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Riad Sattouf : «On a le droit d'être choqué par une caricature, pas d'interdire d'en faire»

Dans le cinquième tome de L'Arabe du futur, Riad Sattouf évoque son émancipation par l'expression artistique.
Dans le cinquième tome de L'Arabe du futur, Riad Sattouf évoque son émancipation par l'expression artistique. JOEL SAGET / AFP

Dans le nouveau et avant-dernier volet de L'Arabe du Futur, ce jeudi en librairie, l'auteur revient sur son adolescence marquée par le crime de son père. Un drame qu'il aborde pudiquement et toujours avec autant d'humour.

Riad Sattouf est sur tous les fronts, mais reste disponible quand il s'agit d'évoquer son incroyable saga autobiographique, L'Arabe du futur. Affublé d'un masque FFP2, le dessinateur parle beaucoup. Il franchirait même sans s'en rendre compte l'entrave des gestes barrière pour évoquer les coulisses du cinquième volet.

Dans la même veine dramatique que le précédent, qui dévoilait un lourd secret de famille, l'album aborde l'adolescence compliquée du héros -son double-, âgé cette fois de 14 ans. Une période difficile pour tous et encore plus pour lui, car marquée par l'acte horrible de son père.

À la fin du quatrième tome, on laissait la famille frappée par la nouvelle de l'enlèvement du plus jeune frère de Riad, par son père. Pendant que sa mère se démène pour récupérer l'enfant de cinq ans emmené en Syrie, Riad se réfugie dans son monde. Il s'ouvre alors aux lectures horrifiques de Lovecraft ou au spiritisme d'Allan Kardec tout en continuant à exercer son art du dessin, grâce auquel il parvient à se faire respecter, du moins à survivre. Fidèle au savant équilibre du drame et de l'humour, l'auteur évoque pour Le Figaro cet avant-dernier tome, récit de son émancipation.

Le jeune Riad va s'initier à l'oeuvre de Lovecraft. Riad Sattouf/ Allary éditions

Dans ce nouveau volet, vous avez 14 ans et vous réfugiez de plus en plus dans votre monde entre le paranormal et la pratique du dessin. Une façon de vous échapper d'un quotidien marqué par le drame que vit votre famille ?

L'album raconte comment au moment de mon adolescence marquée par le crime de mon père, j'ai essayé de m'émanciper du dilemme de ma double culture par l'expression artistique. C'est à ce moment-là que l'identité que je me suis choisie entre ma part française et syrienne a été celle de ceux qui écrivent des livres. De manière plus générale, j'adore parler de l'adolescence, ce moment particulier qui nous transforme en créatures un peu étranges ballottées entre le crépuscule de l'enfance et l'aube de l'âge adulte. Il n'est pas étonnant que les ados aiment les récits fantastiques et le surnaturel. Quand j'ai fait le film Les beaux gosses , j'étais stupéfait, au moment des castings, de voir l'émotion que les jeunes acteurs dégageaient. Ce tome-là aborde cette période de métamorphoses, un peu magique, avec la découverte de l'occultisme, du paranormal, des religions, de la mythologie, de la foi… Tout cet univers propre à cet âge pétri de peurs insondables et innommables est passionnant à observer.

L'album se déroule exclusivement en France mais la Syrie apparaît régulièrement sous la forme d'une voix menaçante, réprobatrice qui vous brouille les idées. Pourquoi une telle mise en scène ?

La vie que je menais dans le petit village syrien de mon père, évoquée dans les premiers volumes, était une vie musulmane traditionnelle, paysanne avec une grande quantité d'interdits et de tabous, de comportements moraux à respecter pour être accepté dans la communauté. Ce type d'éducation, qui n'est pas l'apanage de la seule religion musulmane, vous poursuit et vous influence toute votre existence. Un moment il faut larguer les amarres avec ces choses qui vous entravent.

Pourrait-on considérer le regard désabusé et redoutable que vous portez sur votre père, comme le témoignage de votre propre émancipation ?

