Covid-19 : un mariage et sept enterrements

Photo d’illustration d’une réception de mariage. CC0 Public Domain © pxhere

C’est l’histoire d’un mariage qui a mal tourné, non parce qu’il s’est terminé par un divorce, mais parce qu’il a entraîné un grand nombre de cas secondaires et même tertiaires de Covid-19.

Nous sommes le 7 août 2020 dans une petite localité de l’état du Maine aux États-Unis qui compte 4 500 habitants et aucun cas recensé de Covid-19*. La réception réunit 55 convives, ce qui représente cinq personnes de plus que le maximum autorisé par la réglementation en vigueur. Les mariés et la famille du marié (sept personnes) sont venus de Californie la veille. Ils ont tous été testés négatifs peu de temps avant leur arrivée dans le Maine et n’ont pas été obligés de respecter une quatorzaine.

Tout commence, sur le plan épidémiologique, lorsque le centre de contrôle et de prévention des maladies du Maine apprend que deux tests PCR sont revenus positifs pour le SARS-CoV-2 après écouvillonnage nasopharyngé. Les deux cas en question correspondent à des invités à cette fête de mariage qui s’est déroulée cinq jours plus tôt. Ils ont développé de la fièvre, une toux et un mal de gorge le 11 août. Les services sanitaires apprennent le 14 août que trois autres personnes, invitées à cette même réception, sont infectées par le SARS-CoV-2.

Les autorités sanitaires du Maine décident alors de conduire une enquête épidémiologique qui va leur réserver de grosses surprises. Celle-ci a été rapportée dans le bulletin épidémiologique hebdomadaire des Centres de contrôle et de prévention des maladies (CDC) daté du 13 novembre 2020.

Les épidémiologistes entreprennent de rechercher les sujets contacts, définis par les personnes ayant été pendant plus de quinze minutes à moins de six pieds (1,80 mètre) d’une personne atteinte de Covid-19, que le cas soit confirmé ou suspecté. Ce contact-tracing va révéler des cas secondaires et tertiaires (cas survenus à partir des cas secondaires).

L’enquête va déterminer que le patient index, autrement dit celui à l’origine de l’ensemble de cas groupés (cluster), est un résident de l’état du Maine invité à la fête de mariage. Il a commencé à présenter fièvre, toux, écoulement nasal et fatigue le lendemain de la réception, le 8 août, et a été testé positif pour le SARS-CoV-2 cinq jours plus tard, le 15 août.

La réception s’est tenue dans une résidence attenante à un restaurant comptant quatre espaces conviviaux : une grande salle, une salle de petit-déjeuner, un bar et une terrasse. Les invités étaient assis dans la salle de réception qui comptait dix tables, avec 4 à 6 convives par table. Le personnel avait pris la température corporelle de chacun des 55 invités et s’était assuré qu’aucun d’entre eux n’était fiévreux. À l’entrée de la salle de réception, des écriteaux mentionnaient le port du masque, mais les convives n’ont pas suivi cette recommandation, pas plus d’ailleurs que la distanciation physique. Les membres du personnel, qui portaient tous un masque, n’ont pas incité les invités à respecter ces mesures barrières.

Les organisateurs de la réception n’ont pas demandé à chaque invité d’indiquer ses coordonnées (numéro de téléphone, adresse courriel). Le centre de contrôle et de prévention des maladies du Maine ne connaissait donc que le nombre des invités mais n’avait pas leurs coordonnées. Les épidémiologistes ont donc relié les cas entre eux à partir de ceux (confirmés ou probables) qui sont survenus dans le comté et en interrogeant ces personnes. Il s’agissait de savoir si elles avaient ou non participé à cette fête de mariage ou si elles avaient été en contact avec un invité testé positif pour le SARS-CoV-2 au cours des quatorze derniers jours.

