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Société Laïcité et religions
Des Français farouchement laïques, fracture chez ceux de confession musulmane : les résultats d'un sondage exclusif
Après les divers attentats islamistes de ces dernières semaines, l'Ifop a évalué le rapport à la laïcité des Français dans une enquête.
ISA HARSIN/SIPA

Des Français farouchement laïques, fracture chez ceux de confession musulmane : les résultats d'un sondage exclusif

Info Marianne

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Pour le Comité Laïcité République, l'Ifop a mené une enquête sur l'adhésion à la laïcité, le rapport au religieux et la lutte contre l'islamisme auprès d'un échantillon de 2.000 Français et d'un autre de 500 Français de confession musulmane. Marianne en dévoile les résultats en exclusivité.

À contexte particulier, méthodologie exceptionnelle. L'institut d'opinion Ifop a mené pour la deuxième année consécutive une étude pour le Comité Laïcité République (CLR), qui remet ce jeudi 5 novembre son prix annuel de la laïcité. La publication de ce sondage s'inscrit dans un contexte lourd et particulier, puisque la France a été endeuillée ces dernières semaines par une série d'attentats islamistes, alors que le gouvernement s'apprête à faire voter un « projet de loi visant à renforcer la laïcité ».

Liberté d'expression, place du religieux dans l'espace public, islam et islamisme : ces sujets brûlants sont au cœur des débats. Pour mesurer au mieux l'état de l'opinion, l'Ifop a mobilisé deux échantillons distincts : l'un, de 2.034 personnes, représentatif de la population française, interrogé fin octobre ; l'autre, composé de 515 citoyens de confession musulmane interrogés en août, un choix que les sondeurs justifient par l'intérêt «d'obtenir des données fiables sur une catégorie de la population dont l’avis est central dans une étude abordant notamment les manifestations de religiosité dans l’espace public ou la lutte contre l’islamisme. »

Fracture sur la loi de 2004 sur les signes religieux

Ce sondage livre une série d'enseignements éclairants, parfois revigorants, d'autres fois alarmants. S'agissant des principales lois laïques, force est de constater qu'elles sont massivement approuvées par la population : la loi de 1905 trouve 88 % de sondés favorables, celle de 2004 (interdisant les signes religieux à l'école publique) 85 %, et celle de 2010 (interdisant le port du voile intégral) 88 %. Les musulmans, plus sceptiques, sont majoritairement opposés (56 %) à la loi de 2004, souvent accusée d'être “islamophobe“ par les activistes islamistes et leurs alliés objectifs. Une dichotomie qui sera plus spectaculaire sur d'autres thèmes. S'ils sont 87 % à approuver la loi de 1905, 37 % déclarent vouloir en assouplir certains aspects. Les récentes propositions émanant de la droite ont également été testées par l'Ifop, et recueillent l'assentiment d'une large majorité de sondés, comme l’instauration de cours sur les valeurs de la République et la laïcité qui seraient sanctionnés par une épreuve obligatoire au brevet des collèges (82 % d'approbation) ou la mise en place d’une épreuve de laïcité pour les candidats à un concours d'enseignant (81 %).

S'éloignant des seuls aspects juridiques, l'Ifop a cherché à mesurer la perception qu'ont les Français de la laïcité. Leur évolution est spectaculaire : 26 % estiment ainsi que la laïcité, « c'est avant tout faire reculer l'influence des religions dans notre société », un chiffre en progression de 17 points depuis 2005 ! Est-ce une réaction aux récents attentats qui ont marqué l'actualité ? Les données tendent à montrer qu'il s'agit au contraire d'une tendance de fond. « Le partage entre les conceptions “offensives” et “minimalistes” de la laïcité est aujourd'hui relativement figé dans l’opinion », constate François Kraus, directeur du pôle politique et actualité à l'Ifop. « Il n’en a donc pas moins beaucoup évolué au profit de l’idée selon laquelle la laïcité doit être associée à un combat culturel visant à réduire l’influence des religions dans la société et le poids des appartenances religieuses. »

