En Iran, une télé-réalité pour décider de la pendaison ou non d’une jeune femme

Behnaz Jafari et Sadaf Asgari dans « Yalda, la nuit du pardon ».

Behnaz Jafari et Sadaf Asgari dans « Yalda, la nuit du pardon ». DR

C’est ce que le réalisateur iranien Massoud Bakhshi, sidéré par l’existence d’une émission de ce type dans son pays, retrace dans le film « Yalda, la nuit du pardon ».

Pour la vie, tapez 1. Pour la mort, tapez 2. Entre deux chansons et deux plages de pub, l’animateur beau gosse invite les téléspectateurs à choisir entre la libération ou la pendaison d’une jeune femme. Ce soir-là, soir de la fête zoroastrienne de Yalda, où l’on célèbre le solstice d’hiver en mangeant des fruits à cœur rouge et récitant des poèmes de Hafez, ils sont vingt millions, rivés sur le petit écran, à jouer le jeu. On croirait une satire de la téléréalité, une parodie de procès populaire, une version ubuesque de « Faites entrer l’accusé ».

Eh bien, non, le programme qui a inspiré « Yalda, la nuit du pardon » de Massoud Bakhshi (en salles le 7 octobre) existe vraiment. En Iran. Ce pardon, pour avoir la vie sauve, les repentants doivent l’obtenir en direct de la bouche des proches de victimes, tandis que les téléspectateurs sont appelés à donner leur avis avant l’arrivée, sur le plateau, d’un procureur, qui enregistre la sentence finale. Un show présenté à la manière d’une émission de variétés, mais conçu pour faire monter le suspense et laisser accroire que le peuple des télé-jurés est souverain. Si le pardon l’emporte, les sponsors verseront à la famille de la victime le lourd « prix du sang ».

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Faire exploser l’audimat

Bouleversé et même sidéré que, dans son pays, la télévision jongle avec la vie et la mort sous les sunlights, Massoud Bakhshi en a tiré un film remarquable, qui, à son tour, nous bouleverse et nous sidère. Dans ce huis clos cathodique, sa caméra voltige entre le plateau, la régie et les coulisses d’une émission où se joue le destin de Maryam, 22 ans, que des policiers amènent, menottée, au studio. Elle a tué accidentellement son mari, Nasser, un publicitaire de 65 ans, dont elle était enceinte. Après quinze mois en prison, condamnée à la peine capitale, elle ne peut y échapper que si Mona, la fille unique de Nasser, lui accorde en public son pardon. Ce à quoi, braquée sur ses principes et ses intérêts, elle semble ne pas consentir.

L’affrontement des deux jeunes femmes voilées se double d’une lutte des classes : Maryam vient d’un milieu modeste, Mona est une riche héritière. Orchestrés par le producteur, les révélations et les coups de théâtre vont perturber le direct et faire exploser l’audimat. Si ce film étouffant, dirigé de main de maître, est aussi édifiant, c’est qu’il jette une lumière de lampe à incandescence sur la société iranienne, sa loi islamique, ses traditions patriarcales et sa télé officielle, où même la morale convole avec le kitsch.

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Paru dans « L’OBS » du 1er octobre 2020.

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