«La France franchira la barre des dix millions de pauvres en 2020», selon le Secours catholique

A l’occasion de la publication, ce jeudi, du rapport annuel du Secours catholique, sa présidente, Véronique Fayet, s’alarme des conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire.

 Comme chaque année, le Secours catholique publie un rapport sur l’état de la pauvreté en France, à partir de ses propres statistiques.
Comme chaque année, le Secours catholique publie un rapport sur l’état de la pauvreté en France, à partir de ses propres statistiques. LP/Julien Barbare

    « La pauvreté et les inégalités ont augmenté depuis dix ans en France. Nous payons encore les effets de la crise financière de 2008, dont on n'a pas vraiment tiré toutes les leçons. Et avec la crise sanitaire, on se prépare à des mois difficiles… », s'inquiète Véronique Fayet, la présidente du Secours catholique. Pour cette inlassable militante de la lutte contre la pauvreté, les répercussions économiques et sociales de l'épidémie de Covid-19 ne font guère de doute : « La France franchira la barre des dix millions de pauvres en 2020. »

    Selon l'Insee, la France comptait 9,3 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté monétaire, soit 1063 euros par mois, en 2018. L'intérêt du rapport que le Secours catholique produit chaque année à partir de ses propres statistiques est de dresser un état de la pauvreté en France avec au moins un an d'avance par rapport aux données officielles de l'Insee.

    L'association, qui a accueilli l'an passé 1,4 million de personnes, intègre également des populations sans domicile ou en situation administrative instable dont la statistique publique peine à rendre compte. Notamment les étrangers, dont le Secours catholique note que « la part dans la population française reste stable, autour de 7,4 % » mais que « le statut légal est toujours plus précaire ». L'an dernier, les personnes étrangères représentaient « près d'un adulte sur deux (49 %) » accueillis par le Secours catholique.

    Quant aux personnes sans activité, elles représentaient « 57 % des adultes rencontrés, soit 12 points de plus qu'en 2015 (alors que 92 % sont en âge de travailler). Les personnes n'ayant pas le droit de travailler représentent 23 % des adultes rencontrés », notent les auteurs du rapport. Si bien que « le chômage de longue durée continue à être très prégnant. La part de celles et ceux qui sont au chômage depuis plus d'un an a fortement augmenté depuis le début de la décennie. En 2019, cette situation concerne 46 % des chômeurs indemnisés et 63 % des chômeurs non indemnisés (NDLR : dans les personnes accompagnées). Un phénomène que la crise actuelle risque d'aggraver. »

    Côté ressources, « le niveau de vie médian de l'ensemble des ménages rencontrés au Secours catholique en 2019 baisse de 5 euros par rapport à 2018 (en euros constants) pour atteindre 537 euros, un chiffre très en dessous du seuil d'extrême pauvreté (40 % du revenu médian), estimé à 716 euros en 2019. 23 % des ménages ne percevaient même aucune ressource, c'est 8 points de plus qu'en 2010 », notent les auteurs du rapport. Enfin, « près d'un ménage sur trois accueilli au Secours catholique en 2019 n'avait pas accès à un logement stable, c'est 10 points de plus qu'en 2010 ».

    Le budget de 3000 familles passé au crible

    Pour apprécier encore plus finement l'évolution — ou plutôt l'aggravation — de la pauvreté sur dix ans, le Secours catholique a décortiqué le budget de 3000 familles parmi celles rencontrées et l'a comparé à ses données d'il y a dix ans. « Nous avons pris un échantillon homogène de ménages qui ont un logement, des ressources — donc, qui ne sont pas parmi les plus pauvres — et le même type de dépenses », explique Véronique Fayet, la présidente du Secours catholique.

    Résultat : « le revenu médian des familles que l'on recevait en 2010 était de 548 euros par personne et par mois. L'an dernier, il était de 537 euros, en euros constants. Donc le revenu des familles n'a pas augmenté, alors que de nombreuses dépenses ont augmenté comme le logement, l'électricité, le chauffage ».

    Au moins 7 euros par jour et par personne pour se nourrir

    « Une fois que l'on déduit toutes les dépenses contraintes (logement, eau, chauffage, etc.) et les dépenses pré-engagées comme la téléphonie, la cantine des enfants, les transports, etc., le « reste pour vivre », c'est-à-dire l'argent disponible pour se nourrir, s'habiller, acheter des produits d'hygiène, voire quelques loisirs, est inférieur à 9 euros par jour et par personne (UC, unité de consommation) pour la moitié des ménages étudiés », détaille Véronique Fayet. Elle précise aussi que « pour les familles monoparentales avec trois enfants, la moitié d'entre elles ont moins de 16 euros par jour, soit 4 euros par jour et par personne. »

    Or le Secours catholique estime à environ 7 euros par jour et par unité de consommation la dépense minimale d'alimentation des ménages les plus modestes. Plus de quatre ménages rencontrés sur dix sont donc dans l'incapacité de couvrir leurs dépenses alimentaires quotidiennes, avec ce qu'il leur reste pour vivre… ou « plutôt pour survivre », estime Véronique Fayet.

    « Cela oblige les familles à faire des choix impossibles tous les jours, avec un risque d'endettement dès qu'il y a un imprévu, dès qu'un enfant tombe malade ou que le scooter est en panne. Impossible de manger cinq fruits et légumes par jour, on ne fête pas les anniversaires, les enfants ne vont pas aux anniversaires des petits copains car on ne sera pas en mesure de rendre la politesse, etc. »

    Demande d'un revenu minimum garanti à 890 euros

    « Pour beaucoup, 2020 est l'année de tous les dangers : risque sanitaire, perte de revenus, isolement dû au confinement, distanciation, peur de l'autre, chômage », notent les auteurs du rapport. « Nous redemandons la mise en place d'un plancher social qui protège tout le monde des accidents de la vie, que l'on soit jeune dès 18 ans ou une personne âgée à la retraite », déclare Véronique Fayet. Concrètement, le Secours catholique réclame la création d'un revenu minimum garanti pour tous, y compris les moins de 25 ans qui n'ont pas droit aujourd'hui au RSA, équivalent à 50 % du revenu médian en France, soit 890 euros par mois et par personne.

    « Nous voudrions que le gouvernement ait l'ambition de créer ce plancher social au niveau du seuil de pauvreté (890 euros pour une personne seule) pour que les gens se sentent vraiment en sécurité. Avec bien entendu un accompagnement renforcé pour trouver du travail, car les gens veulent travailler. »