Le 30 août, trois semaines après la réception, les autorités sanitaires ont comptabilisé 30 cas de Covid-19. Une infection par le SARS-CoV-2 a  été identifiée chez 27 des 55 invités, soit près de la moitié d’entre eux. Trois autres cas ont été observés chez un serveur, un fournisseur et l’organisateur de la réception, qui lui-même ne faisait pas partie des convives.

Concernant les trente membres du personnel, vingt-trois ont été testés négatifs pour le coronavirus, cinq se sont auto-isolés sans se faire tester et deux ont été testés positifs, un qui avait travaillé lors de la réception et un autre de ses collègues (cas secondaire).

Outre les 30 cas primaires de Covid-19, les autorités sanitaires ont par la suite dénombré 17 cas secondaires et 10 cas tertiaires. Parmi ces 57 personnes, 51 ont présenté des symptômes (89 %). L’âge moyen était de 51 ans. Sept individus étaient âgés de plus de 75 ans. On comptait une majorité de femmes (58 %).

Au total, quatre personnes, ayant toutes plus de 75 ans et atteintes de pathologies préexistantes (comorbidités), ont été hospitalisées. L’une d’elles est décédée. Aucune de ces personnes ne faisait partie des invités de la réception.

L’histoire ne s’arrête pas là. Un des convives, atteint de Covid-19 et qui a commencé à présenter de la toux trois jours après la fête de mariage, a participé ce jour-là à une réunion dans une école. Nous sommes alors le 10 août. Le 14 et 17 août, deux membres du personnel scolaire sont testés positifs pour le SARS-CoV-2. Il est alors décidé de différer la réouverture de l’école de deux semaines tandis que les personnes testées positives s’isolent à leur domicile ou sont placées en quarantaine.

Établissement de soins de longue durée. Stephen Crave. © Wikimedia Commons

Autre rebondissement quasiment dans le même temps. Après la réception du 7 août, un convive rencontre les 8 et 9 août l’un de ses parents qui se trouve être infirmier dans un établissement pour personnes âgées. Celui-ci présente deux jours plus tard de la fièvre, des frissons, des douleurs musculaires, un écoulement nasal et des maux de tête. Il continue néanmoins à travailler ce jour-là et le suivant. Il passe un test PCR pour le SARS-CoV-2 le surlendemain, le 13 août, qui revient positif cinq jours plus tard, le 18 août.

Le centre de contrôle et de prévention des maladies du Maine décide de tester le lendemain l’ensemble des résidents et du personnel de l’établissement d’hébergement pour personnes âgées après que quatre personnes et un membre du personnel aient développé la Covid-19.

Une enquête épidémiologique est diligentée. Les autorités sanitaires vont dénombrer 38 autres cas de Covid-19 entre le 19 août et le 11 septembre au sein de cet établissement de soins de longue durée. Quatorze cas concernent des membres du personnel, 24 autres des résidents. La plupart des personnes âgées ont plus de 75 ans. Trois résidents sont hospitalisés. Sur les 38 personnes présentes dans l’établissement, six vont mourir. Les personnes décédées avaient toutes plus de 60 ans et présentaient des comorbidités.

Maine State Prison. Rebecca Conley. © Maine Public

L’histoire ne se termine pas là. Il s’avère qu’un convive de la réception du mariage travaille dans un centre pénitentiaire. Il va présenter, sept jours plus tard, de la toux, des douleurs musculaires, un écoulement nasal et un mal de gorge. Durant les quatre jours qui suivent (du 15 au 19 août), ce gardien de prison va travailler huit heures d’affilée dans deux unités différentes de l’établissement carcéral. Le 19 août, quatre collègues et 46 détenus sont testés positifs pour le SARS-CoV-2. Le 1er septembre, ce sont 18 autres cas de Covid-19 qui sont identifiés chez des gardiens et 46 prisonniers. Dans le pénitencier, le port du masque n’a pas été recommandé après la survenue du premier cas de Covid-19, pas plus qu’une surveillance quotidienne des membres du personnel à la recherche d’éventuels symptômes évocateurs. Les mesures barrières ne seront mises en place qu’entre le 27 août et le 10 septembre.

