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Photographie : De Man Ray à Sarah Moon, l'éternelle modernité du noir et blanc

Ni les progrès techniques, ni les écrans n'ont eu raison de lui. Le noir et blanc est l'origine de la photographie et il reste l'une des plus belles grammaires de cet art narratif nommé, littéralement, écriture de lumière.

Josef Koudelka, « Apollonia, Libye », 2007.
Josef Koudelka, « Apollonia, Libye », 2007. (©Josef Koudelka/Magnum Photos/BNF)

Par Michèle Warnet

Publié le 11 nov. 2020 à 13:58Mis à jour le 13 nov. 2020 à 01:11

Deux teintes, deux mots, qui évoquent à eux seuls tout un art. « Il suffit de dire noir et blanc pour comprendre photographie », résume l'historien du médium Michel Poivert. Alors qu'en quelques décennies, au XXe siècle, la couleur a emporté l'écrasante majorité des autres images, à bientôt 200 ans, la photo a, elle, fait de sa contrainte originelle son essence. En la distanciant du réel, le noir et blanc lui a fait gagner ses lettres de noblesse et les cimaises des musées. En cette rentrée, avant que le Covid-19 ne nous reconfine, Paris avait commencé à le fêter avec Sarah Moon, Flore ou Man Ray et le Grand Palais s'apprêtait à ouvrir une exposition kaléidoscope qui lui était entièrement consacrée, avec la fabuleuse collection de la Bibliothèque nationale de France.

Flor Garduño, Canasta de luz (Corbeille de lumière, 1989).

Flor Garduño, Canasta de luz (Corbeille de lumière, 1989).©Flor Garduño/BnF

D'une beauté graphique évidente, le noir et blanc se double, avec le procédé de tirage argentique, d'un artisanat d'art. La jeune photographie, soucieuse de s'extraire de la profusion digitale des images, le revisite de façon expérimentale. « Le noir et blanc revient comme élément contemporain et non seulement comme une tradition. On a franchi un cap », analyse Michel Poivert. Il ranime aussi un duo, celui du photographe et du chimiste qui matérialise sa vision, le tireur. Une relation artiste-artisan qui perdure pour Raymond Depardon ou Sarah Moon avec un seul homme, Patrick Toussaint, qui accouche depuis de longues années leurs tirages dans son laboratoire aux pieds des Alpes. 'La force de l'argentique, c'est que c'est pris dans le papier, ce n'est pas de l'encre en surface comme en numérique. Si on met les deux types de tirages côte à côte, je vous garantis que les gens choisissent l'argentique', affirme Patrick Toussaint.

Sarah Moon, « La fin des vacances », 2017.

Sarah Moon, « La fin des vacances », 2017.©Sarah Moon

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Une impression plus forte, donc, et qui n'aime rien tant que se parer d'imperfections, telles des inclusions dans un diamant. L'oeuvre au lyrisme sombre de Sarah Moon en foisonne, évoquant les traces du passé ou l'empreinte des rêves. La photographe faisait l'objet d'une importante, mais écourtée, rétrospective au musée d'Art moderne de Paris. Un regrettable bouleversement du calendrier qui a toutefois épargné le premier Prix du tirage Collection Florence & Damien Bachelot, remis début octobre à un duo photographe-tireur pour récompenser cette complémentarité dans l'oeuvre argentique entre celui qui déclenche et celui qui révèle.

Certains photographes comme Flore remplissent à eux seuls ces deux rôles. Le papier japonais, les pigments, le thé, l'or ou encore la cire sont autant d'ingrédients entrant dans la délicate alchimie de ses oeuvres en noir et blanc teintées de mélancolie. « Le travail en labo, c'est assez sale et ça ne sent pas très bon. Mais c'est physique, j'ai besoin de cette étape dans mon travail qui en produit la forme expressionniste », évoque Flore.

Flore, sans titre (2019).©FLORE/Courtesy Galerie Clémentine de la Féronnière

Flore, sans titre (2019).©FLORE/Courtesy Galerie Clémentine de la Féronnière

L'empreinte de Man Ray

Ce double geste artistique, le pionnier Man Ray en mesure toute la valeur dès les années 1920. « Il a contribué à ce que la photographie devienne un art à part entière. S'il décide de faire ce qu'il nomme des rayographies (silhouettes d'objets sur papier sensible, communément appelées photogrammes NDLR), c'est pour produire des oeuvres uniques car il sait que c'est le gage pour entrer dans le champ artistique », analyse Emmanuelle de l'Ecotais, historienne spécialiste du photographe. Elle a contribué à l'exposition « Man Ray et la mode » qui avait ouvert le 23 septembre au musée du Luxembourg, à Paris.

