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Marseille : la maire fantôme et son omniprésent premier adjoint

Benoît Payan et Michèle Rubirola sur la terrasse de l’hôtel de ville de Marseille, le 23 octobre.
Benoît Payan et Michèle Rubirola sur la terrasse de l’hôtel de ville de Marseille, le 23 octobre. © Philippe PETIT/PARISMATCH
Mariana Grépinet

Michèle Rubirola, élue en juillet, et son adjoint Benoît Payan forment un attelage étonnant où chacun préférerait être à la place de l’autre. Dans la cité phocéenne, beaucoup se demandent combien de temps cela tiendra.

Ce jeudi 5 novembre, deux ans jour pour jour après le drame de la rue d’Aubagne , un hommage est rendu aux huit personnes tuées dans l’effondrement de deux immeubles. Le moment est attendu. La nouvelle équipe municipale a promis de faire bouger les choses sur le terrain du logement. Mais ce jour-là, Michèle Rubirola n’est pas là. Cas contact, elle est à l’isolement, chez elle. «Ce n’est pas en quatre mois qu’on peut lutter contre vingt-quatre ans d’habitat indigne », explique-t-elle au téléphone sur les ondes de France Bleu Provence. Sur place, son premier adjoint, Benoît Payan, la représente. Empruntant un habit qu’il rêve d’endosser.

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Ils fonctionnent en duo là où, pendant vingt-cinq ans, Jean-Claude Gaudin a régné en maître. Michèle Rubirola, 64 ans, médecin dans les quartiers nord pour l’Assurance maladie, a été élue maire en juillet. «Parce qu’il fallait une tête de liste», répète depuis cette féministe, antimilitariste, qui a rejoint les Verts en 2002. «Ça lui est tombé dessus, mais elle en a les capacités », analyse Jean-Luc Bennahmias, ex-élu écolo passé un temps par le MoDem, fin connaisseur de la politique locale. Le socialiste et ambitieux Payan s’est effacé au profit de sa binôme pour permettre la victoire de la gauche à Marseille. Ces deux-là se sont trouvés il y a cinq ans déjà, pour les départementales. « On a inventé quelque chose en 2015 », se souvient Benoît Payan. Tout le monde leur prédit l’échec, prétendant que l’écologie n’est pas soluble dans le social et inversement. Au second tour, ils emportent le canton de Marseille face au Rassemblement national avec 67% des suffrages. «Aux municipales, on nous a expliqué qu’on était des rigolos, dit-il avec un sourire. Et pourtant, on l’a fait! »

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Michèle Rubirola revendique une gestion collective, à l’image de la campagne du Printemps marseillais. Et l’équipe municipale compte de nombreuses personnalités expérimentées, telles que l’ex-sénatrice PS Samia Ghali, la députée suppléante de Jean-Luc Mélenchon Sophie Camard ou l’ancien conseiller régional communiste Jean-Marc Coppola. Mais c’est un tandem qui dirige la ville, celui que «madame la maire » forme avec l’omniprésent «M. Payan». «On se complète, on s’augmente, on s’additionne», jure le premier adjoint de 42 ans, qui fut pendant six ans le chef de l’opposition socialiste au conseil municipal après avoir été conseiller politique dans un ministère au début du quinquennat Hollande. Les tâches se répartiraient « naturellement » : à Rubirola la santé, à Payan les relations avec les institutions, l’urbanisme, la gestion du port. Ils reconnaissent qu’ils « s’engueulent » parfois. Mais déléguer et faire confiance sont pour la maire une manière écolo de faire de la politique. Avec elle, pas de faux-semblants. Dans une réunion récente avec le directeur général de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, elle assume: «Je ne connais pas les sujets, mes adjoints vont prendre le relais.»

