Réparties en quatre différentes périodes, quarante-cinq années de l'immense carrière de Jean Gabin à travers cent affiches, originales ou rééditions, toutes issues des collections de la Cinémathèque française.

Les débuts du jeune premier (1931-1935)

Du jeune Alexis Moncorgé, amoureux de la terre, formé sur les planches du music-hall, et qui ne veut pas devenir comédien, rétif à l'idée d'apprendre son texte, éclôt l'acteur Jean Gabin. Il commence par quelques apparitions dans de petits rôles, il apprend le métier, fonctionnant à l'instinct. Et il enchaîne ainsi une vingtaine de films de 1931 à 1935.

Il incarne les voyous, les ouvriers, le jeune homme du peuple, et s'étonne même, non sans autodérision, d'être choisi pour jouer dans Golgotha : « J'imagine que mon rôle de Ponce Pilate, dans la prochaine production de Julien Duvivier, ne manquera pas de surprendre bien des gens. Comment, Jean Gabin, tout à tour ouvrier, marinier, trappeur, navigateur, ingénieur, chaque fois sympathique mais chaque fois si près du peuple, dans le rôle du procureur de Judée ? Quelle audace ! Et pourquoi pas ? »

Sa bonhomie, son naturel mais aussi son physique avantageux en font rapidement une vedette, réclamée par les réalisateurs, appréciée par ses partenaires et adulée par le public. Et de simple mention au casting du film, sa place sur les affiches se fait de plus en plus grande.

La star (1936-1939)

Neuf classiques en trois ans, c'est le bilan de la période phare de la carrière de Jean Gabin. Le mythe va s'édifier sur des bases solides. Dorénavant, l'acteur prend son métier très à coeur : « J'ai commencé à faire très attention aux rôles qu'on me proposait. Il s'agissait, désormais, de ne plus accepter n'importe quoi, mais, au contraire, de choisir judicieusement mes personnages ». Jacques Prévert, Charles Spaak et Henri Jeanson lui écrivent des dialogues sur mesure. Julien Duvivier, Jean Grémillon, tout comme Jean Renoir et Marcel Carné, qu'il contribue à faire connaître, le mettent en scène dans les plus grands succès de ces années-là.

Les films se construisent sur son nom. Sur les affiches, il éclipse le reste de la distribution. Représenté de plus en plus souvent seul ou simplement en compagnie de sa partenaire féminine, il figure toujours en début de générique. Les illustrateurs mettent volontiers en avant cette « gueule d'amour » qui séduit Mireille Balin, Simone Simon ou Michèle Morgan, qui tient tête à Pierre Fresnay et à Erich von Stroheim.

Gabin est devenu une tête d'affiche.

L'homme mûr (1946-1958)

À son retour sur les écrans français en 1946, Gabin a changé. La vedette d'avant-guerre est devenue un homme mûr, et peine à retrouver son public, qui ne le reconnaît plus. Le choix de ses rôles s'en ressent, sa carrière aussi, qui va patiner quelques années durant.

Le séducteur s'est mué en un quadragénaire plus rassurant, installé. L'homme du peuple laisse place à un riche commerçant dans La Marie du port. Campe un industriel, un armateur. Il incarne un juge ou même le maréchal Lannes dans le Napoléon de Guitry, un médecin de famille dans La Minute de vérité. Et endosse pour la première fois des rôles de représentants de la loi.

Sa notoriété étant bien assise, les affiches ne montrent parfois plus que sa silhouette. Son visage n'est plus utilisé de la même manière, même s'il domine encore ses partenaires. L'art de l'affiche évoluant aussi, il s'agit moins de raconter le film en images pour attirer le spectateur que d'en livrer une interprétation forte et représentative. Du docteur Laurent à Maigret, les illustrateurs donnent davantage de place aux personnages qu'à l'acteur.

Le patriarche, le "Vieux"

À partir des années soixante, Gabin accepte et assume son âge. La transformation physique accompagne l'ascension sociale. Il atteint la respectabilité, la sagesse. À l'écran comme entre les prises de vue, il transmet son expérience, passant le relais à Belmondo, à Delon.

Sur les affiches, les codes vestimentaires évoluent. Bretelles, pipes et bérets ébauchent les contours de ses personnages vieillissants. La « gueule d'amour » n'est certes plus qu'une gueule, mais quelle gueule, dont la seule moue caractéristique suffit à résumer la carrière et la vie.

C'est l'image connue du patriarche bourru, colérique, cheveux blancs et silhouette épaissie de sexagénaire, qui impose sa loi d'un seul regard ou s'emporte dans des coléres homériques. L'image du Président, l'image des Grandes familles, du bourgeois enrichi qui sait aussi au besoin jouer de ses origines et cabotiner à loisir.