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"Face à l’islamisme, la “gauche victimaire” n’assume pas ses responsabilités"
Les angles morts de Clémentine Autain...
© JEAN-PIERRE MULLER

"Face à l’islamisme, la “gauche victimaire” n’assume pas ses responsabilités"

Humeur

Par Manuel Boucher

Publié le

Manuel Boucher, professeur des universités en sociologie à l’UPVD, revient sur la rhétorique de Clémentine Autain de la France insoumise. Selon elle, la gauche universaliste et républicaine participe à l'émergence du fascisme.

Dans un article récent, Clémentine Autain ("Notre pays ressemble chaque jour un peu plus à une société préfasciste", Le Monde du 29 octobre 2020, p. 27) reprenant à son compte la tactique bien connue des judokas stipulant que la meilleure défense c’est l’attaque, la députée La France Insoumise (LFI) de Seine-Saint-Denis, se faisant la porte-parole des organisations et responsables de gauche qui, selon elle, sont injustement accusés d’avoir été trop indulgents avec les islamistes s’insurge "d’être exclus du concert des hommages à Samuel Paty". Selon elle, alors que l’on déroulerait le tapis rouge à Marine Le Pen et que les gouvernements sont dédouanés de leurs responsabilités, "c’est nous qui serions carrément “complices”, voire “responsables”, des meurtres commis au nom de l’islam. À nous de rendre des comptes, voire “de rendre gorge”".

Les angles morts de Clémentine Autain

Si on peut être d’accord avec Clémentine Autain lorsqu’elle décrit un ensemble de faits qui ont effectivement contribué à laisser se développer l’islamisme dans les quartiers populaires comme des plans d’austérité successifs, le démantèlement des services publics et des associations d’éducation populaire dans les territoires ghettoïsés, une complaisance politique avec des pays riches financeurs de groupes islamistes terroristes, etc., néanmoins, on ne peut pas la suivre lorsque celle-ci, d’une part, exonère toute une fraction de la "gauche de la gauche" et des personnalités politiques et médiatiques qu’elle cite en partie (LFI, EELV, Mediapart, FCPE, UNEF, Observatoire de la laïcité) de leur responsabilité d’avoir été aveugles vis-à-vis des stratégies d’entrisme et de fracturation de la gauche par des organisations identitaristes et anti-républicaines et d’autre part, lorsqu’elle assimile la gauche universaliste, d’abord motivée par la défense de la laïcité, avec l’extrême droite promotrice d’un racisme antimusulman. Dans cette optique, Clémentine Autain utilise alors un argument moral pour disqualifier l’autre partie de la gauche qui demande des comptes à ceux qui coopèrent avec les activistes politico-religieux au nom de la lutte contre l’"islamophobie" pourtant instrumentalisée par les salafo-frèristes pour interdire la distinction entre islam et islamisme. En effet, celle-ci affirme que "malheureusement, ne respectant même pas ce temps de deuil (…) certaines grandes voix qui se revendiquent de la gauche (…) ont préféré les anathèmes et les insultes à la dignité et à la fraternité."

La gauche universaliste est accusée de participer à l’émergence du fascisme

Abandonnant l’histoire conflictualiste de la gauche classiste et anticléricale au profit des promoteurs de morale religieux, la représentante de LFI, au lieu d’en appeler à un combat universaliste commun contre les racistes différencialistes, qu’ils soient nationalistes ou islamistes, en appelle à la construction de la paix sociale sur les questions religieuses afin de prévenir une potentielle "guerre civile". Autrement dit, voulant faire oublier ou minimiser les convergences des luttes de LFI avec des organisations politico-religieuses comme le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) d’inspiration frèriste qui accusent, à l’instar de pays anti-laïques et théocratiques comme l’Iran, l’Afghanistan, l’Arabie Saoudite ou la Turquie, la République française de voter des lois liberticides contre les musulmans (comme de loi de 2004 interdisant le port de signes religieux à l’école), Clémentine Autain, se revendiquant d’une "laïcité d’apaisement", dénonce la gauche demandant que la laïcité (qui garantit notamment la possibilité de croire ou de ne pas croire en Dieu) soit assurée par l’État qui doit protéger les individus, en particulier les plus jeunes, des pressions religieuses, d’être partisane d’une "laïcité d’exclusion" prenant la forme d’un "rejet des musulmans". Utilisant le ton de l’indignation, Clémentine Autain sous-tend ainsi que toute critique de la collusion d’une partie de la gauche avec des organisations politico-religieuses musulmanes conservatrices favorise la construction d’une "société préfasciste", autrement dit, que cette critique est au service des idées d’extrême droite et "de ses messages autoritaires et haineux".