Michèle Rubirola continue de chanter avec sa chorale, une fois par semaine

«Pour que les choses fonctionnent, il faut un seul et unique patron», assène le président LR de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, Renaud Muselier, qui sait de quoi il parle, lui qui fut treize ans durant le premier adjoint de Jean-Claude Gaudin. Depuis son élection le 4 juillet, il demande à voir Michèle Rubirola, en vain: «Je ne discute pas avec le premier adjoint. Celui qui a la signature, c’est le maire.» Il n’est pas le seul à réagir ainsi. En préfecture, elle est assise à côté du préfet ; si un adjoint la représente, il est placé à l’autre bout de la table. «Michèle est maire, elle en a l’autorité institutionnelle mais pas les codes », constate encore un proche, quatre mois après sa prise de fonction. Elle avait pourtant prévenu: la verticalité, les fastes, très peu pour elle. Que son bureau soit longtemps resté en travaux n’est d’ailleurs peut-être pas un hasard. «Tout cela la dépasse, elle n’a pas compris qu’une partie de sa vie lui échappait à partir du moment où elle devenait maire», ajoute un collaborateur. Quand les nouveaux élus s’adaptent, elle refuse de modifier ses habitudes. La preuve : elle continue de chanter avec sa chorale, une fois par semaine. Cette attitude pose parfois des problèmes. Le 18 octobre, elle est allée rendre hommage aux côtés de centaines d’habitants au professeur assassiné Samuel Paty sous l’ombrière du Vieux-Port. «J’y vais seule, en métro et sans sécurité», insiste-t-elle dans une forme d’inconscience. Ses premiers pas sont compliqués. «Elle a du mal à communiquer, elle passe mal», constate la sénatrice des Bouches-du-Rhône Marie-Arlette Carlotti. Son passage raté en duplex dans l’émission politique de France 2 a laissé des traces. Tout comme ses allusions au fait qu’elle pourrait ne pas aller au bout de son mandat.

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Payan sera loyal jusqu’au bout, mais il pourrait être un recours, un jour, si elle ne veut plus ou ne peut plus...

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Il y a aussi ses absences pour raisons de santé. Fin septembre, lorsque le gouvernement annonce la fermeture des bars et des restaurants de la ville, Michèle Rubirola est en convalescence à la suite d’une intervention chirurgicale. Pendant un mois, son adjoint assure l’intérim. Benoît Payan gère la crise politique, mobilise les équipes, anime un conseil municipal important qui dure plus de huit heures. «Avec lui, on sait où on va. Il ne pousse pas, mais si tu lui donnes les clés, il les prend», explique un membre du cabinet. Ses adversaires comme ses amis louent ses talents d’orateur, sa force de travail et son «épaisseur». Passionné depuis l’adolescence par la politique –il a adhéré à la section locale du PS marseillais à 15 ans après en avoir trouvé le numéro de téléphone dans l’annuaire–, cet admirateur de Lionel Jospin n’a jamais caché ses ambitions. «On le surnomme Iznogoud, il se comporte comme celui qui veut être calife à la place du calife », tacle un adversaire politique.

Payan a pris «de l’envergure», constate la socialiste Marie-Arlette Carlotti, qui le connaît depuis presque trente ans: «Il sera loyal jusqu’au bout, mais il pourrait être un recours, un jour, si elle ne veut plus ou ne peut plus...» Pendant le premier confinement, ce grand lecteur, qui n’a plus guère de temps, s’est replongé dans «L’aube le soir ou la nuit», le livre-enquête de Yasmina Reza qui retrace la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007. A la toute fin, l’auteure cite Patrick Devedjian: «Le pouvoir, c’est comme l’horizon, plus il s’approche, plus il s’éloigne. Mais il faut voir le paysage qu’il y a derrière la montagne.» Dans son bureau de l’hôtel de ville, réservé au premier adjoint mais inoccupé depuis des années, Benoît Payan a accroché un tableau signé Gilles Aillaud représentant des pingouins dans un aquarium. Et de lâcher, avant de le regretter: «Parfois, j’ai l’impression de leur ressembler...» 

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