Covid : « En réanimation, la gravité est là, partout, en permanence »
LES SOIGNANTS FACE AU CORONAVIRUS, épisode 46. Laurent Bitker est chef de clinique au service de réanimation médicale de l'hôpital de la Croix Rousse, à Lyon. Dans ce pôle de référence pour tout Auvergne-Rhône-Alpes, il a davantage de patients en état « gravissime » qu'au printemps.
Par Elsa Freyssenet
« Récemment, j'ai dû faire une demande inouïe à un monsieur de 87 ans. Son épouse était en réanimation chez nous, elle était intubée mais dans un état stable donc nous voulions la transférer à Poitiers afin d'accueillir un autre patient Covid dans un état encore plus grave.
Ce monsieur m'a dit « non » car il était inconcevable pour lui d'être séparé de sa femme et de prendre le risque qu'elle meure seule. Moi j'étais tiraillé entre mon rôle de soignant et mon empathie : je prenais conscience que ma demande lui semblait d'une violence folle. Nous avons gardé son épouse car une autre famille a accepté le transfert et je leur en suis reconnaissant.
Besoin de confiance
Nous avons besoin de la confiance des familles car le risque principal de cette épidémie c'est la décohésion de la société, la distanciation dans tous les sens du terme. L'hôpital doit rester un lieu de cohésion sociale.
Alors je prends comme un énorme cadeau la confiance des familles, et en retour, nous nous engageons à ne pas être déloyaux à l'égard des patients. C'est-à-dire que, malgré le risque de saturation, nous n'avons pas durci nos critères d'admission en réanimation ni abaissé la limite d'âge. Si nous devions modifier nos critères, l'équipe à laquelle j'appartiens a décidé qu'elle poserait le débat en place publique.
L'hôpital de la Croix Rousse est passé de 25 lits de réanimation habituellement à une soixantaine. Dans mon service, 28 lits sur 30 sont occupés par des patients Covid. Contrairement à ce qui a été beaucoup dit, la première vague était tout aussi intense que celle-ci pour nous.
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La vraie différence n'est pas le nombre de patients en réa mais la gravité de leur état. A chaque fois que je parcours le couloir qui longe les chambres, la gravité me saute aux yeux : elle est là partout, en permanence. Non seulement tous nos patients sont intubés, sédatés mais sept d'entre eux ont dépassé ce stade pour être mis sous ECMO. C'est une technique d'oxygénation extracorporelle du sang que l'on utilise quand les poumons sont tellement pleins de pus qu'ils ne peuvent plus accueillir l'air.
Se préparer à l'urgence
Le Covid est une maladie gravissime ! Même dans les pires années de grippe, nous n'avons jamais vu ça. Dans le service, seuls 20 % des patients sous ECMO survivent. En ce moment, nous posons une ECMO pas jour. Nous n'avons que sept appareils, tous utilisés. Que fera-t-on si nous avons besoin d'un huitième ? Mon chef de service est en train d'en chercher dans d'autres hôpitaux.
A l'échelle nationale, cela n'aurait pas de sens de maintenir 10.000 lits de « réa » ouverts en permanence : hors épidémie, nous sommes correctement armés pour faire face. L'important c'est d'avoir des protocoles de montée en charge qui nous préparent à l'urgence. »
Propos recueillis par Elsa Freyssenet