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Au-delà de la tentative de culpabilisation de la gauche universaliste qui, dénonciatrice des logiques clientélistes et démagogiques d’une "gauche victimaire" avec les organisations identitaristes et islamistes, est accusée de participer à l’émergence du fascisme, la représentante de LFI fait également l’impasse sur la propre responsabilité de son camp dans le développement des idées d’extrême droite.

En effet, lorsque son mouvement confond systématiquement toutes déclarations ou initiatives intellectuelles, pédagogiques et politiques visant les logiques religieuses obscurantistes avec de l’"islamophobie", même lorsque ces initiatives prennent soin de ne pas confondre l’islam avec l’islamisme comme c’est le cas de la future loi sur le "séparatisme" présentée par le président de la République et assimilée par Alexis Corbière, député LFI de la 7e circonscription de la Seine-Saint-Denis, à une stigmatisation de tous les musulmans (Alexis Corbière, "Séparatismes : Le macronisme nous fait courir le risque d’accélérer “l’archipélisation” d’un pays toujours plus divisé", Le Monde du 1er octobre 2020), celui-ci donnant même le sentiment que cette loi était une forme de "déclaration de guerre" faite aux musulmans. C’est d’ailleurs ce qu’il induit le 8 septembre sur France Info lorsqu’il affirme "que s’il s’agit de porter le fer à l’islam, il n’est pas d’accord".

La réalité de l'islamo-gauchisme

S’indignant contre l’expression qui serait devenue courante d’"islamo-gauchisme" qualifiée de "vide de sens et outil de diversion", Clémentine Autain affirme que ceux qui mobilisent cette expression pratiquent une "chasse aux sorcières" digne de celle menée par les nazis contre les juifs et les communistes qui utilisaient les termes "judéo-bolchévique" ou par les staliniens qui employaient le terme "hitléro-trotskyste" pour combattre les opposants au régime. Pourtant, n’en déplaise aux donneurs de leçons adeptes du "politiquement correct" désignant l’État républicain plutôt que l’islamisme comme premier adversaire, l’"islamo-gauchisme", lorsqu’il est défini, exprime parfaitement l’alliance "contre-nature" entre la gauche nécessairement émancipatrice et l’islamisme assurément liberticide. En effet, l’"islamo-gauchisme", comme le souligne Luc Cédelle est un oxymore qui désigne l’alliance paradoxale, "d’un côté, des “gauchistes”, enclins avec Marx à voir dans la religion un opium du peuple et acteurs de la libération des mœurs depuis les années 1970. De l’autre, des fondamentalistes musulmans, tenants de la suprématie de la loi divine et d’un puritanisme aussi ombrageux que défavorable aux femmes." Dans la pratique, cette alliance détonante date des années 2000 où lors des forums mondiaux s’est effectué un rapprochement, au nom de l’anti-impérialisme et de l’anti-sionisme, entre altermondialistes et islamistes. Selon Pierre-André Taguieff (L’islamisme et nous. Penser l’ennemi imprévu, Paris, éd. CNRS, 2017), pour les gauchistes qui s’allient avec des islamistes, l’islam est un prolétariat de substitution.

Il faut au contraire savoir désigner ses adversaires assimilant République et racisme et mener une "guerre idéologique", par des actions émancipatrices concrètes, contre l’islamo-fascisme sous peine de réhabiliter par lâcheté

Par conséquent, plutôt que de pousser des cris d'orfraie en dénonçant des calomnies et excommunications inacceptables qui viseraient la partie de la gauche qui a pactisé avec les minorités actives islamistes comme le montre le très beau texte de l’écrivain Didier Daeninckx, celle-ci devrait plutôt faire son autocritique et revenir à ses fondamentaux émancipateurs et anticléricaux. En définitive, "pour sortir de la boue idéologique et du néant" cela signifie qu’au lieu de dénoncer l’"islamophobie" dans toutes les circonstances impliquant des musulmans alors que ce concept est d’abord mobilisé par les islamistes et leurs alliés pour édifier un islam identitaire et empêcher la majorité des musulmans de s’émanciper, la "gauche victimaire" devrait réinvestir les quartiers populaires déshérités qu’elle a abandonnés aux promoteurs de morale religieux qui sont tout autant les ennemis objectifs de la gauche que l’extrême droite nationaliste. Ainsi, contrairement à l’utilisation décontextualisée par Clémentine Autain d’une expression tautologique de Jean Jaurès affirmant "qu’une logique de guerre ne conduit pas à la paix", il faut au contraire savoir désigner ses adversaires assimilant République et racisme et mener une "guerre idéologique", par des actions émancipatrices concrètes, contre l’islamo-fascisme sous peine de réhabiliter par lâcheté, idéologie et faux calculs électoralistes, une logique munichoise servant les intérêts des extrémistes nationalistes.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne