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Une brigade d’Afro-Américains armés pour contrer les suprémacistes blancs

La NFAC est un groupe de Noirs qui se présentent en bataillon dans des villes meurtries par des actes de brutalités policières. Elle prône le droit des Afro-Américains à l’autodéfense, notamment contre des milices blanches

Des membres de la NFAC en Louisianne, le 3 octobre 2020. — © Go Nakamura/REUTERS
Des membres de la NFAC en Louisianne, le 3 octobre 2020. — © Go Nakamura/REUTERS

NFAC, pour Not Fucking Around Coalition. Alors que des groupes de suprémacistes et nationalistes blancs, prêts à provoquer le chaos en cas de défaite de Donald Trump, ont fait récemment parler d’eux, notamment en cherchant à kidnapper Gretchen Whitmer, la gouverneure démocrate du Michigan, une autre «milice» fait son apparition: la NFAC. C’est un groupe paramilitaire, aux antipodes des extrémistes de droite, composé exclusivement d’Afro-Américains. Encagoulés, lourdement armés et généralement vêtus entièrement de noir, parfois avec un treillis militaire, ses membres, hommes et femmes, se sont présentés en bataillon dans plusieurs villes en proie à des émeutes raciales (Minneapolis, Portland, Louisville, Atlanta).

Candidat à la présidentielle de 2016

La NFAC, qui s’inscrit dans le sillage des Black Panthers, est-elle une sorte de bras armé du mouvement Black Lives Matter (BLM)? Pas vraiment. La milice tient au contraire à s’en distancier: elle revendique une organisation presque militaire, qui ne tolère pas les casseurs. Ses membres veulent apparaître comme des sortes de justiciers, pour défendre les Noirs victimes de discriminations et de brutalités policières, et surtout contrer l’émergence de groupes d’extrême droite. A leur tête, Grand Master Jay, ou John Fitzgerald Johnson. Il a été militaire, rappeur, DJ et même candidat à l’élection présidentielle de 2016, comme indépendant.

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Né en 2017, le groupe est devenu plus visible après les émeutes qui ont suivi le décès, le 25 mai, de George Floyd, asphyxié sous le genou d’un policier blanc. En septembre, il était notamment présent à Louisville, dans le Kentucky, pour défendre l’honneur de Breonna Taylor, jeune ambulancière abattue «par erreur» par des policiers en mars dernier dans son appartement. Une affaire que la mort de George Floyd a remise sur le devant de la scène. La NFAC, basée à Atlanta (Géorgie), est désormais de presque toutes les manifestations antiracistes. Mais lorsque ces dernières dégénèrent en émeutes, elle a tendance à se mettre en retrait. Le 4 juillet, jour de la Fête nationale américaine, le leader du groupe a pourtant, depuis Stone Mountain (Géorgie), clamé dans son mégaphone, sur le ton de la provocation: «Je ne vois pas de milice blanche, on est là. Vous êtes où? On est chez vous!»

On ne peut pas qualifier l’organisation d’extrémiste au seul motif qu’elle organise des défilés en tenue militaire et équipements lourds

Cécile Coquet-Mokoko, professeure de civilisation américaine

Des revendications séparatistes

«La principale critique émise par Grand Master Jay à l’encontre de #BLM est que ses jeunes militants manquent de discipline, ce qui est compréhensible dans la mesure où il s’agit d’un mouvement dirigé par la base, sur le plan local, dont les trois fondatrices ne se présentent que comme des porte-parole. La NFAC, pour s’en démarquer et se présenter comme plus responsable, revendique une culture militaire, faisant valoir que la plupart de ses membres sont des anciens combattants, explique Cécile Coquet-Mokoko, professeure de civilisation américaine à l’Université de Versailles-Saint-Quentin. C’est aussi et surtout un moyen de se prémunir contre des soupçons de sédition, qui placeraient immédiatement le groupe sous surveillance fédérale au titre de l’action antiterroriste, comme l’avait été le Black Panther Party dans les années 1960-1970.»

