quelle réponse peut-on leur opposer ?

"Dans ce cas précis, où il s'agit du terrorisme islamique le plus violent et le plus intégriste, la réponse a été donnée par le recteur de la Grande mosquée, les imams de Bordeaux, Drancy et ailleurs encore, qui ont rappelé ce qui doit être entendu : que la religion musulmane n'est pas une religion de haine, de mort, c’est une des religions issues du livre et donc une religion d'amour."

"On ne saura jamais assez rappeler à la communauté musulmane que aujourd'hui dans le monde, plus de 80% des victimes du terrorisme islamique sont des musulmans", rappelle Robert Badinter. "C'est à l'égard de ces prêcheurs de haine, de ces fanatiques, que la réaction la plus importante doit venir de la communauté musulmane. C'est pour cela que je salue la parole du recteur et de ses imams, c’est la plus efficace. C'est de chez eux et de la volonté d'appartenir à la communauté nationale que tout en définitive dépend."

"Nous ne manquons pas de moyens ni de défenses de l'État de droit, ni d'actions"

Faut-il légiférer pour l'exemple quitte à rogner sur les libertés ? L’ancien ministre de la Justice est catégorique : "Nous sommes dans un État de droit, dans la communauté actuelle, dans lequel nous avons des garanties qui n'existaient pas jadis : nous avons le Conseil constitutionnel, la Cour européenne des droits de l'homme… Le cadre juridique existe, les juristes ont toujours amélioré la porté des textes, c'est bien, mais nous ne manquons pas de moyens ni de défenses de l'État de droit, ni d'actions. C'est moi qui ait fait ouvrir à tous les Français l'accès à la Cour européenne des droits de l'homme, ça n'existait pas avant 1981. Nous avons ces garanties, peut on ajouter quelque chose ?"

"Le problème n'est pas là aujourd'hui, il est dans le cœur et la tête des jeunes gens. C'est un jeune homme qui a tué au nom de Dieu, ce qui est monstrueux pour les croyants, un homme qui n'avait qu'à accomplir sa mission d'enseignant, c'est là où l'horreur du crime nous renvoie à l'intensité du dévoiement réalisé par ces faux prédicateurs."

Voit-il pour autant des raisons d'espérer ? "C'est vrai que l'époque est cruelle, et peut-être terrible, et c'est vrai que nous sommes face à une très grave crise sanitaire et que nous allons connaître une crise économique, sociale, et peut-être même politique. Raison de plus pour avoir une foi absolue dans les principes de la République qui sont les nôtres. On ne dira jamais assez qu'il faut vaincre ou mourir. Nous avons un État de droit et une vision de la République qu'il faut maintenir à tout prix. L'épreuve sanitaire est indiscutable, les dispositions prises sont temporaires et liées à cette épreuve sanitaire. Ce n'est pas pour autant que le gouvernement s'en prend aux libertés, puisque ce sont les médecins eux-mêmes qui voient leurs moyens limités et la menace augmenter. Ce n'est pas un volonté liberticide, mais l'état de nécessité sanitaire."

"On ne parle pas de perdre espoir, et encore moins la jeunesse. Ça n'a pas de sens, ce qu'il faut se répéter, c'est ce trésor dont nous avons hérité, qui s'appelle la République, avec ses garanties, sa liberté, son droit à l'expression pour chacun, c'est cela le trésor qui nous a été légué après des siècles de combat."

"Il faut veiller dessus et ne pas s'agiter en demandant des lois, toujours des lois… Dieu sait que je le ai aimées, mais au-delà, il y a ce pourquoi ce professeur est mort : l'amour de la liberté et le respect des autres."

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