Laïcité : une exception française mal comprise à l'étranger

Le concept français de laïcité est issu d’une histoire bien particulière, souvent mal connue à l'étranger, une ignorance source de profonds malentendus, dans le monde anglo-saxon notamment ©AFP
Le concept français de laïcité est issu d’une histoire bien particulière, souvent mal connue à l'étranger, une ignorance source de profonds malentendus, dans le monde anglo-saxon notamment ©AFP
Le concept français de laïcité est issu d’une histoire bien particulière, souvent mal connue à l'étranger, une ignorance source de profonds malentendus, dans le monde anglo-saxon notamment ©AFP
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Le concept français de laïcité est souvent mal compris à l’étranger. Et cela pas uniquement dans les pays où l’islam est une religion d’Etat comme le Maroc, l’Algérie, l’Egypte, l’Irak, ou l’Iran, mais également dans des démocraties libérales occidentales, dites sécularisées.

Notre laïcité est mal comprise et mal vue des journaux américains qui lui attribuent souvent "l'islamophobie" du gouvernement. Les vieux pays protestants, en particulier, comme les Etats-Unis, ont connu un processus de sécularisation, mais ils comprennent mal notre fameuse laïcité. C’est que nous n’avons pas la même histoire. Leurs Etats n’ont pas eu à se confronter à une institution hiérarchisée, centralisée et soumise à une autorité située à l’étranger, comme le catholicisme.

La laïcité, une exception française

Les hommes qui ont fondé la Nouvelle-Angleterre, au XVIIe siècle, étaient souvent des protestants puritains, persécutés dans leur pays pour leur croyance. Ils ont voulu établir la liberté de conscience et garantir le pluralisme des confessions. Le Premier Amendement de la Constitution des Etats-Unis stipule que "le Congrès n’adoptera aucune loi ayant pour objet d’établir une religion ou d’en interdire le libre exercice". Ce que Thomas Jefferson a nommé "un mur de séparation" entre l’Etat et les Eglises. Bizarrement, dans ce pays dont la culture demeure empreinte d’une religiosité diffuse, la séparation des religions et de l’Etat est donc une donnée fondatrice. 

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En outre, comme l’a montré Tocqueville, le self-government, l’autonomie locale des communautés religieuses, presbytériennes, en particulier, a servi de fondement à l’établissement de la démocratie américaine, partie du bas - comtés et états fédérés. Par la suite, l’Etat moderne dans les pays protestants, n’est pas entré en conflit avec les religions. La société s’y est émancipée du contrôle des Eglises de manière progressive et spontanée.

Il est bien difficile d’expliquer aux étrangers les spécificités de notre fameuse laïcité. Une correspondante de la Deutsche Welle Barbara Wesel, écrivait récemment que « le sécularisme rigide de l’Etat français, où la religion est complètement exclue de la sphère publique, a contribué à rendre le débat conflictuel ». 

Et sur le site The Conversation, deux universitaires australiens, Greg Barton et Fethi Mansouri, écrivent : "En France, le sécularisme signifie qu’il n’y a pas de place dans la vie publique pour exprimer son identité religieuse – à moins que celle-ci soit alignée sur le catholicisme". Sans doute ne sont-ils pas venus depuis longtemps… En tous cas, le président de la République, dans un discours précisant sa position sur la laïcité, vient de déclarer le contraire. Je cite le discours des Mureaux : "La laïcité, c'est la neutralité de l'État et _en aucun cas l'effacement des religions dans la société, dans l'espace public"__._

Aux sources de la laïcité à la française, la loi de 1905

Il faudrait expliquer à ces observateurs peu attentifs que notre laïcité nous vient d’une histoire bien particulière, celle d’une lutte politique du camp républicain, celui de la gauche politique unie, pour émanciper la société de la tutelle du cléricalisme. Chez nous, le conflit politique entre l’Etat et une Eglise, le catholicisme, autrefois dominante, a pris un tour aigu à la fin du XIXe siècle. Et ce conflit a été résolu à l’initiative de l’Etat par une Loi de séparation suffisamment ambiguë pour que chacune des deux parties y trouve finalement son compte. Même si, dans un premier temps, la résistance du camp catholique a été véhémente.

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Aujourd’hui, dans le cadre de cette laïcité, les religions ont voix au chapitre, en particulier sur les thèmes de société. Elles contribuent à la conversation publique, mais elles sont priées de s'abstenir d’intervenir sur le terrain strictement politique. La neutralité de notre Etat dans le domaine des croyances permet la cohabitation pacifique des fidèles des différents cultes et de ceux qui n’appartiennent à aucun. Il faut le savoir : notre fameuse laïcité est mal vue. Bien des journaux américains estiment que le gouvernement se servirait des récents attentats islamistes comme de prétextes pour une "répression de l’islam", menée au nom d’une laïcité intransigeante.

Une tradition ancienne d'expression anti-cléricale

Un des dirigeants du think tank Atlantic Council de Washington, Benjamin Haddad, vient de publier dans la revue Foreign Policy un article répliquant au New York Times. "Faire porter la responsabilité des attentats et la montée du radicalisme à l’Etat français est le signe d’une dangereuse confusion morale, écrit-il. Et il ne convient pas non plus de blâmer le sécularisme." 

Les traditions anticléricales de la presse française sont anciennes, explique-t-il et Charlie Hebdo s’est moqué, depuis des décennies de toutes les religions, chrétiennes en particulier. Les accusations d’islamophobie, qu’on a vu fleurir dans les médias américains sont donc injustes. Et il observe que "dans la fonction publique, le monde des affaires, le journalisme, ou la politique, une nouvelle génération de citoyens français d’origines diverses est en train de faire son chemin." 

Contrairement à ce qui se fait en Amérique, ils n’ont pas spécialement envie d’être étiquetés par une appartenance religieuse ou ethnique. Et Haddad de regretter que les médias américains fassent rarement entendre leurs voix. En même temps, poursuit-il, dénoncer les politiques françaises visant l’islamisme – dont les visées séparatistes sont une réalité facile à constater – comme "islamophobes", c’est tomber dans le piège que tend la minorité islamiste : elle voudrait empêcher l’intégration des musulmans dans la société française. Et il conclut en rappelant aux Américains que les Français, eux, ont clairement écarté l’extrême-droite aux dernières élections... 

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