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Le Lausannois Pierre Morgon l'assure: «L’armée chinoise utilise déjà notre vaccin contre le Covid-19»

Pierre Morgon, pharmacien de formation, travaille pour l’entreprise chinoise CanSinoBio dont le vaccin candidat contre le Covid-19 est dans le groupe des 11 qui sont les plus avancés. Elle prévend déjà des millions de doses en attendant les résultats des essais cliniques en cours sur l’homme. Selon lui, l’industrie pharmaceutique chinoise joue déjà dans la cour des grands

Pierre Morgon. — © Zornitsa Ivanova
Pierre Morgon. — © Zornitsa Ivanova

Sur son site internet, l’entreprise chinoise CanSinoBio annonce avoir signé le 15 octobre un accord de prévente de 35 millions de doses de vaccins contre le Covid-19 avec le Mexique. La livraison serait étalée sur une année à partir de la fin de 2020. «La sécurité et la qualité de notre vaccin ont non seulement été vérifiées lors des phases I et II des essais cliniques, mais sont aussi reconnues par les autorités sanitaires de nombreux pays», s’est félicité à cette occasion Xuefeng Yu, le patron de l’entreprise sise à Tianjin, ville à 150 km au sud-est de Pékin. Outre le vaccin candidat contre le Covid-19, CanSinoBio, 600 employés, en compte 16 en développement, notamment contre Ebola. Sa capitalisation boursière à Hongkong s’élevait mercredi à 11,4 milliards de dollars.

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A 8250 km plus loin, à Lausanne donc, Pierre Morgon ne cache pas sa satisfaction. Le Franco-Suisse et vice-président de CanSinoBio est l’homme qui est chargé de la promotion et de la vente de son vaccin. Selon l’Organisation mondiale de la santé, celui-ci est l’un des 11 candidats qui sont en essais cliniques de phase III. C’est l’étape qui précède, en cas de succès, l’homologation, puis la production et la distribution en masse. En Chine même, le vaccin a été enregistré auprès des autorités chinoises des brevets et patentes en août. Pierre Morgon, 57 ans, pharmacien de profession (Université de Lyon), mais qui a aussi étudié le droit (Lyon) et le management (Essec, Paris), explique au Temps son parcours, présente son employeur chinois et raconte son engagement dans la lutte contre le Covid-19.

Le Temps: Comment en êtes-vous arrivé à travailler pour CanSinoBio?

Pierre Morgon: Je connais le patron de l’entreprise, Xuefeng Yu, depuis de longues années; nous avons travaillé ensemble il y a vingt ans au sein de l’entreprise française Pasteur Mérieux rebaptisée aujourd’hui Sanofi Pasteur. Il a fait appel à moi l’an dernier où moment où il préparait une deuxième entrée en bourse à Shanghai, après Hongkong. Dans un premier temps, j’avais une fonction de directeur non exécutif. Depuis janvier, je suis le patron des opérations internationales. Je m’occupe de promouvoir les portefeuilles en développement de l’entreprise.

Que faites-vous plus précisément?

Je passe mon temps à négocier avec des diplomates et gouvernements qui veulent accéder à notre vaccin. Il s’agit de pays qui n’ont pas de vaccin candidat ou qui ne disposent pas de facilités de production. Le Covid-19 ne donne pas de signe de vouloir disparaître; nous avons même l’impression qu’il va se transformer en virus saisonnier et rester avec nous. Le Mexique est le dernier pays avec lequel nous avons signé un contrat de prévente, mais il y en a aussi d’autres avec lesquels nous avons négocié différents types de contrats. Il s’agit de procédures courantes lorsque le vaccin est encore en essais cliniques de phase III. Mais CanSinoBio, comme d’autres entreprises chinoises, a déjà obtenu l’autorisation d’utilisation d’urgence. L’armée chinoise, qui est notre partenaire pour le vaccin contre le Covid-19, l'a inoculé à plusieurs milliers de militaires, plus particulièrement ceux qui sont engagés dans les services à l’étranger, dans des missions de maintien de la paix de l’ONU par exemple. En Chine, notre vaccin, mais aussi d’autres, est utilisé dans le cadre de procédures d’urgence, par exemple pour les travailleurs des ports ou encore là où le virus refait son apparition.

