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La «taupe» de la Maison-Blanche tombe le masque

«Anonymous», l’homme qui avait rédigé une opinion explosive sur Donald Trump en septembre 2018 dans le «New York Times», est un ancien chef de cabinet à la Sécurité intérieure

Miles Taylor, avec l’ancienne ministre à la Sécurité intérieure, Kirstjen Nielsen. — © AP / Alex Brandon
Miles Taylor, avec l’ancienne ministre à la Sécurité intérieure, Kirstjen Nielsen. — © AP / Alex Brandon

Le mystère est enfin levé. L’homme derrière la tribune dévastatrice sur le fonctionnement de Donald Trump, publiée en septembre 2018 dans le New York Times,n’est autre que Miles Taylor, un ancien chef de cabinet à la Sécurité intérieure. Le texte, anonyme, avait fait l’effet d’une bombe et provoqué une frénétique chasse à la taupe au sein de la Maison-Blanche. A quelques jours de l’élection présidentielle, cette révélation pose de nombreuses questions. A commencer par celle-ci: pourquoi Miles Taylor tombe-t-il le masque si tard s’il estime que l’abus de pouvoir du président menace gravement les fondements de la démocratie américaine?

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«Lâche» et «incompétent»

Miles Taylor a nié à plusieurs reprises être «Anonymous». Il a démissionné de ses fonctions en juin 2019 après le licenciement de sa cheffe, Kirstjen Nielsen, et publié un livre, A Warning, également anonyme, «pour que les électeurs sachent que ce n’est pas aussi terrible au sein de l’administration Trump qu’ils le pensent, mais bien pire». Selon le New York Times, qui rappelle qu’il était souvent en contact avec le président sur les questions de terrorisme, de cybersécurité ou encore d’immigration, il a ensuite travaillé pour Google. Il est depuis plusieurs mois en congé après avoir décidé de soutenir Joe Biden et d’organiser une campagne anti-Trump avec d’autres républicains inquiets comme lui.

Mercredi, Miles Taylor a justifié sa démarche dans un texte de trois pages publié sur Medium. «Publier mes critiques de façon anonyme a forcé le président à y répondre directement en fonction de leurs mérites, ou pas du tout, plutôt que de détourner l’attention par des insultes mesquines et des noms d’oiseaux. Je voulais que l’attention soit portée sur les arguments eux-mêmes», écrit-il. Quelques minutes plus tôt, le conservateur George Conway, féroce critique de Donald Trump, un des hommes derrière le Lincoln Project et par ailleurs époux de l’ex-conseillère du président Kellyanne Conway, avait fait rouler les tambours en annonçant qu'«Anonymous» allait se dévoiler. Mercredi, la réaction de la Maison-Blanche ne s’est pas fait attendre. Une porte-parole a qualifié Miles Taylor de «menteur», de «lâche» et d'«incompétent».

Des détecteurs de mensonges

Intitulée «Je fais partie de la résistance au sein de l’administration Trump» et publiée peu après de premiers extraits du livre Fear du journaliste d’investigation Bob Woodward, la tribune anonyme révélait l’ambiance de chaos au sein de la Maison-Blanche et comment une partie des ministres et conseillers luttent de l’intérieur pour tenter de combattre les «pires penchants» et l'«amoralité» d’un président jugé «inapte à sa fonction». «Anonymous» qualifie le comportement de Donald Trump de «mesquin, impétueux, ambivalent, capricieux et inefficace», relevant que «les hauts fonctionnaires reconnaissent en privé leur incrédulité quotidienne face aux commentaires et aux actions du commandant en chef». Ou encore: «Ce n’est peut-être qu’un petit réconfort dans cette période chaotique, mais les Américains doivent savoir qu’il y a des adultes dans la salle. Nous sommes pleinement conscients de ce qui se passe. Et nous essayons de faire ce qui est juste, même lorsque Donald Trump ne le fera pas.»

En clair, «Anonymous» évoquait comment une partie de son administration tentait de «contrôler» le président et de limiter les dégâts, pour ne pas provoquer une grave crise constitutionnelle en devant invoquer le 25e amendement pour le destituer: «Nous ferons donc tout notre possible pour orienter l’administration dans la bonne direction jusqu’à ce que, d’une manière ou d’une autre, cela se termine», soulignait encore le fonctionnaire. Une manière de révéler l’existence d’une sorte de Deep State (Etat profond).

Cet anonymat a été très critiqué. Barack Obama a dénoncé une «résistance secrète». Très vite, les soupçons ont pesé sur une douzaine de personnes, dont le chef de cabinet John Kelly (qui a démissionné depuis) et même le vice-président, Mike Pence (en raison du mot vieillot lodestar utilisé). Le sénateur républicain Rand Paul avait été jusqu’à suggérer de faire passer les principaux suspects au détecteur de mensonges, ce qui donne une idée du climat de psychose et de délation qui régnait à la Maison-Blanche, alors déjà affectée par une guerre des clans et une série de limogeages. Pour stopper cette hémorragie de soupçons, plus de 20 ministres et hauts cadres ont dû officiellement assurer qu’ils n’étaient pas le fameux «traître» recherché. Les responsables de la section Opinion du New York Times connaissaient l’identité de l’auteur, mais n’étaient pas à l’abri d’une manipulation et leur démarche a également été critiquée.

Une «armée silencieuse»

Dans un livre-brûlot, Omarosa Manigault, une ancienne conseillère de Donald Trump, a également assuré qu’«une armée de gens travaillent en silence et sans ménager leurs efforts pour s’assurer que le président ne cause pas de dommages à la république». «Beaucoup de membres de cette armée silencieuse se trouvent dans son parti, au sein de son administration, et même au sein de sa propre famille», précise-t-elle dans son ouvrage. Dans Fear, Bob Woodward a notamment raconté comment Gary Cohn est allé jusqu’à subtiliser des documents sur le bureau du président quand il était encore son conseiller économique. Pour éviter des décisions dangereuses.

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Depuis septembre 2018, l’aspect chaotique de la présidence Trump a été renforcé à travers sa mauvaise gestion de la pandémie et des émeutes raciales. Miles Taylor a choisi de s’affirmer alors que les républicains anti-Trump et d’anciens membres de son gouvernement comme James Mattis, l’ex-chef du Pentagone, ou John Kelly, qui officiait comme secrétaire général de la Maison-Blanche après avoir été ministre de la Sécurité intérieure – et donc le supérieur direct de Miles Taylor –, osent toujours plus exprimer leurs critiques, dans une dernière tentative de peser sur les chances de réélection de Donald Trump. L’ex-«Anonymous» invite les républicains à voter Biden en «plaçant l’intérêt du pays au-dessus du parti».

«En tant que descendants de révolutionnaires, la dissidence honnête fait partie de notre caractère américain, et nous devons rejeter la culture d’intimidation politique qui a été cultivée par ce président. C’est pourquoi j’écris cette note – pour vous inciter à vous exprimer si vous ne l’avez pas fait, résume Miles Taylor. Trump a été exactement ce que nous, conservateurs, avons toujours dit que le gouvernement ne devrait PAS être: expansif, gaspilleur, arbitraire, imprévisible et enclin aux abus de pouvoir.»