Man Ray, « Lee Miller, le visage peint », 1930.

Man Ray, « Lee Miller, le visage peint », 1930.©Man Ray 2015 Trust/Adagp, Paris 2020/coll. particulière, courtesy Fondazione Marconi

Bon vendeur, ce modeleur de lumière finit par se voir attribuer des inventions photographiques dont il n'a pas la paternité. « La solarisation, qu'il dit avoir découverte par hasard, est connue depuis le XIXe siècle sous le nom d''effet Sabatier'. Idem pour le photogramme, aussi ancien », s'amuse Emmanuelle de l'Ecotais. L'homme laisse cependant une oeuvre dont la créativité a révolutionné la photographie. Et cela a un prix. Le mythique cliché « Noire et Blanche » sorti de ses bacs en 1926, où le visage de lune de Kiki de Montparnasse côtoie l'ébène d'un masque africain - véritable casse-tête par ailleurs pour un tireur qui doit préserver les détails de l'un comme de l'autre - s'est envolé chez Christie's en 2017 au prix record de 2,6 millions d'euros.

Bernard Plossu, Paris, 1973. .

Bernard Plossu, Paris, 1973. .©Bernard Plossu/BnF

La mine de la BNF

Jeu d'ombre et de lumière, nuances de gris, « le tirage photographique a beaucoup de parenté avec la gravure », écrit Sylvie Aubenas, directrice des estampes et de la photographie à la Bibliothèque nationale de France (BNF), dans le catalogue de l'exposition « Noir & Blanc » qui devait se tenir au Grand Palais à partir du 12 novembre. C'est naturellement, par le dépôt légal, que l'institution BNF est le réceptacle, dès les origines, des photographies qu'auteurs, imprimeurs ou tireurs y déposent. La collecte devient collection et s'enrichit de dons et d'acquisitions dès 1850, étendues à l'étranger à partir des années 1980. Forte de millions de phototypes de quelque 5.500 auteurs, « elle n'a pas d'équivalent en volume en France et en ancienneté au monde », pointe Flora Triebel, conservatrice de la photographie ancienne.

Raymond Depardon, « Marcel Privat, Le Villaret, Le Pont de Montvert, Lozère », 1993.

Raymond Depardon, « Marcel Privat, Le Villaret, Le Pont de Montvert, Lozère », 1993.©Raymond Depardon

Le noir et blanc porte aussi des héritages culturels. « La photographie japonaise est souvent dans le grain et le flou, l'américaine est sur l'orfèvrerie du détail, en Italie le dessin l'imprègne et en France l'humanisme se retrouve dans l'intimité et la narration », détaille Héloïse Conésa, conservatrice de la photographie contemporaine. Avec Dominique Versavel, chargée de la photographie moderne, elles partagent toutes quatre la rédaction de l'ouvrage accompagnant cette exposition qui s'annonçait renversante. Subsiste le plaisir de feuilleter et d'ausculter, à travers leurs textes richement documentés, les facettes de la construction esthétique du noir et blanc. En cet automne confiné, la somme de ces célébrations de la photographie dans son essence offre un brillant puzzle au parfum d'élégantes retrouvailles. Un fil rouge dans le noir et blanc qui pourrait bien nous procurer quelques révélations.

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Laurence Leblanc. « Chéa, Cambodge », de la série Rithy, Chéa, Kim, Sour et les autres, 2000. 

Laurence Leblanc. « Chéa, Cambodge », de la série Rithy, Chéa, Kim, Sour et les autres, 2000. ©Laurence Leblanc/BnF

« Noir & blanc. Une esthétique de la photographie. Collection de la Bibliothèque nationale de France », catalogue d'exposition par Sylvie Aubenas, Dominique Versavel, Héloïse Conésa, Flora Triebel. BnF Editions, RMN Photographie. 256 pages, 45 euros.

Michèle Warnet

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