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Des responsables musulmans appellent à un sursaut : "On a encore plus de retard qu'en 2015"
VALENTINA CAMU / HANS LUCAS via AFP

Des responsables musulmans appellent à un sursaut : "On a encore plus de retard qu'en 2015"

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Vendredi 16 octobre, Samuel Paty, professeur d'histoire-géographie, a été assassiné pour avoir montré des caricatures du prophète Mahomet à ses élèves. Imams et historiens rappellent que la caricature n'est en rien une interdiction religieuse édictée par le coran, mais bel et bien par les islamistes intégristes.

Chaque jour, le discours qu'il tient met sa vie en danger. Hassen Chalghoumi, imam de Drancy, le dit sans ambages, il milite pour un "islam des Lumières", contre l'intégrisme. C'est à ce titre qu'il est sous protection policière 24 heures sur 24 depuis près de douze ans. Cibles de menaces récurrentes de la part d’islamistes radicaux, les membres de sa famille se sont expatriés à l'étranger, changeant d'identité. "Si je n'étais pas protégé, il me serait arrivé la même chose qu'à Samuel Paty depuis bien longtemps", lâche l'imam. "La violence doit cesser, ce n'est pas ce que prône l'islam", poursuit-il. Soutien indéfectible de Charlie depuis 2006, Hassen Chalghoumi appelle les musulmans au sursaut face à la "barbarie de l'islamisme radical". Plusieurs imams, recteurs de mosquée et historiens se placent sur la même ligne. Ils demandent aux musulmans d'"ignorer les caricatures" et de respecter la liberté d'expression ainsi que de "blasphème".

Vendredi 16 octobre, Samuel Paty, professeur d'Histoire-géographie dans un collège des Yvelines est mort. Mort pour avoir enseigné la liberté d'expression et celle de critiquer une religion. Il avait osé montrer des caricatures du prophète Mahomet dessinées par les journalistes de Charlie Hebdo, eux-mêmes visés par un attentat meurtrier le 7 janvier 2015. Eux avaient osé dessiner un prophète, se moquer d'une religion.

"Appel aux musulmans pour la publication des caricatures"

"Beaucoup de musulmans pensent qu'il est interdit de dessiner le prophète. Ce n'est pas vrai", fulmine Nasser Ferradj, fondateur du collectif des musulmans progressistes et laïques. "J'ai publié à plusieurs reprises des représentations du prophète qui démontrent clairement qu'il ne s'agit pas d’une interdiction religieuse édictée par le Coran, mais d'une interdiction récente prônée par les islamistes".

"Beaucoup de musulmans pensent qu'il est interdit de dessiner le prophète. Ce n'est pas vrai", fulmine Nasser Ferradj, fondateur du collectif des musulmans progressistes et laïques.

Le théologien Mohammed Bajarfil abonde dans le même sens. "Coraniquement parlant, il n’est écrit nulle part que celui qui caricature ou insulte le prophète doit être tué". D'après le théologien, le prophète Mahomet est à de nombreuses reprises, insulté, vilipendé ou encore "traité de fou" dans le livre sacré. "Il n'a pourtant jamais été question de glaives ou de kalachnikovs", tranche-t-il. Mohammed Bajarfil évoque bien le droit musulman (aussi connu sous le nom de la Charia), mais rappelle que ce dernier a été élaboré plusieurs siècles en arrière dans un contexte d'empire et de société bien éloignée de celle du XXIème siècle. "Dans ce droit musulman, une jurisprudence selon laquelle toute personne qui insulte le prophète mérite d'être tuée est belle est bien développée", rapporte-t-il. Et d'ajouter : "Ces décisions émanaient davantage de sorte de tribunaux que de décision individuelle", souligne le théologien.

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Outre le débat religieux sur le sujet des caricatures, le recteur de la mosquée de Bordeaux Tareq Oubrou, rappelle que si l'islam "interdit le blasphème aux croyants", "nous vivons tous dans un Etat de droit". Pour le recteur de mosquée bordelais, il est nécessaire que les musulmans défendent cette liberté de critiquer la religion, de s'exprimer. "La liberté de blasphémer nous permet celle de croire en notre religion", explique-t-il. C'est d'ailleurs en ce sens que Nasser Ferradj, le fondateur du collectif des musulmans progressistes et laïques invite les fidèles de l'islam de France à publier des caricatures ou des représentations du prophète. "Pas forcément celle de Charlie s'ils ne les aiment pas, mais peut-être celles issues du monde Ottoman", précise-t-il.

