Une information erronée, basée sur une coquille et dont l’auteur s’est excusé, a été massivement relayée par le camp Trump. Non, il n’y a jamais eu des lots de bulletins de vote 100 % pour Biden. En revanche, les votes par correspondance semblent être en majorité en faveur de Biden, ce qui est tout simplement relié au fait que ce soit une élection démocratique.

Des lots de votes de dernière minute à 100 % en faveur de Joe Biden ? Une fraude du camp Démocrate dans le Michigan ? Quoi que puisse crier Donald Trump sur Twitter, il n’en est rien : il s’agit d’une fausse rumeur, relayée par des partisans du camp Républicain sur les réseaux sociaux et basée sur un tweet erroné que l’auteur a supprimé et démenti. Le principe de la vérité semble avoir définitivement quitté la campagne présidentielle de Trump, et ce, jusqu’au bout : voici comment une mauvaise information s’est transformée en un énième argument fallacieux sur les réseaux sociaux pour appeler à arrêter le décompte d’une élection démocratique.

Depuis le 3 novembre, les États-Unis sont suspendus aux résultats de l’élection, les deux candidats étant au coude à coude de manière très serrée. Certains États tardent à remettre leurs résultats, notamment parce que les bulletins envoyés par correspondance sont dépouillés après les bulletins remis en présentiel. Or, bien évidemment, en pleine pandémie, bon nombre d’Américains ont opté pour cette solution à distance (100 millions de votes, cruciaux, ont été faits par correspondance).

Donald Trump ayant appelé ses partisans à ne pas respecter les mesures sanitaires, en attestent ses meetings transformés en foyers épidémiques, la plupart des prédictions conduisaient à croire que les votes par correspondance seraient majoritairement en faveur de Biden. C’est l’une des raisons possibles pour lesquelles la tendance s’est progressivement inversée en la faveur du démocrate.

Mais cette réalité, simple, ne plaît pas au président Trump. Il lui préfère l’idée que des lots de votes ont été ajoutés pour le faire perdre : pour preuve, l’un d’eux contiendrait 100 % de vote pour Joe Biden — ce qui est statistiquement improbable. C’est faux.

Itinéraire d’une coquille transformée en « vérité »

Tout est parti d’une coquille, puis d’un tweet parti trop vite, sans vérification. Dans la nuit du 3 au 4 novembre, le conservateur Matt Mackowiak, chroniqueur et consultant en stratégie suivi par 36 000 abonnés, poste un tweet indiquant que le candidat Joe Biden aurait soudainement reçu 128 000 votes 100 % en sa faveur dans le Michigan. Il publie alors une copie d’écran de l’une des cartes faisant le suivi en temps réel des décomptes.

Dans un second tweet, Matt Mackowiak met une copie d'écran du premier, qu'il a supprimé, en admettant son erreur et en s'excusant.

Dans un second tweet, Matt Mackowiak met une copie d'écran du premier, qu'il a supprimé, en admettant son erreur et en s'excusant.

Problème : il s’agissait d’une coquille corrigée très rapidement. Plus tard, Matt Mackowiak supprime son tweet, et en publie un nouveau, en s’excusant et en attestant de l’erreur. Malheureusement, entre temps, le tweet est devenu viral : deux dizaines de milliers de retweets en quelques minutes. Mais ce qui change tout réside peut-être dans quelques retweets clé. C’est d’abord Matt Walsh, très célèbre militant conservateur, suivi quant à lui par 500 000 personnes sur Twitter, qui cite le tweet : « C’est une raison suffisante pour aller au tribunal. Aucune personne honnête ne peut regarder cela et dire que c’est normal et pas préoccupant », écrit-il (supprimé depuis, voici l’archive).  Puis c’est au tour de Donald Trump en personne de relayer la fausse information, tweetant : « WHAT IS THIS ALL ABOUT? » (majuscules comprises).

C’est ainsi, alors même que le tweet d’origine affirmait quelque chose de clairement faux car basé sur une coquille — et que ce tweet est supprimé depuis — , que la fausse information a continué à circuler et à être reprise comme une « vérité » par des militants. L’affirmation se retrouve régulièrement sur les réseaux sociaux, et elle a même essaimé jusqu’en France au bas des articles sur la Présidentielle américaine — nous avons pu en voir sur Facebook sous nos propres articles.

L’opportunité était idéale, pour Donald Trump, dont la stratégie consiste à revendiquer la victoire quels que soient les résultats et à demander l’arrêt du dépouillement des votes, en menaçant de poursuites judiciaires (sans la moindre base judiciaire). Il tweetait, dans cette optique : « Hier soir, j’étais en tête, souvent solidement, dans de nombreux États clés, presque à chaque fois dirigés et contrôlés par des démocrates. Puis, un par un, ils ont commencé à disparaître comme par magie, au fur et à mesure que les bulletins de vote surprise étaient comptés. TRÈS ÉTRANGE ».

Cette stratégie de Donald Trump était prévue par de nombreux observateurs (dont Bernie Sanders). Face à l’imminence de bulletins de vote par correspondance largement en faveur de Joe Biden, le meilleur moyen pour Trump de revendiquer la victoire quoi qu’il arrive est d’essayer de délégitimer les derniers bulletins à être dépouillés — à savoir, justement, les bulletins par correspondance. Ces bulletins sont toutefois parfaitement légitimes et ont même, pour la plupart, été déposés en avance et non en retard. Ils représentent les voix de dizaines de millions d’Américains.


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