Hommage à Alain Rey

Alain Rey et les auteurs du Lexik des cités, septembre 2007 ©Getty
Alain Rey et les auteurs du Lexik des cités, septembre 2007 ©Getty
Alain Rey et les auteurs du Lexik des cités, septembre 2007 ©Getty
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Le Petit Robert est orphelin, Alain Rey est mort. Le lexicographe amoureux des mots nous a quittés dans la nuit de mardi à mercredi, à l’âge de 92 ans.

Dans la série biographique du journal Le Monde « Je ne serais pas arrivé là si », il évoquait en septembre 2019 son goût précoce pour les mots.

À l’école, je dessinais des espèces de schémas en écrivant, par exemple, toutes les parties d’un bateau – les cacatois, les artimons n’avaient aucun secret pour moi ! 

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Et sur le site du quotidien Lucien Jedwab lui rend hommage.

Alain Rey fut, à cheval sur deux siècles, un héritier érudit mais toujours modeste des humanistes de la Renaissance, de Rabelais surtout, qu’il pratiquait au quotidien.

Rabelais qu’il décrivait ainsi : « création absolue, liberté totale, capacité à cacher une philosophie derrière des conneries enfantines, mélange de la narrativité et de la liste. C’est un grand lexicographe. »

La Fabrique du Petit Robert

La première édition du Petit Robert date de 1967. Elle est due à une collaboration avec Josette Rey-Debove – son épouse lexicographe et sémiologue – et Henri Cottez, normalien et helléniste. La nouveauté par rapport à son concurrent le Petit Larousse illustré : « une plus grande ouverture au français du Québec ou de Bruxelles, une aptitude à capter l’air du temps, à intégrer les mots de tous les jours, y compris les onomatopées ou les mots argotiques ». Alain Rey n’hésite pas à illustrer les définitions par des exemples issus de la littérature vivante, de Céline à Frédéric Dard en passant par Raymond Queneau. « Le Petit Robert est, à sa manière, un enfant de Mai 68. » Depuis lors, et jusqu’au 50ème anniversaire en 2017, la méthode se perpétue : « chaque année, c’est par milliers que surgissent de nouveaux mots déclarait-il alors à l’hebdomadaire Le 1. Nous procédons à une vérification à partir des mots repérés par notre service de documentation dans la littérature et dans les médias. Nous en retenons à peu près 10 %. » Parmi ces mots nouveaux 60% sont des emprunts, « souvent en provenance de pays voisins mais aussi de pays très lointains comme le Japon, dans le domaine culinaire ou celui des arts martiaux ». Et puis il y a les « sortants » : l’une des techniques pour repérer ces mourants consiste à évaluer leur occurrence sur Google. À 10 000, le plancher c’est la trappe, car un mot d’usage courant peut avoir 20 millions d’occurrences. La doctrine de l’Académie française c’est que « les termes dont la suppression est envisagée doivent être sortis de l'usage depuis longtemps et n'avoir guère d'attestation littéraire ». Certains sont juste remplacés : ainsi angelet par angelot, butant par arc-boutant, crasser par s'encrasser, ou dégénération par dégénérescence. Et d’autres font retour après un temps d’éclipse : flagrance, qui désigne une infraction qui se commet sur le champ et de manière évidente, introduit dans Le Petit Larousse de 1908 en est ressorti après quatre-vingt-dix années de bons et loyaux services puis réintégré en 2012. De même clampin ou peccamineux (relatif au péché).

Les mots, « fenêtres sur l’Histoire »

En 1992, Alain Rey publie la première édition du Dictionnaire historique de la langue française. Le Figaro Littéraire note alors que les « mots deviennent des fenêtres sur l’Histoire ». 40 000 articles, deux gros volumes sur papier bible en principe destinés à des bibliothèques, et qui se vendent à quelque 100 000 exemplaires la première année. « Décrire correctement les mots, c’est décrire une époque, une manière de penser. Je me suis toujours intéressé à la dimension sociale et politique des mots parce que le côté formel de la linguistique ou de la philologie ne me satisfait pas. On ne peut pas faire de l’histoire sans faire de l’histoire lexicale » déclarait-il au Monde dans l’article cité au début.

Dans Le Figaro, Alice Develey se rappelle « son étonnante collection de cravates et de chemises bariolées ». 

On s’étonne qu’il n’ait jamais accepté de troquer ses vêtements pour le costume vert. Mais on sait depuis Furetière que les relations ne sont jamais simples avec l’Académie dès qu’il s’agit de dictionnaires… 

Elle rappelle qu’il « eut pour ambition de rabibocher le vieux et le jeune français. C’est ainsi qu’il s’efforça toujours à introduire des mots d’aujourd’hui dans ses dictionnaires. Oui, le daron du Petit Robert kiffait la langue… » Un de ses derniers ouvrages, illustré par des calligraphies de Lassaâd Metoui, raconte Le Voyage des mots. De l’Orient arabe et persan vers la langue française (Guy Trédaniel Editeur, 2013). Où il montre que les langues sont sans patrie et se jouent des frontières… Les auditeurs de France Inter se souviennent encore de sa chronique matinale entre 1993 et 2006. Son titre : « le mot de la fin ».

Sur le site Le Robert, en autres curiosités lexicographiques, « Le mot du jour » revient à un tweet de Laelia Véron, qui évoque la prochaine rentrée scolaire : « — Chez vous la rentrée ça sera en distanciel ou en présentiel ? — Plutôt en démerdentiel…

Par Jacques Munier

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Le français (n')existe (pas), par Arnaud Hoedt et Jérôme Piron (Le Robert)

Saviez-vous que dire « au coiffeur » n’est plus vraiment une faute, que l’Académie française, c’est du flan, que Villers-Cotterêts est un mythe, que, jusqu’au XIXe siècle, le français est la langue de seulement quinze départements, que Brassens et Gainsbourg n’accordaient pas toujours les participes passés dans leurs chansons ? Saviez-vous qu’aujourd’hui, quoi qu’on en dise, la langue française se porte à merveille ? Dans ces chroniques iconoclastes, parsemées de révélations cocasses et troublantes, Arnaud Hoedt et Jérôme Piron, deux comédiens belges qui furent professeurs de français passionnés de linguistique, réinventent notre rapport à la langue avec humour et ironie. Un exercice totalement décomplexé et vivifiant qui n’épargne pas les puristes, bouscule les idées reçues et redore le français de couleurs nouvelles ! Adapté des chroniques de l’été de France Inter Tu parles !

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