Nécessité de "contrer" le discours islamiste

Au-delà de l'appréciation, il faudra peut-être de la pédagogie et avec, du temps avant qu'une majorité de musulmans ne se décident à publier des dessins ou caricatures de leur prophète. A l'occasion de l'ouverture du procès des complices de l'attentat du 7 janvier 2015, où 12 personnes ont été assassinées, la rédaction de Charlie Hebdo a fait le choix de republier les caricatures début septembre ("Tout ça pour ça"). D'après un sondage Ifop commandé par l'hebdomadaire lui-même, et publié en en septembre dernier, 69% des sondés musulmans et 47% des moins de 25 ans considèrent que cette republication est une "provocation inutile". Toujours dans le même sondage, à la question : "En général, faites-vous passer vos convictions religieuses avant les valeurs de la République ?", 40% des sondés musulmans répondent positivement.

"Ils ont le droit de considérer qu'il s'agit d'une provocation inutile, même si le propre d'une caricature est de choquer, de provoquer", rétorque Tareq Oubrou, le recteur de la mosquée de Bordeaux. "Il y a quand même un fossé entre penser cela et tuer une personne", poursuit-il. La deuxième partie du sondage évoquée par Marianne fait tiquer le recteur. "Dire que la loi de dieu est supérieure à celle de la République me choque profondément. C'est un vrai problème", se désole celui qui chaque jour dit faire "ce qu'il peut" pour élever les consciences lors de ses prêches.

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Expliquer, démonter les préjugés au sujet de Charlie Hebdo qui serait "d’extrême droite", "contrer le discours islamiste qui infuse", c’est ce que s’attèle à faire chaque jour l’imam Hassen Chalghoumi dans sa mosquée Al-Nour à Drancy (Seine-Saint-Denis). "Parfois, j’ai des fidèles qui viennent me voir en me disant ‘Je ne suis pas Charlie’", raconte-t-il auprès de Marianne. La réponse de l’imam ? "Etre pédagogue, montrer les caricatures faites à l’égard des autres religions…" Un travail de fourmi, sur le long terme auquel croit profondément Hassen Chalghoumi mais qui peut parfois décourager tellement il demande de patience. "Nous aussi on sensibilise auprès des jeunes dans les quartiers populaires, dans les écoles ou encore dans les prisons", assure Nasser Ferradj du collectif des musulmans progressistes et laïques. "Autant dire une goutte d’eau au milieu de l’océan". De son côté, le recteur de la mosquée de Bordeaux, Tareq Oubrou appelle les imams à la responsabilité "face aux croyances populaires".

"Confronter" l'islam à une pensée critique

Avec quelles solutions ? D’après le théologien Mohammed Bajarfil il faudrait "lire le Coran à la lumière de notre contexte sociétal de 2020". Objectif : apporter des modifications aux libertés individuelles qui sont pour l’heure encore soumises à un temps lointain. Pour l'imam de Drancy, l'Etat doit être "ferme" à l'égard de ceux qui prêchent une parole érronée basée sur l'émotion ou l'islam politique. "Voyez en 2015, lorsque des enfants ont refusé de faire une minute de silence pour Charlie, c'est là qu'il fallait agir, punir et convoquer les familles pour comprendre ce qu'il se passait. Désormais, on a encore plus de retard qu'en 2015". Mais, Nasser Ferradj prévient : "Il ne s'agit pas seulement de nous endormir avec de la poudre de perlimpimpin en fermant le CCIF. Derrière ça, il faut voir qui parle au plus grand nombre de musulmans en France..." Les islamistes ou les 'progresistes'? "Après le constat, il serait peut-être bien de déployer un certain nombre de politiques publiques en cohérence qui permettent que notre discours soit plus soutenu. Et non un discours qui donne l'impression aux gens que ce sont des querelles de chapelle".

Dans les solutions à apporter à l'islam en ces temps, une thèse fait consensus, tant auprès de l’imam de Drancy, Hassen Chalghoumi, que du recteur de la mosquée de Bordeaux, Tareq Oubrou, ainsi que Nasser Ferradj. L'islam doit être "confrontée à une pensée critique" en son sein et par la même vivre une sécularisation. Et pour cause : d’après Jacqueline Chabbi, elle n’y a encore jamais fait face. "Le judaïsme comme le christianisme ont été, à travers des schismes internes douloureux, soumis à la critique", expliquait-elle dans un entretien à Libération en 2016. "Qu’il s’agisse de l’archéologie ou de l’histoire des mentalités, de nouveaux savoirs ont exploré le passé afin de séparer le mythique de l’historique. Adam est devenu le premier homme du mythe, pas celui des historiens ou des anthropologues. Force est de constater que le travail accompli par les universitaires sur le religieux et son historicité dans le judaïsme et le christianisme n’a guère touché l’islam jusqu’à présent". Problème d’après l’historienne : "le discours critique ne peut se dire à l’intérieur de l’islam, sauf à encourir les foudres de responsables religieux, voire politiques. On reste dans une histoire sacrée, encombrée de tabous et d’interdits".

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne