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interview

Hausse des arrêts maladie de longue durée : «Beaucoup de salariés ont souffert d’isolement»

Selon une enquête Ifop publiée ce lundi, le nombre d'arrêts maladie de longue durée n'a cessé d’augmenter dans le secteur privé. Pour Véronique Pogu, psychologue du travail, la crise sanitaire est directement responsable de l'augmentation des troubles psychologiques des salariés.
par Aurore Savarit-Lebrère
publié le 16 novembre 2020 à 18h58

Le nombre d'arrêts maladie de longue durée a fortement augmenté de septembre 2019 à août 2020, progressant de 33% par rapport aux douze mois précédents, selon une enquête Ifop pour Malakoff Humanis publiée ce lundi. Basée sur un échantillon de 2 008 salariés et 405 dirigeants du secteur privé, l'étude n'inclut pas les arrêts de travail délivrés pendant le premier confinement, pour garde d'enfants ou pour les personnes vulnérables face au Covid-19.

Parmi les pathologies qui ont entraîné un arrêt de travail, la «maladie ordinaire» arrive en tête (29% des arrêts), loin devant le Covid-19 (6%). On retrouve en deuxième position les troubles musculo-squelettiques (17%) puis les troubles psychologiques (15%). Le taux de salariés arrêtés pour troubles psychologiques est en effet passé de 9% début 2020 à 14% pendant le confinement, puis à 18% lors du déconfinement. Des statistiques qui n'étonnent pas Véronique Pogu, psychologue du travail et experte durant cinq ans auprès de CHSCT (Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail).

Pouvons-nous lier la forte hausse des arrêts maladie pour troubles psychologiques à la crise sanitaire actuelle ?

Oui. Des salariés ont très peur de perdre leur emploi ou sont fortement touchés par le chômage partiel durant la crise. J'ai été également confrontée à des patients atteints du Covid qui ont souffert de troubles psychiques. Des patients qui n'avaient jamais fait de dépression jusqu'à présent ont été fortement touchés dans leur humeur, et ont plongé dans un état dépressif après avoir contracté le coronavirus, et ce durant quatre à huit semaines. Même si, étant donné le peu d'informations dont nous disposons concernant le virus, il faut rester très prudent.

Le télétravail expose-t-il également à ce type de troubles ?

Le télétravail peut effectivement être un facteur aggravant dans le cadre du confinement, en fonction des différentes conditions matérielles. Deux membres d'un couple ont pu, par exemple, se retrouver dans un petit appartement avec des enfants en bas âge, à devoir les garder tout en télétravaillant. Cela peut être très difficile pour eux, même si ces cas sont limités durant le deuxième confinement avec la réouverture des écoles et des crèches. Le télétravail doit correspondre à une véritable organisation du travail, qui en temps normal se prépare en interne, pour être bien menée et bien vécue. Or le virus a complexifié les choses : le télétravail est fait à la maison, sans forcément de matériel propice et non pas dans un tiers lieu, rompant ainsi tout lien social.

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Quelles peuvent être les conséquences psychologiques de cette rupture de lien social ?

Le fait de ne pas pouvoir sortir de son domicile, de ne pas avoir de journée structurée, de ne pas pouvoir développer de lien social et professionnel a beaucoup impacté les gens durant cette crise. Nous sommes tous des êtres profondément sociaux, nous avons besoin des autres pour pouvoir réaliser notre activité de travail. Sans liens sociaux, beaucoup de gens ont souffert d'isolement. Pour certains, cela va même se transformer en ce que nous appelons en psychologie du travail «une pathologie de la solitude», avec des symptômes anxiodépressifs. D'où l'importance de bien prendre en compte la nécessité des pauses favorisant les échanges, et ce même durant le télétravail.

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