Une quarantaine d’intellectuels tunisiens s’étaient déjà indignés, dans une pétition publiée le 24 octobre, du « silence assourdissant de la majeure partie de la classe politique » sur l’apologie du terrorisme alors que le député tunisien Rached Khiari, anciennement affilié à la coalition islamiste Al Karama, avait explicitement justifié l’assassinat du professeur d’histoire Samuel Paty.

Moins d’une semaine plus tard, un deuxième attentat survenait sur le sol français : jeudi 29 octobre, trois personnes étaient tuées dans une basilique niçoise par un Tunisien de 21 ans, Brahim Issaoui, arrivé clandestinement par l’île italienne de Lampedusa quelques jours plus tôt.

L’événement, « effroyable », a poussé une quarantaine d’associations tunisiennes de défense de la démocratie et des droits de l’homme, ainsi qu’une centaine de personnalités intellectuelles, artistiques, militantes et politiques, à prendre la plume pour condamner cet attentat « avec véhémence » et assurer aux Français leur « solidarité sans faille ».

« Laxisme moral, juridique et politique »

Mais c’est surtout aux autorités tunisiennes que ce texte vigoureux semble s’adresser, « à l’heure où des imams appellent à boycotter les produits français pour marquer leur défense du prophète Mohammed ; à l’heure où le président de la République lui-même cible celles et ceux qui « menacent la umma musulmane », en omettant de dénoncer fortement et sans ambiguïté les crimes terroristes, et où des élus de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) s’en prennent ad hominem aux intellectuels, aux universitaires, aux artistes et aux juristes qui ont condamné les discours d’incitation à la haine et à la violence, en les taxant, en des termes d’une rare vulgarité, de servilité à l’égard de la France ».

Considérant que le terrorisme se nourrit du « laxisme moral, juridique et politique » face aux appels à la haine, ces associations et personnalités dont l’historienne Sophie Bessis, l’ancienne porte-parole de la présidence de la République Saïda Garrach ou encore l’ancien ambassadeur de Tunisie à l’Unesco Khémaïs Chammari, interpellent explicitement l’exécutif et le parlement tunisiens. Ceux-ci doivent « se ressaisir et condamner sans détour » tout acte terroriste, indique le texte, mais aussi « se dresser fermement » contre les discours extrémistes prononcés par « des élus du peuple, des imams ou tout autre responsable politique au prétexte de la défense de l’islam ».

« Tout sauf le prophète »

Si de l’empathie s’est exprimée ici et là, en Tunisie, pour les familles des victimes des attentats commis en France ces dernières semaines, cette attitude ne va pas de soi dans ce pays du Maghreb où le « droit au blasphème » n’est guère compris. Au cri de « Tout sauf le prophète », des groupes de manifestants, notamment dans le Sud tunisien, ont ainsi appelé au boycott de produits français fin octobre.

Les signataires du texte publié début novembre ont du reste tenu à se montrer solidaires de leurs concitoyens résidant en Europe qui aspirent à la paix, « malgré le racisme antimusulman qui fait le lit de l’extrémisme et du terrorisme ». Ils ont aussi voulu alerter contre « l’exploitation de ces crimes » pour « déclencher des campagnes politiques hostiles aux migrants », par exemple en appelant à les expulser.

La migration clandestine en augmentation

La question est encore vive, alors que l’auteur de l’attentat de Nice serait un Tunisien venu en France « pour tuer », selon les mots du ministre de l’intérieur Gérald Darmanin dimanche 1er novembre. La veille, le président tunisien Kais Saied s’était entretenu par téléphone Emmanuel Macron au sujet de la migration clandestine, un « phénomène qui s’aggrave ».

Après un pic des départs de Tunisie en 2011, suivi d’une forte chute, les tentatives d’émigration illégale augmentent en effet depuis 2017, le pays étant frappé par l’instabilité politique et durement frappé par la pandémie de Covid-19 qui a entraîné une flambée du chômage.

Gérald Darmanin doit se rendre en Tunisie samedi 7 novembre pour aborder la question de la lutte contre le terrorisme et du renvoi d’étrangers « radicalisés ».Mi-octobre, il avait indiqué que la France comptait sur son territoire 231 étrangers en situation irrégulière suivis pour radicalisation qu’elle souhaitait expulser.