Dans la prison, 82 cas de Covid-19 ont finalement été identifiés : 18 parmi les 43 membres du personnel (42 %) et 48 chez les 116 détenus (41 %), ainsi que 16 autres cas dans les familles des gardiens de prison. Lors de cette flambée épidémique, aucune hospitalisation n’a été enregistrée. Ni aucun décès.

Et voilà comment une fête de mariage dans une petite bourgade rurale dans l’état du Maine a entraîné trois flambées épidémiques parmi les convives, mais également au sein de la population locale, dans un établissement de soins de longue durée et dans un centre pénitentiaire. Comment 177 cas de Covid-19 sont survenus dans une ville qui n’en comptait jusqu’alors aucun. Comment sept personnes se sont retrouvées à l’hôpital. Comment sept sont mortes de la Covid-19, sans même faire partie des invités de la réception. Tout cela parce que les gestes barrières et autres mesures de prévention n’ont pas été appliquées lors de ce rassemblement. Sans oublier que des personnes ont été contaminées par des employés exerçant dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées ou dans un pénitencier ont continué à travailler alors même qu’ils présentaient des symptômes.

Comme le soulignent les enquêteurs du centre de contrôle et de prévention des maladies du Maine et de l’Epidemic Intelligence Service des CDC, le taux d’attaque associé à cette fête de mariage est peut-être encore plus élevé. En effet, d’autres cas contacts, non identifiés, ont pu être contaminés en dehors de l’établissement de soins de longue durée et de la prison.

Et les auteurs du rapport de conclure : « Les gens doivent éviter les grands rassemblements, respecter la distanciation physique et l’hygiène des mains, porter le masque dans les lieux publics et rester chez eux lorsqu’ils sont malades pour protéger leur famille, leurs amis et les autres », avant d’ajouter que « les cas contacts devraient également s’auto-isoler pendant 14 jours, qu’ils aient ou non des symptômes de la Covid-19 ».

Marc Gozlan (Suivez-moi sur Twitter, sur Facebook)  

* Dans ce comté, l’incidence de la Covid-19 avant cette réception de mariage était de 97/100.000.

Pour en savoir plus :

Mahale P, Rothfuss C, Bly S, et al. Multiple COVID-19 Outbreaks Linked to a Wedding Reception in Rural Maine – August 7-September 14, 2020. MMWR Morb Mortal Wkly Rep. 2020 Nov 13;69(45):1686-1690. doi: 10.15585/mmwr.mm6945a5 + + Supplementary figure

Yusef D, Hayajneh W, Awad S, et al. Large Outbreak of Coronavirus Disease among Wedding Attendees, Jordan. Emerg Infect Dis. 2020 Sep;26(9):2165–7. doi: 10.3201/eid2609.201469

Frieden TR, Lee CT. Identifying and Interrupting Superspreading Events-Implications for Control of Severe Acute Respiratory Syndrome Coronavirus 2. Emerg Infect Dis. 2020 Jun;26(6):1059-1066. doi: 10.3201/eid2606.200495

Shen Y, Xu W, Li C, Handel A, et al. A Cluster of Novel Coronavirus Disease 2019 Infections Indicating Person-to-Person Transmission Among Casual Contacts From Social Gatherings: An Outbreak Case-Contact Investigation. Open Forum Infect Dis. 2020 Jun 12;7(6):ofaa231. doi: 10.1093/ofid/ofaa231

Ghinai I, Woods S, Ritger KA, et al. Community Transmission of SARS-CoV-2 at Two Family Gatherings – Chicago, Illinois, February-March 2020. MMWR Morb Mortal Wkly Rep. 2020 Apr 17;69(15):446-450. doi: 10.15585/mmwr.mm6915e1

