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Femmes

Démission de Laurent Habib : comment #BalanceTonAgency fait trembler le monde de la publicité

Accusé de harcèlement sur le compte Instagram #BalanceTonAgency, le très influent Laurent Habib a démissionné de la présidence de l'AACC. En attendant un changement de gouvernance, l'association des agences-conseil en communication vient de voter pour une présidence assurée en intérim par Bertille Toledano (Présidente BETC) et David Leclabart (Président Agence Australie).

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Portrait de Laurent Habib

Laurent Habib a démissionné de la présidence d'AACC, Association des agences-conseil en communication

SIMON ISABELLE/SIPA

Accusé de harcèlement sur le compte Instagram #BalanceTonAgency, le très influent Laurent Habib a présenté mardi 13 octobre sa démission de la présidence de l'AACC. En attendant un changement de gouvernance, l'association des agences-conseil en communication qui regroupe à ce jour plus de 200 entreprises a voté hier pour une présidence assurée en intérim par Bertille Toledano (Présidente BETC) et David Leclabart (Président Agence Australie).

"Les membres du bureau réunis hier matin ont décidé à l’unanimité de confier le porte-parolat et l’intérim de l’association à Bertille Toledano, en tant que Présidente, et David Leclabart, en tant que Trésorier, pour porter les engagements et nouveaux projets de l'AACC", fait savoir le bureau de l'AACC dans un communiqué datant du 21 octobre. "Le bureau des juniors, très impliqué dans les travaux, est en collaboration étroite avec cette démarche", ajoute-t-il.

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"Un grand ponte de la publicité"

Trois semaines après sa création, le compte Instagram #BalanceTonAgency est déjà suivi par plus de 29.000 abonnés. "Ici on dénonce les abus. Sexisme, racisme, homophobie harcèlement sexuel et moral dans la publicité", annonce le compte dans sa description. En une story créée la semaine dernière portant pour titre "AACC", ce compte a récolté de nombreux témoignages dénonçant les agissements de Laurent Habib, décrit par la créatrice du compte qui souhaite garder l'anonymat comme "un grand ponte de la publicité".

En mai 2018, le président fondateur de l'agence de publicité Babel a en effet été élu membre du Conseil exécutif du Medef, pour un mandat de trois ans. Passé auparavant par Havas France, Laurent Habib a fondé l'agence indépendante Babel en 2012, qui compte aujourd’hui 200 salariés. Il enseigne par ailleurs les stratégies de communication à l’Université Paris I, et a été nommé président de l’AACC en juin 2017 après en avoir été vice-président exécutif. La créatrice de #BalanceTonAgency évoque le poids de son réseau, notamment dans la sphère politique. "Il disait être très ami avec Dominique Strauss-Kahn, et il s'en vantait".

"Lourdeurs"

Au lendemain de l'annonce de sa démission, le président fondateur de l'agence Babel a envoyé un long courriel en interne à l'ensemble de ses salariés, que Challenges s'est procuré. "J'ai lu ou parcouru les nombreux posts de BalanceTonAgency", explique celui qui se ferait "plus discret". "J'y reconnais beaucoup de choses que j'ai dites ou faites, parfois en pensant faire preuve d'esprit, et je constate avec effroi qu'elles ont blessé des femmes, créé des malaises, fragilisé des jeunes personnes qui découvraient le patron de leur agence en se demandant sans doute quelle attitude avoir. Je leur demande sincèrement pardon". Il évoque également "beaucoup de mensonges", met en avant son côté "latin, complimenteur et parfois bonimenteur", reconnaît des "lourdeurs", tout en affirmant qu'il n'a jamais franchi "de ligne jaune". 

Pour la créatrice de #BalanceTonAgency qui a été victime d'un burn-out après avoir cumulé plus de dix ans d'expérience dans la publicité, le fait d'avoir "fait démissionner Laurent Habib en trois jours" est "évidemment une victoire". D'autant qu'elle intervient après le retrait de Julien Casiro, fondateur de l'agence Braaxe, lui aussi mis en cause nommément pour ses "comportements déplacés" par le compte Instagram. "Pour être précis, Julien Casiro s’est volontairement mis en télétravail le temps qu’aboutisse l’enquête interne en cours", précise l'agence. Cette enquête interne est réalisée par un cabinet indépendant et sera achevé début novembre. "Durant cette période, BRAAXE a souhaité prendre les devants et se faire accompagner par l’entreprise sociale JUMP et par l’Institut WOMENSAFE. La société proposera à ses salarié.e.s, cadres et dirigeant.e.s, au cours des prochaines semaines, des formations, des sensibilisations, des ateliers et la création en commun d’une Charte", ajoute l'agence.