Grand Master Jay cherche à éviter que son organisation ne soit infiltrée par des agents du renseignement américain. «Elle l’est sûrement déjà, précise Cécile Coquet-Mokoko. Mais on ne peut pas qualifier l’organisation d’extrémiste au seul motif qu’elle organise des défilés en tenue militaire et équipements lourds, car, aussi paradoxal que cela puisse paraître, cela relève du droit de s’assembler paisiblement, garanti par le premier amendement: du moment que ces rassemblements ne font pas parler les armes, ils ne tombent pas sous le coup de la loi.»

Elle juge par ailleurs les visées séparatistes du groupe – il revendique un territoire, au Texas, où les Afro-Américains descendants d’esclaves pourraient vivre en paix entre eux – «peu crédibles». «Cela rappelle la revendication de la Nation of Islam dans les années 1950-1960, que même le dirigeant de la Nation, Elijah Muhammad, prenait moins au sérieux que ne le faisait son porte-parole, Malcolm X. En revanche, ce qui apparaît clairement à travers la communication du fondateur de la NFAC, c’est la volonté d’affirmer, de manière plus musclée que #BlackLivesMatter, que la vie des citoyens noirs compte; et que, au-delà de cette affirmation, il existe aujourd’hui une volonté d’autodéfense et de protection des droits individuels de ces citoyens, puisque la police ne respecte pas ces droits.»

L’élection de Donald Trump a contribué à donner plus de visibilité aux groupes racistes blancs, et le président a à plusieurs reprises refusé de condamner des actes de violences qui leur sont imputés. Dans ce contexte, et alors que les jours post-élection pourraient être tendus, la NFAC pourrait réussir à recruter davantage.

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Des scènes de guerre urbaine

Professeur d’histoire à la DePaul University de Chicago et auteur d’un livre sur les extrémistes violents publié en 2019 (Violent Extremists: Understanding the Domestic and International Terrorist Threat), Thomas Mockaitis rappelle que la plupart des Etats américains ont des lois contre les activités de groupes paramilitaires, «bien qu’ils les appliquent rarement». «La NFAC n’a pas adopté une idéologie ouvertement extrémiste. Son leader a été accusé de faire des déclarations antisémites et certains pensent que la NFAC a des liens avec le mouvement israélite hébreu noir, qui est ouvertement antisémite. Cependant, ni la Anti-Defamation League ni le Southern Poverty Law Center, qui surveille les groupes de haine, n’ont identifié la NFAC comme un groupe extrémiste», analyse-t-il. Rien n’indique par ailleurs qu’elle ait un programme raciste anti-Blancs et la NFAC a jusqu’ici coordonné ses manifestations avec la police et évité la violence, insiste-t-il.

La plus grande crainte de Thomas Mockaitis n’est pas une radicalisation de la NFAC, mais que le groupe s’engage dans de violents affrontements avec les milices blanches d’extrême droite. «Cela a failli se produire à Louisville lorsque les membres de la NFAC ont rencontré des membres des Three Percenters, une milice blanche extrémiste. La rencontre n’a pas tourné à la violence, mais elle sert d’avertissement sur ce qui pourrait se produire dans d’autres circonstances.»

Cécile Coquet-Mokoko partage la même crainte. «Par le passé, notamment au retour de la Première Guerre mondiale, de telles confrontations avaient eu lieu entre d’anciens combattants noirs et des groupes armés composés de leurs concitoyens blancs, mais ces confrontations s’étaient toujours terminées en lynchages, car les Noirs étaient inférieurs en nombre à leurs agresseurs, rappelle-t-elle. L’armement lourd dont disposent actuellement les deux types de milices fait envisager une plus grande capacité des Noirs à intimider leurs adversaires, mais cette perspective fait évidemment craindre que des scènes de guerre urbaine n’aient lieu dans plusieurs villes américaines si un propos alarmiste ou un tweet incendiaire viennent jouer le rôle de l’étincelle qui met le feu aux poudres.»

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