Covid-19 : "On a pris des décisions trop tardives, on risque de le payer très cher"

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Covid-19 : "On a pris des décisions trop tardives, on risque de le payer très cher"

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Pour la première fois depuis mai, en France, le nombre total de malades du Covid-19 actuellement en réanimation a dépassé lundi soir la barre des 2 000. Photo à l'hôpital Bichat, à Paris, le 9 octobre 2020.
Pour la première fois depuis mai, en France, le nombre total de malades du Covid-19 actuellement en réanimation a dépassé lundi soir la barre des 2 000. Photo à l'hôpital Bichat, à Paris, le 9 octobre 2020.
© Maxppp - Arnaud Dumontier / Le Parisien

Entretien. Demain, un "certain nombre de départements basculeront en alerte maximale et sous couvre-feu pour un certain nombre d'entre eux", a annoncé le porte-parole du gouvernement. Le professeur Lescure, de l’hôpital Bichat, regrette de ne pas avoir été écouté cet été et craint pour les prochains jours.

Des départements et des métropoles supplémentaires vont être classés jeudi en catégorie "alerte maximale" dans le cadre de l'épidémie de Covid-19, a annoncé ce mercredi le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal. Cela se traduira par l'instauration d'un couvre-feu dans certaines nouvelles zones que précisera le Premier ministre, Jean Castex, ce jeudi à 17 heures, lors d'une conférence de presse avec plusieurs ministres dont celui de la Santé, Olivier Véran. Depuis samedi dernier, l'Ile-de-France et huit métropoles sont déjà soumises à un couvre-feu qui interdit toute activité entre 21 heures et 6 heures, alors que la pandémie connaît un regain d'activité dans toute l'Europe. (visualisez ici les métropoles françaises et les couvre-feux ou possibilités)

Les contaminations au coronavirus s'étendent en France : pour la première fois depuis le mois de mai, le nombre total de malades en réanimation a dépassé la barre des 2 000 lundi soir (19 octobre). Quelques jours plus tôt, le 16 octobre, le taux d'incidence avait dépassé le seuil d'alerte maximal dans 22 départements (soit plus de 250 nouveaux cas sur sept jours pour 100 000 habitants). Ce taux était seulement de 10 la semaine précédente et de 1 la semaine d'avant, selon les données disponibles sur Santé publique France.

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Entretien avec le professeur Xavier Lescure, médecin spécialiste en maladies infectieuses à l’hôpital Bichat et chercheur à l'Inserm, invité de notre journal de 12h30 ce mercredi.

Xavier Lescure : "On a pris des décisions trop tardives, on risque de le payer très cher."

4 min

Nous sommes aujourd'hui encore loin en réalité du fameux pic au cours duquel 7 000 malades étaient hospitalisés en réanimation, au printemps dernier. Pour autant, diriez-vous que nous sommes déjà submergés dans une seconde vague de l'épidémie ?

Submergés, je ne sais pas. Mais la particularité de cette "deuxième vague" est qu'elle est de façon assez paradoxale encore plus difficile à contenir que la première fois. Il y avait un espèce d'élan collectif de la première vague. Là, on a l'impression qu'on a une sorte d'usure, de fatigue et de sidération collective sur cette "deuxième vague", avec finalement le retard pris par tout ce qui est non Covid qu'on était en train de gérer. Et donc, on a une intrication beaucoup plus forte du Covid et du non Covid, et donc on est beaucoup moins solide sur la capacité à absorber le Covid. 

Et puis les équipes sont fatiguées. Tout cela fait que nous ne sommes pas submergés, mais on est plus fragile que la première fois de façon assez paradoxale. On a appris des leçons, mais on s'est aussi beaucoup fatigué. 

"Le gros souci est qu'on a l'impression que la prise de conscience ne se fait que quand les patients arrivent en réanimation"

Un des indicateurs les plus inquiétants, peut être, c'est le nombre de cas graves qui font leur entrée chaque jour dans les services de réanimation. Plus de 150 quotidiennement, 278 hier. Peut-on s'attendre à ce que ce nombre augmente encore ces deux prochaines semaines ? 

Clairement, oui. Nous sommes arrivés sur une phase exponentielle et au dernier critère de gravité sur le plan sanitaire de la maladie : la saturation des réanimations. Quand on prend une décision sanitaire sur cette épidémie, on voit son impact à 2, 3 semaines. Donc, on a encore 10 bonnes journées à tenir avec un rythme qui devient exponentiel, qui est assez infernal, qui sature les systèmes au niveau des urgences, de l'accueil des urgences, des réanimations. 

Le gros souci aujourd'hui est qu'on a l'impression que la prise de conscience, au niveau de la population comme au niveau politique, ne se fait que quand les patients arrivent en bout de course, c'est-à-dire en réanimation. 

J'avais été un de ceux qui avaient alerté mi-août parce que, justement, le premier critère était en train de se saturer au niveau des structures de traçage et d'isolement, c'est-à-dire les CPAM, les Caisses primaire d'assurance maladie et les ARS, les agences régionales de santé, qu'on voyait déjà saturées. On les voyait déjà avoir du mal à contenir les cas, les clusters. Eh bien, rien n'a été fait ou très peu de choses. Les gens étaient en vacances, on le comprend, mais il n'y a pas eu de changement de comportement. Il n'y a pas eu de décision pour anticiper cette vague de réanimations et aujourd'hui, je pense qu'on a pris des décisions trop tardives et qu'on risque de le payer très cher au niveau sanitaire et au niveau sociétal. Parce que dès que vous touchez aux mesures les plus strictes et les plus restrictives sur le plan sociétal, vous impactez très fortement l'économie et la psychologie des populations. 

Ma grosse difficulté aujourd'hui est que nous étions certains à alerter dès mi-août pour justement éviter toutes ces conséquences en cascade.

Les chiffres du Covid-19 au 20 octobre 2020
Les chiffres du Covid-19 au 20 octobre 2020
© Visactu

Que faut-il faire alors ? L'épidémie est au plus haut, on l'a vu ces dernières semaines dans certaines métropoles depuis la rentrée. Mais elle s'étend désormais dans d'autres régions. Faut-il alors songer à instaurer des mesures restrictives dans d'autres zones, de type couvre-feu par exemple ?  

C'est une possibilité. Aujourd'hui, on est soit dans le rouge, soit dans le rouge écarlate. Et une des difficultés, c'est vrai, est que nous n'aurons pas ou très peu de possibilités de renforts d'autres régions. Il faut donc dans cette anticipation être très vigilants, particulièrement dans les zones rouge écarlate, mais aussi dans les zones qui sont roses ou rouges. 

Le gros problème, c'est l'adhésion de la population et les conséquences économiques. Tout cela est très difficile à pondérer. Mais il est certain que plus on prend du retard sur les décisions sanitaires, plus elles auront un impact économique. 

La situation sanitaire depuis le 17 octobre 2020.
La situation sanitaire depuis le 17 octobre 2020.
© Visactu
La Méthode scientifique
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