"Nous avons enfin été entendus", fait en tout cas savoir celle qui a déjà recueilli plus de vingt témoignages à l'encontre de Laurent Habib. Elle n'exclut pas par ailleurs le lancement prochain d'une action en justice et s'apprête à publier sur son compte la vidéo d'une victime qui a accepté de témoigner "à visage découvert".

"Réveil nécessaire"

Même constat pour Christelle Delarue qui a créé Les Lionnes après les révélations de la "Ligue du Lol", soit la première association française qui lutte contre le sexisme dans la publicité et la communication. "Nous pensons que cette démission de Laurent Habib est une victoire pour toutes ces femmes victimes depuis de nombreuses années". Cette démission est "le symbole d'une industrie qui peut avancer, ce réveil est nécessaire et il est temps de faire tomber ces dogmes et ces totems".

Mais elle estime que la démission de Laurent Habib à la présidence de l'AACC ne suffit pas. Elle réclame au Medef de regarder le sujet avec attention. "Il y a deux ans, nous en étions au stade de l'éveil, avec une libération de la parole. Depuis trois semaines, nous assistons à un réveil", fait-elle savoir. Au sein de son association, ces nouvelles révélations ont en effet entraîné une hausse de 98% des appels. "Nous avons davantage de noms et des dossiers qui arrivent actuellement, nos bénévoles ont du mal à tenir le rythme", fait-elle savoir. Si dans trois à six mois, rien n'est en place, Christelle Delarue n'exclut pas non plus de préparer une action en justice collective. 

Lire aussiComment fonctionne Les Lionnes, l'association contre le sexisme dans la publicité

Problème de gouvernance

Suite à la publication d'un communiqué jugé "très limite" par l'instigatrice du compte #BalanceTonAgency le 14 octobre "regrettant cette décision personnelle" de Laurent Habib, l'AACC s'est réunie ce mardi 20 octobre pour acter la présidence par intérim de Bertille Toledano, présidente de BETC et David Leclabart, président d'Australie. Le temps de mettre en place une nouvelle élection qui aura lieu "idéalement" d'ici à la fin de l'année. "Les patrons d'agence sont évidemment tous bouleversés par les témoignages de #BalanceTonAgency", fait savoir David Leclabart, qui assure que le syndicat répondra bien aux questions des parties prenantes. "Nous souhaitons profiter de cette crise pour régler le problème de gouvernance de l'AACC, afin que ce syndicat professionnel créé en 1972 devienne plus opérant, et peut-être même plus collectif". Cette présidence par intérim envoie "un bon signal", estime Christelle Delarue des Lionnes, qui a présenté cette semaine le plan d'action de son association auprès de l'AACC pour "renverser le modèle de l'industrie publicitaire actuelle, afin qu'elle devienne plus moderne et plus inclusive". 

En pleine tempête, Bertille Toledano soutient que l'AACC doit aujourd'hui être "une force de progrès" et inclure plus de diversité dans sa gouvernance, "en s'ouvrant aux jeunes et de la diversité". Harcèlement, violence, égalité hommes/femmes, mais également environnement sont les enjeux de transformation dont veut se saisir ce tandem. Leur lettre d'engagement, afin que "chaque patron d'agence s'en saisisse" a été publiée sur le site de Stratégies. La présidente de BETC minimise toutefois le rôle de l'AACC qui, selon elle, ne peut pas tout. "On peut, on peut plus, mais on ne peut pas tout, il y a une part de responsabilité qui doit être exercée par chacun", soutient-elle. Pour Christelle Delarue qui attend la mise en manoeuvre de son plan d'action par l'intérim de l'AACC, se pose encore la question des victimes des agissements de son ancien président au sein de l'AACC. "Dès l'annonce de la démission de Laurent Habib, nous avons reçu le témoignage de femmes victimes au sein du syndicat, que faire aujourd'hui de ces victimes?".

Pour la créatrice de #BalanceTonAgency, la démission de Laurent Habib a sérieusement écorné l'image du syndicat, qui a perdu "en crédibilité". Christelle Delarue réclame par exemple un meilleur maillage entre les institutions, les entreprises et les associations au sein de l'AACC. "Tous les patrons d'agences sont les bienvenus, la résistance et la rébellion est de rester à l'AACC", estime pour sa part Bertille Toledano, faisant référence au communiqué de l'agence Rébellion qui a décidé de quitter le syndicat ce 19 octobre, portée par une "envie de bâtir autre chose sur de nouvelles bases plus saines". "En période de crise, il est bien plus facile de prendre la poudre d'escampette", regrette-t-elle. Une chose est sûre, le tandem porté par Bertille Toledano et David Leclabart qui prépare activement les états généraux de la publicité a pour ambition d'"aller très vite". 

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