D'après le sondeur, cette évolution durable de l'opinion trouve son origine dans « l’affirmation d’une religion exogène (l’islam) dont les manifestations suscitent de plus en plus de malaise, notamment avec la défense d’un symbole sexiste comme le voile. Il faut probablement y voir une réaction de la population majoritaire face à la “réislamisation” des Français d’origine maghrébine, une volonté de lutter contre des manifestations publiques de religiosité qu’on ne voyait pas dans les années 80. » Ainsi, seuls 19 % des Français interrogés, contre 32 % en 2015, considèrent que la laïcité consiste avant tout à « mettre toutes les religions sur un pied d'égalité », une proportion qui atteint tout de même 30 % chez les musulmans et 41 % chez ceux qui ont moins de 25 ans. Enfin, plus classiquement, 27 % estiment que la laïcité, c'est avant tout « séparer les religions et la politique », et 23 % qu'elle assure en priorité « la liberté de conscience. »

Fracture culturelle sur la visibilité du religieux

La fracture la plus nette au sein de la population française est culturelle et non pas juridique : elle s'observe en ce qui concerne la place de la religion dans la société. Majoritairement acquis aux lois de laïcité, les Français de confession musulmane sont bien plus favorables que les autres à la visibilité du religieux dans l'espace public : 75 % approuvent le port de signes religieux pour des parents accompagnateurs d'une sortie scolaire (26 % chez l'ensemble des Français), 69 % s'agissant des salariés du secteur privé (dont 78 % des musulmans de moins de 25 ans, contre 24 % de la population globale), et 63 % (contre 21 %) pour les agents du service public, ce qui reviendrait à revenir sur le devoir de neutralité religieuse des fonctionnaires. Particulièrement favorables à une forme de discrétion, les Français ne sont que 22 % à accepter le port de signes religieux ostensibles chez les usagers des services publics, une pratique pourtant tout à fait légale, et se prononcent même à 72 % pour l'interdiction de toute prière de rue ! Autre signe que, pour une majorité de musulmans, la laïcité peut clairement s'envisager “à la carte” : 81% se déclarent favorables à une loi autorisant les femmes à avoir droit à des horaires réservés aux femmes dans les piscines municipales, et 81 % à une loi autorisant le burqini dans les piscines publiques, deux propositions rejetées par plus de trois quarts des sondés.

L'Ifop a enfin soumis une série de questions ayant trait à la lutte contre l'islamisme à son échantillon principal, interrogé après la mort de Samuel Paty : les chiffres de réponse des musulmans sont donc moins fiables que ceux de l'échantillon de 515 personnes questionné en août, mais certains écarts peuvent se révéler instructifs et confirment d'ailleurs les résultats des études les plus récentes. Ainsi, 75 % des Français dans leur ensemble, se déclarent favorables à « laisser aux enseignants le droit de montrer à leurs élèves des dessins caricaturant ou se moquant des personnages religieux afin d'illustrer les formes de liberté d'expression », contre seulement 36 % chez ceux de confession musulmane. Les dissolutions des associations islamistes BarakaCity et CCIF, approuvées par une forte majorité de la population (76 et 65 %), sont rejetées par deux tiers des sondés de confession musulmane. Enfin, alors que le tandem formé par Jean-Louis Bianco et Nicolas Cadène est remis en cause pour sa vision jugée trop complaisante, notons que 72 % des Français se prononcent pour « la nomination à la tête de l’Observatoire de la laïcité de personnalités engagées contre l’influence des intégristes religieux dans la société. »

La charia passe avant la loi de la République pour plus de la moitié des jeunes musulmans

Terminons ce panorama avec un chiffre pour le moins effrayant, ayant trait à une interrogation simple posée aux croyants : « les normes et règles » édictées par leur religion sont-elles plus importantes que celles de la République ? Chez les musulmans, les conceptions sont bien plus équitablement partagées : si 37 % ne sont « pas du tout d'accord » avec le fait de placer « la loi islamique » avant celle de la République, 38 % partagent au contraire ce point de vue… Une proportion qui atteint même 57 % chez les 18 à 24 ans, en hausse de 10 points par rapport à 2016.

«La revendication d’un statut particulier avec des droits particuliers progresse fortement chez les Français musulmans, notamment chez les jeunes qui plébiscitent un modèle communautariste », soupire Jean-Pierre Sakoun, président du Comité Laïcité République, qui constate que « face au modèle communautariste culturellement dominant, propagé par les États-Unis, l’Union européenne et les pays musulmans, nos institutions l’école de la République peinent à faire valoir les qualités de la laïcité en matière de paix civile, de liberté collective et d’émancipation individuelle. » Il n'est dès lors pas étonnant de constater la multiplication d'incidents dans les écoles, puisqu'une majorité de jeunes musulmans semble ouvertement placer la charia avant la loi française.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne