Chinua Achebe, l'historien des lions

Chinua Achebe, l'historien des lions
L'écrivain Chinua Achebe en 2008 (SIPA)

"Tant que les lions n’auront pas leur propre histoire, l’histoire de la chasse glorifiera toujours le chasseur", écrivait le grand auteur nigérian Chinua Achebe, mort à l'âge de 82 ans.

Par stagiairebibli1
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Il était romancier et poète, journaliste au Nigéria et professeur d’anglais aux Etats-Unis, fils de chrétiens et adjoint d’un mollah. L'écrivain Chinua Achebe est mort le 21 mars. Il aura été beaucoup de choses, mais il ne s'est jamais écarté de son fil rouge: raconter par la fiction «le problème avec le Nigéria». Retour sur la vie de celui pour qui le devoir de l’écrivain est avant tout «de prendre parti pour ceux qui n’ont pas le pouvoir».

L’enfant du Biafra

Né en 1930 de deux parents igbos, Chinua Achebe n’a jamais oublié son groupe ethnique d’origine. Sa première œuvre, «le Monde s’effondre» (1958) était imprégnée de cet héritage, dénonçant le choc culturel qu’a constitué l’arrivée des Britanniques et du christianisme à Ibos, bouleversant des croyances traditionnelles parfois contestables, notamment la pratique du sacrifice humain.

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C’est surtout à l’occasion de la sécession du Biafra, état du Sud-Est du Nigéria principalement peuplé d’Igbos, que Chinua Achebe s’est voulu le défenseur de sa terre natale. Travaillant pour la radio nationale, la Nigerian Broadcasting Corporation (NBC), il se réfugie en 1966 dans sa région d’origine à la suite des vengeances ethniques qui secouent le pays et dont les Igbos sont les premières victimes. Après la sécession du Biafra en 1967, dont il rédige le texte fondateur, il tentera en vain de briser l’isolement international du jeune Etat sur fond de guerre civile.

Une aventure qui s’est achevée dans le sang – un à deux millions de morts – et sur laquelle il reviendra dans ses mémoires («There was a country», 2012), ne manquant pas de critiquer les contradictions locales qui ont en partie mené à l’échec sanglant de l’utopie biafraise.

L’anticolonialiste

Bien qu’ayant profité du système éducatif occidental, Chinua Achebe n’a pas manqué de se pencher sur l’influence de la colonisation et plus largement de Européens dans l’histoire politique de son pays.

Après avoir dénoncé le choc des cultures suite à l’arrivée des Britanniques au Nigéria dans «le Monde s’effondre», l’écrivain a longuement critiqué la manipulation des ex-maîtres coloniaux dans l’indépendance du Nigéria en 1960. Une omniprésence contestée dans les grandes heures de la Françafrique, faisant main basse sur les ressources pétrolières nigérianes à l’issue de la guerre d’indépendance du Biafra.

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Cette influence européenne a pour lui laissé le pays dans un état politique instable, marqué par la corruption et un défaut de gouvernance qu’il dénonce dans un petit essai, «The trouble with Nigeria» («le Problème avec le Nigéria»), publié en 1983:

Le problème du Nigéria, c’est purement et simplement un défaut de gouvernance. […] Le problème du Nigéria c’est le manque de volonté, ou de capacité, de ses dirigeants à se hisser au niveaux de leurs responsabilités et à celui de l’exemple individuel qui sont la marque du vrai leadership.»

Un essai critique et engagé qui reflète la plus profonde conviction de celui que se revendiquait comme un «écrivain de la protestation»: l’artiste doit être politisé. Une vision et un rôle de l’écrivain qu’il défend dans ses mémoires («There was a country»), publiées l’année dernière, dénonçant à l’occasion l’immobilisme de certains de ses confrères:

Certains pensent que l’écrivain ne doit jouer aucun rôle dans dans les soubresauts politiques ou sociaux de son temps. […] Je pense au contraire que l’écrivain qui se met sur le côté ne peut écrire que les notes de bas de page et le glossaire lorsque les évènements sont terminés. Il ou elle devient comme les intellectuels contemporains futiles qui, dans d’autres lieux, posent des questions auxquelles personne ne peut répondre».

Car pour l’écrivain nigérian, «en Afrique, actuellement, il est impossible d’écrire quoi que ce soit sans s’engager, sans lancer un message, une sorte de protestation». En Afrique particulièrement, mais pas seulement, puisqu’il ajoute:

La décence et la civilisation imposent à l’écrivain de prendre parti pour ceux qui n’ont pas de pouvoir. […] Il y a une obligation morale à ne pas s’allier avec ceux qui ont le pouvoir contre ceux qui ne l’ont pas. Un artiste, dans sa définition du mot, n’est pas quelqu’un qui puisse se mettre du côté de l’empereur contre ses sujets sans pouvoir.»

Il avait par deux fois refusé le titre de «Commandant de la République Fédérale», l’une des plus hautes distinctions de son pays. Une conception de l’écriture, de l’art,  qu’il aimait à rapprocher d’un proverbe: «Tant que les lions n’auront pas leur propre histoire, l’histoire de la chasse glorifiera toujours le chasseur». Chinua Achebe a été l’historien des lions.

Louis Blanchard

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