Quelques leçons de Tocqueville

Portrait d'Alexis de Tocqueville par Théodore Chassériau en 1850 ©Getty - Photo Josse/Leemage
Portrait d'Alexis de Tocqueville par Théodore Chassériau en 1850 ©Getty - Photo Josse/Leemage
Portrait d'Alexis de Tocqueville par Théodore Chassériau en 1850 ©Getty - Photo Josse/Leemage
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La démocratie, c'est pour Tocqueville un état social avant d'être un modèle politique. En 1831, les Américains partageaient un mode de vie, une appartenance religieuse et communiaient dans ce que Tocqueville nommait le consensus de la cupidité, ils voulaient monter dans la roue de la fortune.

L'historien, au milieu du tumulte de ce jour, en revient à Tocqueville

Il m'est revenu en mémoire une image du siècle passé. François Mitterrand, au soir de l'élection présidentielle de 1988, était monté dans son avion pour s'envoler vers un second mandat. Carré dans son siège, il lisait ostensiblement dans un beau vieux volume relié... une histoire de la Restauration. Il signifiait ainsi qu'il fallait se jouer du temps, rester calme, savoir aussi penser contre soi-même.

Penser contre soi-même... Tocqueville, aristocrate issu d'une famille royaliste, en 1831, après la chute de la Restauration justement, était parti aux Etats-Unis pour observer la marche, selon lui inéluctable, de l'égalité. Son livre, "De la démocratie en Amérique", est une manière d'oracle, universellement lu et toujours susceptible d'interprétations valables pour aujourd'hui.

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Tocqueville ne redoutait rien tant, en démocratie, que la tyrannie de la majorité. On n'y est pas aujourd'hui, dans l'état de division des Etats-Unis

La démocratie, c'est pour Tocqueville un état social avant d'être un modèle politique. En 1831, les Américains partageaient un mode de vie, une appartenance religieuse et communiaient dans ce que Tocqueville nommait le consensus de la cupidité, ils voulaient monter dans la roue de la fortune, travailler et accéder à l'abondance. Le risque était qu'ils ne prennent pas le temps de s'intéresser à la politique et qu'ils se contentent d'adhérer aux opinions toutes faites par les autres. La mobilisation de tant et tant d'Américains dans cette élection - et sur des positions antagonistes - montre qu’on ne risque pas le désinvestissement politique.

Des esprits perfides diraient même qu'on risque davantage la tyrannie des minorités : leur activisme a d'ailleurs provoqué, en réaction, un resserrement des rangs autour de Trump.

Tocqueville craignait aussi la corruption du vote

Lors de la première expérience réelle de suffrage universel en France, les législatives de Pâques 1848, qui virent d'ailleurs l'élection de Tocqueville dans la Manche, les électeurs ruraux durent aller à pied tous ensemble jusqu’au chef-lieu de canton sous la houlette de leurs curés. Tocqueville se félicitait qu'aux Etats-Unis le vote eût lieu au plus près, dans les municipalités et qu'il fût secret. Ainsi, disait-il, les résultats parviennent vite et sont moins entachés d'irrégularités. Evidemment, la prédiction de l'oracle ne s'avère pas toujours parfaitement exacte.

Mais le pire, ce serait de mettre le résultat sous le tapis. Tocqueville était mort quand ce fut le cas à la présidentielle de 1876. Le candidat démocrate Tilden et le républicain Hayes étaient au coude à coude : vingt mandats de grands électeurs étaient sur la sellette. Une réunion secrète eut lieu entre les états-majors des deux partis. Le républicain fut ainsi désigné mais les démocrates y avaient mis des conditions. Les démocrates, c'étaient alors les sudistes ex-confédérés ; ils avaient obtenu l'abandon de la politique de reconstruction du Sud et, de fait, le retour à la situation d'avant la guerre de Sécession - sans l'esclavage mais avec les lynchages. La dissimulation a des effets nécessairement délétères.

De retour des Etats-Unis, Tocqueville n'est pas persuadé que l'exercice de la démocratie promeuve nécessairement les libertés

Non seulement la démocratie peut se combiner avec l'exclusion des Noirs mais, observant les électeurs blancs de son époque, Tocqueville note qu'ils versent aisément dans l'autoritarisme. 1831, c'est le premier des deux mandats du général Jackson. Un homme brutal qui menait une politique terrible vis-à-vis des Indiens. 

Un common man, un homme comme les autres, le premier président, après tant de personnalités aristocratiques, dans lequel pouvaient enfin se reconnaître les couches populaires américaines.

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Quel portrait de président Trump a-t-il voulu dans le Bureau ovale ? Celui de Jackson.

Un an après avoir élu leurs députés pour la première fois au suffrage universel, les Français élirent président Louis-Napoléon Bonaparte. Le peuple avait fait basculer la République dans le césarisme. "Quand j'écris sur les Etats-Unis, confiait Tocqueville, je pense à ce qui peut advenir en France."

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