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Dans le camp Trump, l'offensive juridique se poursuit à coups de «témoins»

Faut-il les prendre au sérieux? Les avocats de Donald Trump, en tout cas, mettent en avant leurs témoignages. Employés des postes, lanceurs d’alerte anonymes… Tous affirment que les votes par correspondance ont été manipulés. Sans apporter pour l’heure de preuves décisives

Donald Trump et le procureur général des Etats-Unis William Barr dans le Maryland, le 9 novembre 2020.  — © MANDEL NGAN/AFP
Donald Trump et le procureur général des Etats-Unis William Barr dans le Maryland, le 9 novembre 2020.  — © MANDEL NGAN/AFP

Les avocats de Donald Trump mènent une course contre la montre. Dès cette semaine, les premiers résultats «certifiés» en provenance des Etats ont commencé à parvenir à la Commission fédérale des élections de Washington. Ironie des circonstances, puisqu'il est l'Etat de la famille Biden, le Delaware a été le premier à boucler ses urnes le 5 novembre. Suivent, entre le 11 et le 20 novembre, une dizaine d'Etats dont la Floride (remportée par Donald Trump). Mais les délais les plus suivis, à la Maison-Blanche, sont ceux des six Etats où tout s'est joué le 3 novembre, parce qu'ils ont basculé in extremis du coté démocrate: la Géorgie (où un recomptage manuel a commencé) doit finaliser les chiffres de ses comtés le 20 novembre, le Michigan doit le faire au plus tard le 23 comme la Pennsylvanie, le Nevada le 24, l'Arizona le 30 novembre et le Wisconsin le 1er décembre.

Autant dire que d'ici là, toutes les accusations de «fraude» brandie par le camp Trump devant les tribunaux devront avoir été étayées – ou mieux, prouvées –, pour espérer que la justice, dans chacun des Etats concernés, gèle le résultat des urnes, ordonne un nouveau décompte, ou – scénario rêvé pour la Maison-Blanche – annule le vote. Une pression d'autant plus forte que, pour l'heure, la plupart des plaintes déposées par «l'armée d'avocats» du président sortant ont été écartées et que les administrations locales, même républicaines, défendent à cor et à cri la transparence du scrutin, tout en reconnaissant ça et là des erreurs techniques. Le ministre de l'Intérieur de Géorgie, le républicain Brad Raffensperger, a ainsi répété mercredi qu'il ne céderait pas aux appels à la démission lancés par les deux Sénateurs de l'Etat issus de son parti. Le recomptage des voix en mode manuel aura lieu, a-t-il reconnu, de différer la confirmation de la victoire de Joe Biden avec 11000 voix d'avance. Mais rien ne permet, selon lui, d'estimer que «tous les votes légaux n'y ont pas été comptés».

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Acharnement

L’histoire du Nevada est révélatrice de l’acharnement de la campagne Trump. Depuis l’ouverture des bureaux de vote le 3 novembre, les plaintes s’y sont amoncelées… la plupart immédiatement déboutées. Exemple: celle déposée par Jill Stokke, une électrice aveugle du comté de Clark, selon laquelle quelqu’un avait déjà voté pour elle. Ce qui s’est révélé faux, lié à une confusion entre homonymes. N’empêche: sur le front juridique, le camp Trump multiplie désormais les témoignages pour sensibiliser l’opinion publique, alors que les magistrats des Etats les plus visés – Nevada, Géorgie, Pennsylvanie, Michigan, Arizona, tous remportés par Joe Biden – se penchent sur leurs écrits. En Pennsylvanie, dont les autorités (démocrates) ont été dès le soir du 3 novembre qualifiées de «corrompues» par Donald Trump. Richard Hopkins, un convoyeur de colis de l'US Postal, affirmait avoir vu des collègues antidater des bulletins par correspondance. Il s'est depuis rétracté. Une accusation presque copiée-collée par une employée de la commission électorale de Detroit (Michigan) Jesse Jacobs, qui affirme avoir été obligé de changer la date sur des bulletins. Sans prouver ses dires...

Cette stratégie paie sur le plan politique. Lundi soir, l’actuel ministre de la Justice, William Barr, a autorisé les procureurs du pays à enquêter, «sur la base d’accusations spécifiques», avant la certification des résultats dans les Etats. Tout en avertissant que «les demandes spécieuses, spéculatives, fantaisistes ou farfelues ne doivent pas servir de base à l’ouverture d’enquêtes fédérales». En théorie, tous les Etats de l’Union doivent avoir certifié leurs résultats (leurs calendriers varient) avant le 8 décembre, date de la désignation des grands électeurs qui, le 14 décembre, voteront conformément aux résultats des urnes le 3 novembre. Avec toujours cet impératif juridique: poursuivre une commission électorale d'un Etat pour «fraude» exige d'obtenir des éléments accréditant l'intention de frauder. «Un fraudeur en chef qui donne les ordres, des centaines voire des milliers de complices vu la taille des Etats concernés, une organisation secrète...Voici ce que les avocats de Trump doivent démontrer» note l'universitaire John Mark Hansen, de l'université de Chicago.