Jeune, j'ai été frappé par la lecture des ouvrages d'Alice Miller, une psychologue allemande qui a écrit sur la transmission inconsciente de la violence de parents à enfants. Ils résonnaient très fort en moi. J'ai pris conscience de cette transmission dans mon histoire quand l'auteur évoquait notamment ces parents demandant à leurs enfants d'inverser les rôles, de devenir leurs propres parents afin de consoler l'enfant malheureux qu'ils ont été. C'est une manière de perpétrer un traumatisme qui ne finit jamais. Alice Miller disait que le grand drame des sociétés judéo-chrétiennes provient d'un des Dix Commandements qui dit «tu honoreras ton père et ta mère». Se sentir obligé de les honorer malgré la violence qu'ils vous transmettent empêche tout progrès. Si à travers mes albums et ma propre expérience, les jeunes qui connaissent des situations compliquées comprennent qu'ils sont en droit de juger leur éducation parentale pour devenir un individu plus libre, j'aurais réussi quelque chose.

Un propos dense et sérieux mais toujours empreint d'humour…

Garder un équilibre entre le rire et le pathos sous-tend toute la série. Très vite, j'ai compris que l'humour pouvait rendre toutes les émotions plus fortes, même les plus tragiques !

Quel rôle a joué la France dans votre construction ?

Quand je suis arrivé en France, j'ai été frappé par la liberté dont on pouvait jouir en toute impunité. Et ce sous toutes ses formes, liberté d'expression, de création, de penser, de faire ce que l'on veut, de manifester, de décrier le président. Les filles pouvaient embrasser les garçons dans la rue sans craindre un châtiment définitif comme ça pouvait être le cas dans mon village syrien où les libertés sentimentales étaient inexistantes. La France m'a donné envie de me joindre à la communauté des écrivains et des dessinateurs, qui peuvent plancher toute une nuit sur une page ou ne vivre que pour écrire. J'ai eu envie d'appartenir au peuple des gens qui écrivent. Appartenir à cette tradition d'artistes, de romanciers qui ont créé à foison et en toute liberté. Pour moi, c'est ça, la France.

Une liberté attaquée de plein fouet en ce moment…

Cette liberté d'expression, de penser, de douter, qui est attaquée aujourd'hui il faut la défendre et la protéger, car elle est unique au monde. Qui a envie de vivre comme aux États-Unis ? Qui a envie de vivre comme en Turquie ou en Russie ? Il faut continuer à écrire des livres à clamer haut et fort ses idées et ne céder sur rien. Les créateurs et les hommes politiques doivent faire front à ces attaques. On a le droit d'être choqué ou horrifié par une caricature, certainement pas d'empêcher les dessinateurs d'en faire. Le jour où on interdira tel type de caricature, il y aura forcément des personnes qui demanderont leur interdiction sur d'autres sujets. C'est sans fin. Mais je suis d'un naturel optimiste, la France va s'en sortir. La société française est en train de prendre conscience de ce qu'elle est par rapport au reste du monde. Personne n'a envie d'habiter la Russie de Poutine ou la Turquie d'Erdogan. Selon moi, la France se rend compte qu'elle va devoir préserver ce qu'elle est au risque de disparaître. C'est un nouveau défi et je pense qu'elle va le relever haut la main. Les attentats effroyables auxquels elle est confrontée n'ont pas provoqué d'agressions racistes ou expéditions punitives en retour qu'on aurait pu imaginer, ce qui illustre la résilience incroyable de la société française et la tolérance unique qu'il y a ici.


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53 commentaires
  • ANTONIN001

    le

    «On a le droit d'être choqué par une caricature, pas d'interdire d'en faire»
    dixit Monsieur de La Palisse !!!

  • Aaron levy

    le

    La différence entre un chrétien et un musulman.
    Le chrétien ses ancêtres ont été chrétiens pratiquant il 300 ans , lui est athée.
    Le MUSULMAN d'aujourd'hui et musulman comme il y a 300 ans c à d pratiquant.
    Il y a 300 ans si on critiquait Jésus tu es brûlé au bûcher.

  • Victor-Walter

    le

    Merci M. Sattouf

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