Julie -un pseudonyme-, aujourd'hui âgée de 26 ans, accuse vingt-deux pompiers de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) de l'avoir violée à de nombreuses reprises entre ses 13 et 15 ans. Si une première plainte est déposée en 2010, c'est au terme d'une enquête longue, en juillet 2019, que l'affaire prend un tournant plus médiatique.

À l'époque, Julie et sa mère, Corinne Leriche, apprennent avec stupéfaction que les trois pompiers professionnels contre lesquels des poursuites pour viol aggravé ont été retenues, et qui sont donc censés être jugés aux Assises, seront finalement renvoyés vers le tribunal correctionnel. Les faits sont en effet requalifiés d'"atteinte sexuelle en réunion", sous-entendant qu'il y aurait eu une forme de consentement. La décision est même confirmée en novembre 2020 par la cour d'appel de Versailles. L'histoire de Julie émeut et choque à la fois. Proches et associations féministes se mobilisent alors pour interpeller la justice et l'opinion publique.

"Voilà une décision qui ne fait pas honneur à la justice française dans sa conception de ce qu'est un viol, déplorait l'avocat de la famille, Maître Tamalet. Cela démontre une fois encore que nous avons un retard énorme dans l'écoute des victimes en la matière, et dans la conception de ce qu'est un consentement à un acte sexuel."

Pour la justice, pas de "viol aggravé" ni de "corruption de mineur"

Julie se tourne alors vers la Cour de cassation, laquelle rejette elle aussi, en mars 2021, la demande de requalification des chefs d'accusation mais décide de réétudier deux points : le chef d'accusation de corruption de mineurs pour les trois hommes poursuivis, et celui de viol pour l’un d’eux. A l'époque, la jeune femme accorde sa première interview - de dos - à Médiapart

Vidéo du jour

Le 1er février 2022, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles tranche : la poursuite des pompiers incriminés pour "corruption de mineur" n'a pas été retenue. Les trois accusés restent inculpés d'atteinte sexuelle et seront biens renvoyés par le tribunal correctionnel.

Echappant à un jugement pour viol devant les Assises, la peine maximale encourue par les trois accusés s'est ainsi vue réduite de moitié, passant de 20 ans de réclusion possible pour un tel crime à dix ans dans le cadre d'un délit.

Le combat de Julie continue cependant, et l'affaire n'a pas fini d'être examinée par la justice. En octobre 2021, la jeune femme, qui s'est constituée partie civile, a de nouveau porté plainte. Elle accuse 18 autres pompiers de Paris de corruption de mineurs et de harcèlement sexuel, ainsi que 17 d'entre eux de viol, rapporte Le Parisien le 1er février 2022.

Une adolescente vulnérable, une femme "détruite"

Les faits rapportés par Julie et sa famille remontent à 2008 et auraient couru jusqu’en 2010. À l’époque, Julie n’a que 13 ans et fait des crises de spasmophilie. Après une crise au collège nécessitant une intervention des pompiers, un membre de l’équipe de soignants, âgé de 20 ans, récupère son numéro de téléphone sur sa fiche d’intervention. Quand il la recontacte, l’adolescente croit d’abord aux prémices d’une amitié.

Il m'a posée sur le lit, s'est assis à califourchon sur moi et m'a violée.

Elle raconte au Parisien : "Un jour, alors que ma mère s'était absentée, il m'a posée sur le lit, s'est assis à califourchon sur moi et m'a violée. À partir de là, ma vie a basculé pour devenir un enfer…"

Entre 2008 et 2010, les pompiers doivent intervenir 130 fois au domicile de Julie, qui suit un lourd traitement médicamenteux. C'est durant cette période qu'elle affirme avoir été violée par une vingtaine de pompiers, pour la plupart en poste à la caserne de Bourg-la-Reine (Hauts-de-Seine). Ils étaient âgés d'une vingtaine d'années au moment des faits présumés.

Scarifications, crises d’angoisse et de tétanie à répétition, feront désormais partie du quotidien de l'adolescente. Une première tentative de suicide survient. Un enchaînement d'événements qui nécessiteront au total plus d’une centaine d'interventions des pompiers, entre 2008 et 2010. La jeune fille est psychologiquement fragilisée. 

Quelques mois plus tard, alors qu’elle sort d’hôpital psychiatrique, le jeune pompier qui avait récupéré son numéro lors de la première intervention vient la chercher chez elle pour "une promenade". 

Il m'a dit qu'ils allaient se balader dans un parc.

Sa mère, Corinne, s’en rappelle encore : "Il m'a dit qu'ils allaient se balader dans un parc et je lui ai d'ailleurs rappelé que ma fille n'avait que 14 ans". Il finira par emmener la jeune fille chez lui. Cette dernière décrira par la suite un viol en réunion, avec deux autres de ses collègues. 

#JusticepourJulie

Après le dépôt d'une plainte en 2010, plusieurs autres tentatives de suicide, dont une défenestration, Julie est désormais handicapée à 80%. En novembre 2018, elle confiait déjà au Parisien avoir été "détruite" par cette affaire. 

Quelques mois plus tard, à la suite de la requalification de son accusation de "viol" en "atteinte sexuelle, elle indiquait encore au journal : "Non, à 13 ou 14 ans, on ne peut pas donner son consentement pour des rapports sexuels avec plusieurs personnes qui passent à la suite !".

Le 21 juillet 2020, la jeune femme a avalé "plusieurs boîtes de médicaments" pour tenter de mettre fin à ses jours, racontait également sa mère au quotidien. Hospitalisée et tombée dans le coma, Julie s'en est sortie.

Crue et soutenue par des associations et militantes féministes sur les réseaux sociaux, Julie voit émerger un hashtag relatant son combat, devenu viral : #JusticepourJulie. En parallèle, une pétition en ligne lancée par la mère de la jeune femme a récolté plus de 250 000 signatures. 

Les pompiers l’estimaient consentante 

De leur côté, les accusés estiment qu'il y a eu consentement. Le jeune homme, Pierre C. qui avait initialement récupéré son numéro n’a jamais caché avoir su que Julie était mineure. Il estime que la jeune fille était alors tout à fait consciente de la situation. 

Selon les propos de son avocate, Me Daphné Puglies, recueillis en 2019 par Le Parisien : "Il maintient sa position, ils étaient alors en couple et elle était parfaitement consentante". À l’époque pourtant, la jeune fille est sous antidépresseurs, neuroleptiques et anxiolytiques. Elle était comme un "légume" d'après sa mère, relaye Libération.

Les autres pompiers avouent quant à eux l’avoir "fichée nympho" (sic) et fait circuler son numéro. Les rapports se seraient alors multipliés dans des parcs, les parkings, et même dans les toilettes de l’hôpital pédopsychiatrique dans lequel Julie a été internée. Le pompier ayant reconnu ce fait n’a jamais été poursuivi. 

Dans cette affaire, dix autres militaires initialement incriminés ne tomberont finalement pas sous le coup d’un "abus d’autorité", la justice estimant qu’ils n’ont pas agi dans le cadre de leur fonction. Quatre autres, accusés de n’avoir pas secouru l’adolescente lors d’une crise de spasmophilie survenue après un rapport, ont aussi été mis hors de cause.