Galerie Françoise Livinec

Marjane Satrapi, peintre « féroce »

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Publié le , mis à jour le
On la connaît en tant qu’auteure de BD, illustratrice et réalisatrice, moult fois primée. Mais on la découvre aujourd’hui comme peintre avec une exposition au titre vindicatif, « Femmes ou rien ». En quinze tableaux réalisés entre deux films, elle nous livre sa vision de la femme. Belle et féroce.
Marjane Satrapi, Le Geste du regard
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Marjane Satrapi, Le Geste du regard, 2020

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Acrylique sur toile • 140 x 140 cm • Courtesy Marjane Satrapi et galerie Françoise Livinec.

Elle ne peint que des femmes qui sont fières. Marjane Satrapi les qualifie volontiers de « féroces ». La chevelure noir de jais, les yeux soulignés de khôl, les sourcils marqués et les lèvres dessinées d’un rouge à lèvres éclatant, elles se ressemblent un peu toutes. C’est que Satrapi (née en 1969) représente les femmes qui l’ont marquée au cours de son enfance passée en Iran. Mais au fil du temps, la mémoire émousse un peu les souvenirs qui se mélangent. De peur de les oublier complètement, de la même manière qu’elle a peur de perdre sa langue maternelle, elle les multiplie pour enchevêtrer portraits, autoportraits et archétypes. « Je les peins un peu pour les rendre éternelles, pour ne pas les oublier. »

Marjane Satrapi
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Marjane Satrapi

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Courtesy Marjane Satrapi et galerie Françoise Livinec.

« J’ai grandi dans une famille et une culture où les femmes, n’ayant pas les mêmes droits, ont été obligées de se battre beaucoup plus » confie-t-elle. « Ce qui les a rendues combatives et sauvages. Si j’ai toujours eu beaucoup d’admiration pour elles, je ne me rappelle pas avoir été impressionnée par un homme dans mon enfance et dans ma famille. » Née en 1969, elle se prend de plein fouet la révolution islamique de 1979 qui remet en cause les libertés individuelles et efface la femme de la vie publique. Il faut relire son album autobiographique Persépolis pour comprendre ses racines et plonger dans ce bouleversement que Satrapi raconte sans amertume, avec distance. Elle n’est pas du genre à s’apitoyer, ni à s’immobiliser face au destin.

Et puis il y a autre chose. « J’ai toujours pensé que l’art est une réinterprétation de la réalité à travers le prisme de la beauté. Elle me fascine et m’émeut, c’est peut-être ce qu’il y a de plus révolutionnaire aujourd’hui. » Et ce qui pour elle incarne le plus la beauté, c’est la femme. D’où son sujet unique qu’elle peint à l’obsession avec une gamme explosive, souvent réduite à quatre couleurs : le rouge, le bleu, le rose et l’incontournable noir, chacune étant le résultat d’un mélange d’au moins cinq ou six couleurs. « J’ai toujours une relation passionnelle avec les couleurs et lorsque je réalise un film, je donne toujours une palette bien définie au chef opérateur en lui signifiant que je n’en veux pas d’autres… » Si le pop art est une des références de Satrapi – Jasper Johns tout particulièrement – les artistes qui l’ont le plus impressionnée sont Matisse, Vallotton, ainsi que Balthus – « je me perds toujours dans ses œuvres ».

Marjane Satrapi, In the air
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Marjane Satrapi, In the air, 2020

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Acrylique sur toile • 160 × 100 cm • Courtesy Marjane Satrapi et galerie Françoise Livinec.

De vastes aplats dynamisent ses imposants formats, vibrant ici ou là avec des dégradés méticuleusement appliqués en de nombreuses couches de peinture acrylique. Elle attache un soin tout particulier à placer les ombres – totalement absentes dans son travail d’illustration et de BD – qui sculptent certaines parties du corps ou du visage, qui semblent donner un caractère cinématographique à l’image. Pour autant, la source de lumière n’est jamais cohérente : elle peut venir de la droite pour le haut du visage, de la gauche sur le bas… Il n’est pas question d’être réaliste, mais de créer une sensation générale où se mêlent légèreté, gaieté et trouble. Exigeante, Satrapi s’octroie une bonne semaine une fois que l’œuvre est achevée pour reprendre les détails. « Il faut que ce soit parfait ! »

Marjane Satrapi, Under the influence
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Marjane Satrapi, Under the influence, 2020

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Acrylique sur toile • 120 × 100 cm • Courtesy Marjane Satrapi et galerie Françoise Livinec.

Enfin, une question brûle les lèvres : aborde-t-elle la peinture et le cinéma de façon différente ? Oui, bien sûr ! « L’illustration, la BD ou le cinéma sont des expressions artistiques appliquées à une narration, c’est-à-dire que je dois me soucier de ce que la personne comprenne l’histoire. La peinture est le seul endroit où je ne me pose pas de questions. » Un véritable espace de liberté qu’elle n’explore pas en même temps qu’elle réalise un film ou écrit une BD. Les énergies ne sont pas les mêmes et se phagocyteraient.

Marjane Satrapi, À gauche, “Atomic women II” et à droite, “Sphinge”
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Marjane Satrapi, À gauche, “Atomic women II” et à droite, “Sphinge”, 2020

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Acrylique sur toiles • 140 x 140 cm (g.) et 160 x 100 cm (d.) • Courtesy Marjane Satrapi et galerie Françoise Livinec.

Si elle dessine depuis l’enfance, elle avait dévoilé ses peintures une première fois seulement en 2013 lors d’une exposition chez Jérôme de Noirmont à Paris. Le thème était déjà la femme, mais les éléments narratifs étaient plus réduits. Aujourd’hui, on peut les aborder sans sous-titre et les interpréter à l’envi. Même s’il lui arrive d’orienter notre lecture à travers les titres, comme avec Sphinge ou Annonciation, la plupart sont énigmatiques : Rencontre, Éris et Léthé, Le geste du regard… Alors, on s’interroge : à quoi peut bien renvoyer cette hiérarchie entre les tailles des personnages dans Atomic women I ? La femme brandissant un bâton en arrière-plan dans Atomic women II s’apprête-t-elle à battre celle assise à terre ? La touche psychédélique pour Le geste du regard [ill. en une] évoque-t-elle un clip ou une pochette de disque d’un groupe de rock ? Marjane Satrapi nous laisse libre de nos réponses. Elle nous livre un gynécée de tous les possibles.

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Marjane Satrapi. Femmes ou rien

Du 9 octobre 2020 au 28 novembre 2020
Actuellement fermée

francoiselivinec.com

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