L’ambiance est bon enfant, mais n’occulte pas les propos, parfois très durs, échangés sous le regard accommodant des adultes présents. 150 adolescents de 15 à 20 ans, ont participé à deux jours de discussions sur le thème de la religion à Poitiers, à l’appel de la Fédération des centres sociaux de France. La rencontre était prévue depuis plusieurs mois déjà mais revêt soudainement un caractère brûlant, quelques jours après l’assassinat de Samuel Paty.

Des jeunes remontés contre l’interdiction des signes religieux

Pour briser la glace, les encadrants de la journée (animateurs de centre sociaux et d’éducation populaire) enjoignent aux jeunes, dont la plupart se définissent comme musulmans, à se positionner autour d’une question simple : « Vivre ma religion en France, est-ce compliqué ? ». Les adolescents – en joggings baskets pour les garçons, jean et gros pull pour les filles – doivent répondre en se rangeant en deux groupes distincts selon leur opinion. Le sondage est sans appel : 90 % des jeunes présents estiment qu’il est difficile de vivre sa religion en France.

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L’interdiction de porter des signes religieux visibles à l’école, ainsi que « les préjugés sur les musulmans » sont les deux points invoqués par ceux qui expriment leur malaise : « À l’école, je ne peux pas faire mes prières à l’heure, je dois enlever mon voile et puis il y a toute l’islamophobie ambiante depuis les attentats, c’est pesant. Nous, on a rien à voir avec ça », plaide par exemple une jeune fille, aux cheveux voilés d’un tissu noir.

En face, Chaïma, une Toulousaine de 15 ans se lance pour porter la contradiction : « Faut arrêter ! Avec mes parents, on a toujours pu aller à la mosquée tranquillement. Je pense que vous voudriez être dans un pays musulman, avec l’appel à la prière et tout ça. Mais on est dans un pays laïc ici », défend-elle. Sur cette ligne, elle est rejointe par Evelin, lycéenne strasbourgeoise. « En France, la religion n’est ni interdite, ni encouragée, contrairement à d’autres pays. »

« Interdiction du blasphème »

Les encadrants (1), manifestement mal à l’aise sur le terrain religieux, bifurquent sur la question des discriminations, encourageant les jeunes à extérioriser les humiliations dont ils auraient été victimes. « La laïcité est censée vous permettre de pratiquer votre religion librement et vous protéger des discriminations, mais malheureusement elle est mal appliquée », leur explique Clément Soriat, l’un des animateurs de la journée. Ce sera l’unique repère donné pour expliquer ce concept clé.

Pourtant, les jeunes semblent perdus face à cette notion abstraite, qui, à les écouter, ne s’incarne dans leur quotidien que comme une « répression » de leur identité et de leurs particularismes religieux. En somme, comme un paravent bien commode à « l’islamophobie », croient-ils comprendre. « Les médias véhiculent une version de la laïcité qui les arrange et qui n’a rien à voir avec la liberté, l’égalité ou la fraternité », grince Gabriel, un étudiant costaud et gouailleur. La plupart des jeunes présents regrettent que la religion « soit devenue aussi taboue en classe » et plaident, notamment pour faire tomber les préjugés sur l’islam, pour un retour du religieux à l’école. Sous toutes ses formes.

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Ainsi parmi les propositions élaborées au cours de la journée, on trouve l’autorisation des signes religieux ostentatoires dès le lycée, la création de temps d’échange sur les religions en classe, mais aussi l’interdiction du blasphème, au motif que ces discussions ne devraient pas dépasser les limites posées par les traditions religieuses de chacun.

« Par exemple, Charlie Hebdo ne respecte pas les musulmans, pour nous c’est une insulte. Ce prof (Samuel Paty, NDLR) savait qu’il allait froisser des croyants en montrant des caricatures. Donc ce qui lui est arrivé, il l’a en quelque sorte cherché, non ? », s’interroge, hésitante, sans prendre conscience de la portée de ses propos, une jeune lycéenne de région parisienne. À la sortie de la journée, certains jeunes expriment leurs désaccords. « Pour moi, cet enseignant a eu raison, juge Tina, élève de terminale en Dordogne. Il cherchait juste à préparer les esprits au fait qu’il y a des formes d’irrespect dans le monde qui n’en sont pas pour d’autres. Il ouvrait des portes. » La jeune fille, qui se destine à une carrière de professeur d’histoire, espère pouvoir dans quelques années, exercer son métier « librement ».

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Droit de réponse

La Fédération des Centres Sociaux de France et celle de la Vienne, organisatrices de la rencontre de jeunes qui s’est tenue à Poitiers du 19 au 23 octobre, souhaitent réagir à l’article d’Héloïse de Neuville publié sur le site Internet de La Croix le 23 octobre.

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(1) La Fédération des centres sociaux de France, organisatrice de la rencontre a mandaté pour organiser la journée des intervenants de l’association La boîte sans projet, spécialiste de l’éducation populaire.