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Où en êtes-vous précisément avec votre vaccin? Quand sera-t-il disponible?

Les essais cliniques sur l’homme sont en cours. Nous avons fait appel à 40 000 sujets randomisés dont la moitié à qui a été inoculé notre vaccin, l’autre moitié utilisant un placebo. L’échantillon est international. Les pays impliqués sont le Mexique, le Pakistan et la Russie. L’Argentine et le Chili seront parties prenantes bientôt. D’autres pays d'Afrique et d'Asie du Sud-Est, notamment, y participent aussi, mais je ne peux pas dévoiler leur nom à ce stade. Les essais ont commencé en septembre et nous attendons des résultats préliminaires en janvier. La bonne nouvelle est qu’à ce stade il n’y a pas eu de contre-indication.

D’où vient votre motivation personnelle?

J’ai fait ma carrière dans les vaccins. Ils protègent contre des maladies infectieuses. Les premières cibles sont les enfants, qui sont les plus vulnérables.

Ne craignez-vous pas de vous faire traiter de «traître» qui aide les Chinois…

Je m’en moque totalement. Des gens travaillent dans des centrales nucléaires, d’autres vendent des armes, et encore d’autres exportent des pesticides qui sont interdits dans leur propre pays. Pour ma part, je suis un passionné de la santé publique et toutes mes activités sont dans ce domaine.

Peut-on faire confiance à un vaccin chinois?

(Rires). Bien sûr. Par rapport au nôtre, je suis conscient de tout le travail, des investissements et de la patience qu’il a exigés pour arriver au stade actuel. Je connais les conditions de fabrication. Il n’y a aucun doute au niveau de la qualité. Il est comparable à tout produit pharmaceutique qui sort d’entreprises occidentales. Dans le passé, quelques scandales ont certes éclaboussé le secteur en Chine. Mais le gouvernement chinois, qui investit pour que le pays devienne un champion en la matière, avait pris des sanctions extrêmement dures et exemplaires. Aujourd’hui, les standards internationaux s’appliquent. Je peux affirmer que la pharmacopée chinoise est plus exigeante qu’en Europe ou aux Etats-Unis. Du reste, vous devriez savoir que la Chine est un grand fournisseur mondial de médicaments et de matières premières médicales. D’autres entreprises chinoises sont également très avancées dans la mise au point d’un vaccin contre le Covid-19. La Chine est aussi un membre de Covax, la plateforme mise en place par l’OMS pour assurer l’accès aux vaccins contre le Covid-19 dans les pays en développement.

Les Etats-Unis et l’Europe ne seraient-ils pas récalcitrants à recourir à un ou des vaccins chinois?

Les Etats-Unis, oui. Le fossé politique et idéologique entre Washington et Pékin se creuse un peu plus chaque jour. Songer à un vaccin chinois, ce serait reconnaître les capacités chinoises, ce que les Américains ne voudront pas faire. En revanche, en Europe, c’est tout à fait envisageable. En réalité, plusieurs pays sont intéressés par notre vaccin. Des autorités européennes, mais aussi américaines, ont déjà inspecté nos installations à Tianjin. Nos clients potentiels européens veulent attendre le résultat des essais cliniques de la phase III avant de se positionner. Je dois dire que CanSinoBio est une entreprise qui fonctionne à l’occidentale. Ses principaux dirigeants ont fait carrière à l’étranger avant de revenir au pays.

Comment qualifieriez-vous l’antagonisme entre les Etats-Unis et la Chine?

Pour ma part, il ne devrait pas y avoir de limite politique à l’accès aux soins. Mais on le voit, cette pandémie et l’éventuel vaccin sont instrumentalisés à des fins politiques. Il est évident que les enjeux économiques et de pouvoir sont énormes. Ça ne devrait pas être le cas puisque nous parlons de la santé humaine.

Et enfin: «Nous souhaitons mettre à disposition notre vaccin à un prix raisonnable»