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Identifié grâce à des vidéos, un policier condamné pour des violences sur des gilets jaunes
La scène avait été massivement relayée sur les réseaux sociaux.
Capture d'écran Twitter

Identifié grâce à des vidéos, un policier condamné pour des violences sur des gilets jaunes

La preuve en images

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Un policier était jugé jeudi pour des violences contre deux gilets jaunes. Il n'avait pu être confondu que grâce à deux vidéos sur les réseaux sociaux. Aurait-il échappé à la justice avec la future loi "sécurité globale" qui veut encadrer les images des policiers en opération ?

« Je me suis senti honteux de porter un coup comme ça, en uniforme. Je ne suis pas rentré dans la police pour ça, pour être violent avec qui que ce soit. » Ce sont des remords extrêmement rares, quasi uniques, que déclame, ce 12 novembre, le jeune brigadier Alexis B. devant le tribunal correctionnel de Paris. Dans un futur proche, ils auraient pu n’être jamais prononcés. Et lui jamais condamné, comme ce soir, à 8 mois de prison avec sursis pour ses violences.

Dix ans de police et une passion pour l’uniforme, Alexis B. est l’auteur d’un geste assez peu protocolaire, commis en marge d’un cortège de gilets jaunes. Le 23 février 2019, place du Trocadéro, à Paris, c’est lui qui assène un violent coup de pied au visage d’un manifestant en train d’être interpellé et plaqué au sol par un groupe de policiers de la CSI 75. Seules deux vidéos amateurs de la scène, massivement diffusées sur la Toile, ont ensuite permis de l’identifier.

Le futur des violences policières

Aussi le procès de ce policier, qui répondait de « violences volontaires commis par personne dépositaire de l’autorité publique », prenait-il une teinte toute particulière à l’heure où la future loi « sécurité globale », poussée par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, est en passe d’être débattue au Parlement. La controverse achoppe surtout sur son article 24 : il vise à interdire la diffusion d’images d’un policier… si tant est qu’elles portent « atteinte à son intégrité physique ou psychique ». Suffisamment flou pour que des collectifs citoyens et des journalistes s’inquiètent : la diffusion d’images de policiers non-floutés sera-t-elle encore possible ? Les exposera-t-elle à des poursuites ?

Chose rare, à la fois la défense, le ministère public et le tribunal s’accordent, ce jour de novembre, à dire que l’enjeu de ce procès débordait largement des murs de ce Tribunal de Paris. « Depuis trois ans, la France s’est réveillée sur les violences policières. Ce troisième œil qu’est le téléphone portable a permis de les rendre visibles. Cette instruction n’aurait pas été possible si cette loi ‘sécurité globale’était déjà en vigueur », tonne Me Lucie Simon, avocate de la partie civile. « La vidéo a joué un rôle très important. On voit fleurir ces vidéos un peu partout, et, même tronquées, elles sont utiles. Ici, une enquête pénale a été déclenchée sans même une plainte », embraye la procureure.

Silhouette frêle, cheveux courts coiffés au gel et chemise blanche, le policier Alexis B., admet aussi à la barre que le visionnage de cette vidéo fut pour lui l’électrochoc qui l’a poussé à se manifester : « Je me suis reconnu immédiatement. Je savais également qu’on allait me demander des comptes. » Deux jours après les faits, il rédige un rapport administratif, dans lequel il reconnaît être l’auteur de ce coup de pied. Telle est sa justification : le plaignant aurait frappé un fonctionnaire, un peu plus tôt, lors d’échauffourées sur un pont au-dessus de la Seine.

Trois signalements à l'IGPN

Ces vidéos enclenchent trois signalements à l’IGPN, la police des polices, qui ouvre une enquête. Hors champ des caméras cette fois, une autre scène a aussi pu être reconstituée. Car quelques secondes après son coup de pied sur Manuel A., le brigadier frappe à l’aide de son bâton souple la pommette de Domingo (frère de Manuel) alors que celui-ci est retenu par deux policiers. Il ne fait que « repousser » l’individu qui le menaçait d'un coup de boule, nuancera-t-il dans son rapport, en « apposant sa matraque sur la pommette ». « C’est un coup », corrige la juge — il en résultera un gros coquard sous l’œil gauche.

Dans un remarquable interrogatoire, la vice-présidente du tribunal met le policier en difficulté : « Il est au sol, mains derrière le dos, qu’est ce qui vous fait craindre à ce point que l’interpellation ne se passe pas bien ?
— J’avais peur qu’il reprenne la fuite. J’ai voulu apporter mon grain de sable (sic) en faisant ce geste qui, je le reconnais, n’est pas approprié. »

Il était pourtant immobilisé au sol. Selon son rapport, l’interpellé « se débat ». Son collègue qui pilotait l’interpellation est formel : celle-ci s’est passée « sans difficulté particulière ».

« Pourquoi dites-vous qu’il tentait de porter des coups alors que ce n’est pas le cas ? », insiste la juge. C’est un « geste venu comme ça », tente le policier, pour « aider au mieux des collègues ».

« Pourquoi un coup de pied au visage ? poursuit la magistrate.
C’était pas le but de mettre un coup de pied au visage gratuitement comme ça, mais sur le haut du corps…
— Mais vous voyez ou pas ce que vous faites Monsieur ? Votre collègue a un genou appuyé sur sa nuque. Rassurez-moi : vous étiez en pleine maîtrise de toutes vos capacités ?
»
Le policier est acculé : « Je tiens à présenter mes excuses, je ne tenais pas à lui faire mal. »

Il explique son geste par les échauffourées survenues un peu plus tôt. Ses collèges avaient été les cibles de jets de bouteille et de tirs de mortier d’artifice. « Il était habité par un esprit de revanche, pour ne pas dire autre chose », annonce même son propre avocat, Me Louis Cailliez.

Une tâche sous l'œil gauche

Manuel A., l’homme frappé au sol, s’avance maintenant à la barre. Crâne rasé, il arbore un pull de motard et un pantalon baggy, il porte un anneau à l’oreille et se révèle peu causant. « J’avais jamais eu de problème avec les policiers. Je venais tous les samedis. On venait pour manifester, pas pour casser, ou frapper des forces de l'ordre. »

Domingo, son frère, est son portrait craché, sauf qu’il est tatoué et que sa voix est plus claire. « Ils m’ont pris par les bras, un de chaque côté. C’était tellement rapide que j’ai eu aucune réaction. J’aurais eu du mal à lui mettre un coup de boule, j’étais maintenu par les bras »

Son avocate Me Simon montre alors la tache brune que le coup de matraque lui a laissée sous l’œil gauche. « Un mauvais souvenir », dit Domingo.

Dans sa plaidoirie, la pénaliste insiste sur la « crise de légitimité de la police, qui ne peut être guérie que s’il y a un contrôle la police » et dénonce « un coup pur et dur, gratuit ». Selon la pénaliste, c’est cette « gratuité » du geste qui a « ému la France entière ». « C’est œil pour œil, dent pour dent, mais une vengeance… pour des faits auquel Monsieur B. n’a pas assisté ! » Elle dénonce le « caractère pulsionnel de l’acte » puis sa « défense méthodique » par torsion de la réalité des faits sur rapports et sa fiche d’interpellation.

La procureure dévie peu de cette ligne, car pour elle, la culpabilité du policier est sans conteste. « On ne donne pas de coup de pied ou de matraque par négligence ou par inadvertance », sermonne-t-elle. Il n’y a, à ses yeux, ni légitime défense, ni respect de la doctrine policière, mais seulement des « violences illégitimes » : « Il n’y avait pas d’agression en cours, ils ne résistent pas à leur interpellation. Ses gestes ne sont absolument pas proportionnés. » Le ministère public requiert 8 mois de prison de sursis sans interdiction d’exercer. Dans la soirée, le tribunal a suivi les réquisitions.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne