Écoutez Émile Durkheim parler en 1913 de la valeur des choses

Emile Durkheim
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Ecoutez Emile Durkheim parler des jugements de valeur
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Écoutez Émile Durkheim parler en 1913 de la valeur des choses

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Archive | Vous pensiez impossible d'entendre la voix de cet immense intellectuel, le "père de la sociologie", Émile Durkheim ? Et pourtant, il fut enregistré par un de ses collègues linguistes en 1913, à la Sorbonne. Dans cette archive, Durkheim choisit de parler de la valeur des choses.

Voici un trésor des Archives de la Parole, conservé depuis plus de cent ans, aujourd'hui précieusement gardé à la Bibliothèque nationale de France (BnF). C’est la voix d’Émile Durkheim, le “père de la sociologie”, l’un des plus importants penseurs modernes.

L'enregistrement de Ferdinand Brunot

Quelques années seulement avant la mort de Durkheim, un linguiste précurseur, Ferdinand Brunot, professeur à la Sorbonne, décide de capter les grandes voix de son temps.

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Grâce aux premiers phonographes créés par Pathé, Ferdinand Brunot fonde un studio dans son université, et enregistre plus de 300 témoignages parlés, dont quelques illustres collègues universitaires, comme Émile Durkheim. Tous deux sont convaincus que la pédagogie peut passer par la transmission orale. Le sociologue en profite donc pour répondre à une question clé de l'histoire des idées, jusqu’à aujourd’hui : comment se fondent les jugements de valeur ? Qu'est-ce qui fait la valeur d'une chose ? 

La valeur des choses, selon Durkheim

Émile Durkheim : "Si vraiment la valeur des choses se mesurait d'après le degré de leur utilité sociale (ou individuelle), le système des valeurs humaines devrait être révisé et bouleversé de fond en comble ; car la place qui y est faite aux valeurs de luxe serait, de ce point de vue, incompréhensible et injustifiable. 

Par définition, ce qui est super­flu n'est pas, ou est moins utile que ce qui est nécessaire. Ce qui est surérogatoire peut manquer sans gêner gravement le jeu des fonctions vitales. En un mot, les valeurs de luxe sont dispendieuses par nature ; elles coûtent plus qu'elles ne rapportent. Aussi se rencontre-t-il des doctrinaires qui les regardent d'un œil défiant et qui s'efforcent de les réduire à la portion congrue. Mais, en fait, il n'en est pas qui aient plus de prix aux yeux des hommes. 

L'art tout entier est chose de luxe ; l'activité esthétique ne se subordonne à aucune fin utile ; elle se déploie pour le seul plaisir de se déployer. De même, la pure spéculation, c'est la pensée affranchie de toute fin utilitaire et s'exer­çant dans le seul but de s'exercer. Qui peut contester pourtant que, de tout temps, l'humanité a mis les valeurs artistiques et spéculatives bien au-dessus des va­leurs économiques ? 

Tout comme la vie intellectuelle, la vie morale a son esthé­tique qui lui est propre. Les vertus les plus hautes ne consistent pas dans l'accomplis­se­ment régulier et strict des actes les plus immédiatement nécessaires au bon ordre social ; mais elles sont faites de mouvements libres et spontanés, de sacrifices que rien ne nécessite et qui même sont parfois contraires aux préceptes d'une sage économie. 

Il y a des vertus qui sont des folies, et c'est leur folie qui fait leur grandeur. Spencer a pu démontrer que la philanthropie est souvent contraire à l'intérêt bien entendu de la société ; sa démonstration n'empêchera pas les hommes de mettre très haut dans leur estime la vertu qu'ils condamnent. 

La vie économique elle-même ne s'astreint pas étroitement à la règle de l'économie. Si les choses de luxe sont celles qui coûtent le plus cher, ce n'est pas seulement parce qu'en général elles sont les plus rares ; c'est aussi parce qu'elles sont les plus estimées. C'est que la vie, telle que l'ont conçue les hommes de tous les temps, ne consiste pas simplement à établir exactement le budget de l'organisme individuel ou social, à répondre, avec le moins de frais possible, aux excitations venues du dehors, à bien proportionner les dépenses aux réparations.

Vivre, c'est avant tout agir, agir sans compter, pour le plaisir d'agir. Et si, de toute évidence, on ne peut se passer d'économie, s'il faut amasser pour pouvoir dépenser, c'est pourtant la dépense qui est le but ; et la dépense, c'est l'action."

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Archive : Archive de la parole, conservée à la Bibliothèque nationale de France. Merci au service Son du département de l’Audiovisuel, BnF et au Service de la coopération numérique et de Gallica, BnF. Archives de la Parole, conservation : BnF, Département de l’Audiovisuel, service Son.

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