Pas qu’un combat juridique

Une première conséquence d'un autre ordre s'est en tout cas déjà fait sentir: Emily Murphy, la directrice de l’administration des services généraux du gouvernement (General Services Administration), nommée par Donald Trump en 2017, affirme qu’elle n’autorisera pas le déblocage des 10 millions de dollars alloués à l’équipe de transition du président élu tant que le résultat de l’élection du 3 novembre ne sera pas validé et entériné. «Plus les médias restent rivés sur les poursuites, plus l’administration sortante gagne du temps et plus l’idée de conspiration s’installe. C’est leur méthode, a riposté lundi Kate Berner, l’une des porte-parole du candidat démocrate. Ce n’est évidemment pas qu’un combat juridique.»

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Les deux cas les plus emblématiques de cette stratégie du refus engagée par Donald Trump sont deux Etats perdus par rapport à 2016: la Pennsylvanie (où Biden l’a emporté par environ 45 000 voix, là où Trump avait gagné par 44 000 en 2016) et la Géorgie (12 000 voix d’écart contre près de 200 000 suffrages d’avance pour Trump en 2016). Avec une cible favorite: la ville de Philadelphie, en Pennsylvanie (qui a voté démocrate à plus de 67%), où le fils du président, Eric Trump, affirme que des témoins – jusque-là restés anonymes – auraient découvert des «urnes remplies de votes jetées dans des égouts», tandis que d’autres affirment que des bureaux de vote «étaient couverts d’affiches Biden». Autres soupçons de fraude? Ceux brandis par un employé des postes qui affirme avoir vu des urnes être amenées au Centre des congrès de Philadelphie, QG du dépouillement, après l’expiration du délai de trois jours après le scrutin fixé par la loi.

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Trump a droit au recomptage

Des témoins? Le tabloïd New York Post, choyé par l’ancien maire de New York et avocat de Trump Rudy Giuliani, a reçu les confidences de celui-ci. Il promet des «témoignages» décisifs pour «au moins quatre ou cinq des procès intentés» sans avoir pour l’heure dévoilé de smoking gun, cette évidence qui jetterait un doute massif sur les résultats dans au moins un Etat. Important: le possible recomptage des voix en Géorgie et en Pennsylvanie, que le camp Trump présente déjà comme une victoire, est prévu automatiquement par les lois électorales en cas de marge trop étroite.

«Il ne faut pas mélanger les choses, estime David Boies, qui dirigeait l’équipe légale du candidat battu Al Gore en 2000, dans le fameux décompte de Floride qui tourna à l’avantage de George W. Bush. Trump a droit au recomptage des voix. Et en théorie, sur le plan légal, la Cour suprême peut intervenir si elle constate que la situation dans un Etat a altéré l’équité de traitement électoral dans tous les Etats. Mais je ne vois rien venir de la sorte. Je pense au contraire que les sages de la Cour vont chercher à garder leurs distances.»

D’où l’impression de se retrouver face à une stratégie juridique bien connue des avocats: faire le plus de bruit possible, via de supposés témoins, pour rester présent dans les médias et espérer influencer les juges. Avec de jolis honoraires à l’appui: 3 millions de dollars auraient été mis de côté par la campagne Trump pour les seules procédures dans l’Etat du Wisconsin (20 000 voix d’avance pour Biden dans cet Etat remporté par les républicains en 2016).

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«Plus politique que juridique»

Aaron Blake, l’un des éditorialistes du quotidien Washington Post, va plus loin. Selon lui, Donald Trump n’a en réalité pas le cœur à mener ce combat légal. «La question est depuis le début plus politique que juridique, écrit-il. S’agit-il de faire triompher le droit et la démocratie ou de renforcer l’idée que Trump n’a pas perdu à la loyale? Ses avocats sont là pour étayer sur le plan légal un message à ses supporters, en rappelant à chacune de leurs interventions que Trump a récolté 71 millions de voix, record pour un président sortant.»

Procédurier invétéré lorsqu’il était promoteur immobilier, Donald Trump sait en plus que, contrairement à l’élection de 2000 décidée par la Cour suprême en Floride, son sort ne dépend pas que d’un seul Etat. L’actuel décompte des grands électeurs (290 pour Biden, 214 pour lui) impose un renversement électoral dans plusieurs Etats. Impensable. «Les témoins de la supposée fraude sont un spectacle de téléréalité, assène méchamment un diplomate. Trump continue ce qu’il sait faire: un grand show à son unique gloire.»