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De Ségolène Royal à Virginie Despentes, la saga des bouffeurs de caricaturistes
Ségolène Royal
Valery HACHE / AFP

De Ségolène Royal à Virginie Despentes, la saga des bouffeurs de caricaturistes

Humeur

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Entre le "oui, mais" de Ségolène Royal à propos des caricatures de Mahomet et la tribune de Virginie Despentes et d'Adèle Haenel sur le lien entre "les interventions militaires occidentales et certains attentats", les bonnes âmes du confusionnisme ont porte ouverte dans les médias. Par Jack Dion.

Ségolène Royal est la preuve vivante et caricaturale qu’on peut persévérer dans l’erreur, ce qui devrait rassurer tous les cancres. De passage sur CNews, l’ex candidate à la présidentielle a déclaré : « Je pense que certaines caricatures de Mahomet sont insultantes. » Et de préciser : « Je comprends que certains se sentent insultés par cela y compris des musulmans qui ne sont ni intégristes ni radicaux. »

Comme l’ancienne ambassadrice des Pôles ne tient pas à laisser croire qu’elle a perdu le nord, elle a ajouté : « Je ne suis pas pour l’interdiction des caricatures, mais je suis pas pour cautionner et dire que c’est bien. » Même un père Jésuite n’y retrouverait pas ses petits.

Si ce n’est pas la première fois que Ségolène Royal se prend les pieds dans le tapis du confusionnisme, cette sortie est un modèle de mélange des genres. Personne ne lui demande de s’extasier sur les caricatures de Mahomet, ou de qui que ce soit, d’ailleurs. Il s’agit simplement de respecter le droit à la liberté d’expression, dans le respect des règles législatives qui la limitent et l’encadrent, un point c’est tout.

Je ne suis pas contre la liberté d’expression, mais...

Après, c’est affaire de goût personnel et de morale individuelle. Nul n’est obligé d’acheter Charlie Hebdo si le contenu lui déplaît, de même que personne n’est obligé d’aller à l’église ou à la mosquée s’il est athée. Mais il est aussi absurde de considérer que des dessins de Charlie sont insultants que de se prononcer sur la rationalité des propos tenus dans une église ou une salle de prière. Chacun juge en son âme et conscience et doit être libre de le faire, sans procès d’intention, ce qui suppose donc liberté de culte et liberté de caricaturer.

En considérant que la caricature du prophète est une « insulte » pour tous les musulmans, Ségolène Royal livre ces derniers pieds et poings liés aux islamistes, à croire que ces derniers sont les dignes représentants de tous ceux qui croient en Mahomet. Pour se réclamer des valeurs de la République, il y a mieux.

Nolens volens, l’ex ministre apporte ainsi de l’eau au moulin des bonnes âmes qui serinent en rond : « Je ne suis pas contre la liberté d’expression, mais…. ». Il leur faut absolument trouver des circonstances atténuantes sinon aux tueurs du moins à ceux qui les arment intellectuellement, si l’on ose rapprocher ces deux mots. Mais jamais ils ne mettront les tenants de l’islam politique face à leurs responsabilités.

Victimes éternelles

Ces bonnes âmes, si elles sont ultra-minoritaires dans le pays, ont souvent porte ouverte dans les médias. À preuve une récente tribune collective publiée dans L’Obs, sous le titre : « Guerre et terrorisme : sortir du déni ». Parmi les signataires, on retrouvait diverses personnalités, dont l’actrice Adèle Haenel, Alain Badiou, et l’inévitable Virginie Despentes, cette grande dame qui avait écrit au lendemain du carnage de Charlie Hebdo, à propos des frères Kouachi : « J’ai été aussi les gars qui entrent avec leurs armes. Ceux qui venaient de s’acheter une kalachnikov au marché noir et avaient décidé, à leur façon, la seule qui leur soit accessible, de mourir debout plutôt que vivre à genoux. J’ai aimé aussi ceux-là qui ont fait lever leurs victimes en leur demandant de décliner leur identité avant de viser au visage. J’ai aimé aussi leur désespoir. » Encore merci pour ce grand moment.

Dans leur tribune de L’Obs, Despentes et ses potes entreprennent de démontrer que la cause première des attentats commis par les djihadistes, ce sont « nos guerres ». En vertu de quoi ils évoquent nombre d’opérations militaires occidentales, dont l’invasion de l’Irak de 2003, pourtant expressément condamnée par le Président de la République de l’époque, un dénommé Jacques Chirac. Qui dit mieux ?

Soyons clair. Que l’on dénonce les faits et gestes militaires des puissances occidentales et leurs conséquences, cela peut le comprendre. Que l’on s’interroge sur l’équipée française au Mali, pourquoi pas ? Mais de là à y avoir la cause première –voire unique – de la flambée terroriste menée au nom de l’islam, c’est blanchir les djihadistes, soudain parés du costume dévolu aux victimes éternelles.

Et le récent attentat à Vienne, c’est à cause de quelle intervention militaire de l’Autriche ? Et la cinquantaine de civils décapités voici peu dans le nord du Mozambique par une filiale locale de Daech, c’est à cause de quelle intervention occidentale ? Et toutes les victimes de l’islam fou dans les pays musulmans, c’est à cause de la guerre de qui contre qui ?

Armes de distraction massive

Ainsi va la caricature de la réalité. Il est des gens qui se refusent à voir le visage des coupables dans toute son horreur. Ils ignorent leurs motivations, leurs délires, leurs fantasmes, leurs rêves avoués pour en faire des victimes désignées d’un complot ourdi en occident, ou de simples dessinateurs affublés de stylos, ces armes de distraction massive.

Pierre-Jean Luizard, chercheur au CNRS, ne fait pas autre chose dans une tribune publiée par Libération sous le titre : « Le piège des caricatures ». Il écrit, à propos des islamistes : « Faire des caricatures du prophète de l’islam un porte-drapeau de la liberté d’expression et de la laïcité est le meilleur cadeau que l’on pouvait leur faire ». En somme, pour combattre l’obscurantisme, il faut adopter ses codes, ses préceptes et ses règles. C’est formidable. On se demande comment on n’y avait pas pensé avant.

On dit parfois que le mot « laïcité » n’est traduisible ni en arabe ni en anglais. Il faut croire que certains ne le comprennent pas davantage en français.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne