Cette année, les étudiants auront connu une scolarité éprouvante. Entre le confinement au printemps dernier, une rentrée en distanciel et désormais le couvre-feu, ils sont nombreux à affirmer qu’en effet, pour reprendre la phrase d’Emmanuel Macron, «c’est dur d’avoir 20 ans en 2020».

Faut-il s’inquiéter de la santé mentale des jeunes? Marie Rose Moro, professeure de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’université Paris Descartes, essayiste et co-auteure de l’ouvrage Grandir c’est croire (Bayard), répond aux questions du Figaro.

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LE FIGARO -. Dans quel état psychologique les étudiants se trouvent-ils aujourd’hui?

Marie Rose MORO -. Globalement, je trouve que les jeunes, des adolescents aux étudiants de 25 ans, se portent bien. Nous n’assistons pas à une vague déferlante de jeunes dans les services de psychiatrie, venus consulter en raison de difficultés psychologiques liées à l’épidémie. Le confinement, le distanciel, le couvre-feu leur pèsent. Mais ils résistent.

Les étudiants sont-ils passés par plusieurs états psychologiques?

En effet, il y a eu plusieurs phases. Au début de la première vague, les jeunes ont résisté massivement. Malgré l’arrêt brutal de ce qui faisait leur vie scolaire, estudiantine et affective, malgré le confinement imposé à une époque de leur vie où ils cherchent à s’autonomiser, ils ont résisté.

Au début du confinement, nous avons constaté une diminution documentée des tentatives de suicide qui sont un marqueur important de la souffrance à cet âge-là (c’est l’une des premières causes de la mortalité). À partir de la moitié de ce temps de réclusion, les plus vulnérables ont commencé à nous consulter. Leurs symptômes ne faisaient qu’augmenter.

Une fois venu le déconfinement, avez-vous constaté une forme nouvelle de fragilité chez les jeunes?

Après le confinement, nous avons vu réapparaître la symptomatologie telle qu’elle était avant et avec pour certains, des effets du confinement en lui-même en termes de peur de l’extérieur. C’est ce qu’on appelle des «symptômes phobiques»: la peur de l’inconnu par exemple. Nous avons aussi eu aussi des jeunes qui, parce qu’ils ont été coupés du monde, ont été fragilisés et parfois déprimés.

Aujourd’hui, nous constatons une forte demande sur nos services mais une demande qui était déjà là avant l’épidémie. Ce que l’on observe en ce moment, c’est que ce sont les jeunes qui ont mal vécu le confinement de la première vague qui sont les plus fragiles aujourd’hui. C’est principalement eux que nous voyons arriver.

Le fait de penser que les jeunes sont coupables de la contamination peut causer une souffrance 

Marie Rose Moro, professeure de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’Université de Paris

La population jeune s’adapte-t-elle mieux aux transitions?

Oui. Le fait de modifier les relations sociales (se voir moins en vrai mais se téléphoner ou se retrouver en visio): voilà un changement qu’ils ont fait naturellement. De ce point de vue, ils ont plus de ressources que leurs aînés. En revanche, ce qui a été difficile pour les jeunes, c’était la manière dont on les percevait: «ils sont sacrifiés» ; «leur avenir s’est compliqué», pouvaient-ils entendre. La représentation négative qu’on a d’eux et le fait qu’on pense qu’ils sont coupables de la contamination, de la mort des plus âgés, de l’aggravation de l’épidémie… Tout cela a pu causer une souffrance.

D’un autre côté, nous avons observé que les jeunes se sont engagés. Les étudiants en santé, les étudiants médecins, infirmiers et aides-soignants se sont beaucoup investis à l’hôpital. Il y a eu des jeunes qui ont rejoint des associations afin de s’occuper des plus précaires ou des migrants. Cet engagement est une manière pour eux de se protéger, d’être utiles et plus forts. C’est une forme de résistance active. Cela les aide à dépasser l’adversité et leur permet d’affermir leur envie de devenir adulte.

Les jeunes ont-ils peur pour leur avenir?

Pour ceux qui doivent passer le seuil adolescent et se penser adultes, responsables, voir que ceux qui les guident sont dans l’incertitude peut être inquiétant. Cependant, dans notre rapport Bien-être et santé des jeunes (éd. Odile Jacob), nous avions analysé les études sur la vision de l’avenir des jeunes issus de différents pays d’Europe. La France était déjà, avant le Covid, parmi les pays où les jeunes avaient la représentation la plus négative de l’avenir. Bien plus que l’Italie ou l’Espagne dont les crises économiques étaient, à ces périodes, plus importantes.

La dépression chez les jeunes nous inquiète beaucoup 

Marie Rose Moro, professeure de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’Université de Paris

Quels signes les jeunes doivent-ils surveiller afin de comprendre l’état de leur santé mentale?

Parmi les signes principaux, il y a les changements brutaux des comportements (exemple: vous êtes jovial et d’un coup, vous devenez maussade). Ou encore, des changements d’investissement. Si vous observez cela, c’est qu’il y a quelque chose qui se passe à l’intérieur. «J’ai plus envie de rien», «ce qui me plaisait avant ne me plaît plus»: tout cela doit nous alerter.

Ce qui nous préoccupe beaucoup chez les adolescents et jeunes, c’est la dépression dont les signes sont le désinvestissement, la difficulté à dormir, les douleurs dont on ne connaît pas la cause, une humeur qui varie et qui comporte des moments de tristesse mais aussi, des idées suicidaires. Les idées suicidaires sont à prendre très au sérieux à cet âge. Enfin, il y a les signes d’une anxiété: là encore, une difficulté à s’endormir, la boule au ventre, la gorge qui se noue…

Il y aura des effets au long court 

Marie Rose Moro, professeure de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’Université de Paris

L’accès restreint aux facs et aux lieux de convivialité affectera-t-il les plus fragiles?

L’un des endroits où les jeunes peuvent le plus exprimer leur souffrance c’est à l’école, au collège, au lycée ou à l’université en parlant aussi bien avec leurs camarades, qu’avec les professeurs, l’infirmière scolaire ou encore, la psychologue scolaire. Maintenant que ces relations avec l’extérieur sont de plus en plus restreintes, la famille devient le lieu privilégié d’expression des souffrances des jeunes. Lorsqu’ils sont isolés loin de parents comme les jeunes étudiants, cela peut être très difficile et parfois inquiétant.

Faut-il s’attendre à des effets durables sur la santé mentale des jeunes, une fois cette phase d’isolement passée?

Il y aura des effets au long court. C’est pour cela que l’on parle d’«effet générationnel». Cette génération doit vivre avec beaucoup d’obstacles. Mais je crois en leur résistance. Et en l’aide que nous pouvons leur apporter. Il en va de notre responsabilité, médicale mais aussi sociétale et politique: il faut prendre la mesure de la souffrance des jeunes et se dire que non seulement, ce n’est-elle pas tolérable mais qu’en plus, on peut la soulager ou comme disait une de mes patientes, la réparer.