James A, Eagle L, Phillips C, et al. High COVID-19 Attack Rate Among Attendees at Events at a Church – Arkansas, March 2020. MMWR Morb Mortal Wkly Rep. 2020 May 22;69(20):632-635. doi: 10.15585/mmwr.mm6920e2

Ravindran B, Hogarth F, Williamson K, et al. High COVID-19 attack rate among attendees of wedding events in Bali, Indonesia, March 2020. Commun Dis Intell (2018). 2020 Sep 16;44. doi: 10.33321/cdi.2020.44.76

6 réponses sur “Covid-19 : un mariage et sept enterrements”

  1. Bonjour Marc,

    Il y a un passage qui m’intrigue. On considère généralement que la covid se déclare 4 à 10 jours après le contact. Or vous indiquez « Après la réception du 7 août, un convive rencontre les 8 et 9 août l’un de ses parents qui se trouve être infirmier dans un établissement pour personnes âgées. Celui-ci présente deux jours plus tard de la fièvre ». On aurait donc 2 patients qui ont été contagieux au bout de 2 jours seulement ? N’auraient-ils pas été contaminés ailleurs que dans ce marriage ?
    Merci

    1. Bonjour Nico,

      Il est en effet possible que cette personne ait été contaminée à un autre moment que la réception du mariage. Cette hypothèse ne peut être totalement exclue, même si cela semble assez peu probable dans ce contexte.

      Cela dit, concernant la durée d’incubation dont vous parlez, qui est le délai entre la date de l’infection et celle du début des symptômes, la médiane est estimée à 7,76 jours (IC95%:7,02-8,53). En d’autres termes, dans la moitié des cas, la durée d’incubation est inférieure à environ 7 jours. Dans l’autre moitié des cas, elle est supérieure à ce chiffre.

      Il ressort cependant de cette même étude que la durée n’est que de 2,07 jours pour de rares patients (5ème percentile). Globalement, la durée moyenne de la période d’incubation est de 8,29 jours (IC95%: 7,67-8,90). Elle se situerait à 14,28 jours (IC95%: 13,64-14,9) chez les patients du 90ème percentile. Enfin, elle serait de 20,31 jours chez de rares patients (99ème percentile).

      Les percentiles sont les valeurs de la variable étudiée qui répartissent la population en 100 groupes ayant le même nombre d’observations. La distribution des valeurs de la variable est donc exprimée en percentiles. Les percentiles définissent 100 groupes d’effectifs correspondants chacun à 1 % de l’effectif de l’échantillon. Le 50ième percentile correspond donc à la médiane. Autre exemple : la valeur au 20ème percentile signifie que dans 80 % des cas, la valeur est supérieure et que dans 20 % des cas, elle est inférieure. Ainsi, la valeur au 5ème percentile signifie que dans 95 % des cas, la valeur est supérieure et que dans 5 % des cas, elle est inférieure.

      Il faut savoir qu’il existe beaucoup d’incertitudes concernant les valeurs extrêmes (les plus basses et les plus hautes) de la durée d’incubation dans l’infection par le SARS-CoV-2 du fait des faibles effectifs.

      Pour en savoir plus, je vous invite à regarder les courbes « très parlantes » figurant dans ces deux articles :
      Incubation period of COVID-19: a rapid systematic review and meta-analysis of observational research (figures 3 à 6)
      SARS-CoV-2 viral load peaks prior to symptom onset: a systematic review and individual-pooled analysis of coronavirus viral load from 66 studies (figure 2).

  2. Toujours aussi clair, pertinent et intelligible par le lecteur non initié (même s’il faut motivation et connaissances biologiques de base). Mériterait d’être mieux mis en valeur par Le Monde ou d’autres sites internet de grande visibilité (Google Actualités).

  3. Bonjour, je découvre votre blog aujourd’hui. Beaucoup d articles bien détaillés et bien écrits. Très intéressant !

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