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Dans l’enfer de

Ils ont quitté Paris, et n'avaient pas anticipé toutes ces galères

TEMOIGNAGES// Certains Parisiens, las de la capitale, ont préféré quitter la Ville lumière. Mais entre difficultés professionnelles et difficultés pour s'intégrer, ce changement de vie ne s'est pas toujours passé comme prévu…

Entre difficultés professionnelles et difficultés pour s'intégrer, quitter Paris pour s'installer en région n'est pas toujours aussi facile que prévu.
Entre difficultés professionnelles et difficultés pour s'intégrer, quitter Paris pour s'installer en région n'est pas toujours aussi facile que prévu. (Getty Images)

Par Chloé Marriault

Publié le 13 nov. 2020 à 07:01Mis à jour le 17 nov. 2020 à 08:57

« Lorsque j'ai appris que mon mari avait décroché une promotion et qu'on quittait Paris pour déménager à Marseille, j'ai sauté de joie ! » se souvient Julie, 40 ans. Cela faisait quelques années que cette Parisienne d'origine songeait à partir de la capitale. En cause : le manque de verdure, le coût de la vie, la grisaille… « Les attentats de 2015 ont été le déclic. Je ne voulais pas rester dans cette ville où je ne me sentais plus en sécurité », confie-t-elle. Partir s'installer dans le Sud est un soulagement, pour elle et son conjoint, originaire d'Avignon.

Le couple ne connaît pas Marseille, et s'imagine y vivre comme à Paris, mais en mieux, avec le soleil et les calanques. « En cherchant notre futur lieu de vie, nous avons essayé de recréer notre environnement parisien, relate Julie. Un appartement en centre-ville, proche d'un Picard et d'un Monoprix, avec le métro pas loin. » En 2016, ils emménagent avec leurs deux enfants, à l'époque âgés de 5 et 8 ans. « Sur le papier, ça semblait idyllique, avance la mère de famille. En fait, nous avons complètement idéalisé ce changement de vie et on a très vite déchanté. »

Pas l'impression d'être la bienvenue

Déjà, professionnellement. Cette blogueuse lifestyle, qui vit de partenariats avec des agences, voit ces dernières la lâcher petit à petit, au profit d'autres blogueuses restées à Paris. « C'est un problème que rencontrent souvent les indépendants qualifiés, comme les graphistes, les développeurs, les journalistes, les artistes, etc., quand ils quittent la capitale et télétravaillent », observe Elie Guéraut, sociologue, postdoctorant à l'Université de Strasbourg, qui travaille entre autres sur les trajectoires sociales, professionnelles et résidentielles des diplômés de l'enseignement supérieur. Au départ, ils arrivent à maintenir leur activité. Mais, en raison de la distance, ils ne vont plus aux soirées, aux événements. « La sociabilité qu'ils entretenaient là-bas leur permettait de soigner leur réseau professionnel, poursuit le sociologue. Quand ils s'en vont, le carnet de clients ou de collaborateurs s'amenuise peu à peu. »

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Socialement, aussi. Julie s'attendait à ce que les gens du quartier soient heureux de les voir débarquer et que la famille se ferait de nouveaux amis facilement. Finalement non. La Parisienne ne se sent pas bienvenue : « J'ai souvenir d'une fois où j'ai demandé mon chemin dans la rue et où on m'a répondu 'vous avez l'accent parisien, donc pour vous, ce sera à gauche', alors que la destination était à droite. »

Quitter Paris, une erreur ?

Julie, pour qui la solitude commence à peser, se rend compte que l'image de carte postale qu'elle s'était imaginée ne correspond pas à la réalité. « Le bruit, la saleté dans les rues, le trafic routier, le mistral… Marseille n'était tout simplement pas pour nous. Il m'est arrivé d'avoir l'impression d'avoir fait la plus grosse erreur de ma vie en quittant Paris et de me demander s'il ne valait pas mieux y retourner. »

Après trois années dans la cité phocéenne, son conjoint obtient une mutation pour Nice. La famille plie bagage, direction Antibes, là où Julie et lui ont étudié pendant quatre ans et passé tous leurs étés depuis. Une ville qu'ils connaissent et affectionnent. Cette fois-ci, le couple opte pour une maison dans une zone résidentielle, avec jardin et piscine, à 1 km de la mer. « Un petit coin de paradis » pour la famille. Là-bas, Julie a lancé sa boutique en ligne de vêtements et accessoires. Et semble, cette fois, arrivée à bon port !

Arriver « la fleur au fusil »

Comme elle, Camilla, 38 ans, a quitté Paris pour une région qu'elle ne connaissait pas. Elle qui a grandi en Seine-et-Marne et habitait à Nogent-sur-Marne (Val-de-Marne) en avait marre du rythme effréné de sa vie en banlieue. Marre de passer quotidiennement entre 1 heure 30 et 2 heures 30 dans les transports. Idem pour son conjoint, coincé dans les bouchons matin et soir. « Quand je me suis rendu compte qu'en une semaine je perdais environ 12 heures dans les transports, soit une journée, ça a été un choc », se rappelle-t-elle. Et puis, un soir, alors qu'elle couche sa fille, celle-ci lui glisse : « C'est dommage qu'on voie plus la maîtresse que toi ». « Ca a été compliqué dans mon coeur de maman », révèle Camilla. L'idée de quitter la Ville lumière fait son chemin.

En 2018, son mari se voit proposer un poste de responsable technique à La Roche-sur-Yon, en Vendée, qu'il accepte. « On a vécu ça comme une fuite, raconte la trentenaire. On s'est dit qu'il fallait saisir cette opportunité car l'occasion ne se représenterait peut-être pas, et que ça pourrait être une étape. » La famille s'installe, avec ses deux enfants alors âgés de 8 et 11 ans, dans une grande maison de 180 m2 avec un jardin d'un peu plus d'un hectare, dans un hameau entre La Roche-sur-Yon et Les Sables-d'Olonne. « On est arrivés la fleur au fusil dans un département dans lequel je n'avais jamais mis les pieds », résume Camilla.

Trouver un emploi, pas une mince affaire

Sur place, cette ancienne directrice de communication dans une agence se met en quête d'un emploi. Elle envoie une cinquantaine de CV pour des postes dans son domaine, la communication, « avec moins de responsabilités que le job que j'avais avant ». Mais à sa grande surprise elle ne reçoit aucune réponse, même après des mois de recherche. « J'avais toujours bossé sans difficulté et je n'avais pas anticipé cela, révèle-t-elle. Je me suis sentie vexée et me suis beaucoup remise en question. Ca a été très difficile à vivre. Il a fallu se rendre à l'évidence : je ne trouverais pas dans mon domaine. »

Il faut dire qu'à Paris le marché de l'emploi est unique en France, et particulièrement dynamique. L'Île-de-France est la région qui compte le plus de cadres (1,4 million en 2018, selon l'Association pour l'emploi des cadres), et ces derniers connaissent traditionnellement un faible taux de chômage, inférieur à 5 %.

« En dehors de Paris, et dans une moindre mesure des grandes métropoles, il n'y a parfois pas de 'marché du travail', alors quand on a un job, on fait tout pour le garder », analyse le sociologue Jean Viard, qui travaille notamment sur la mobilité et l'aménagement du territoire. Et d'ajouter : « La Vendée est un territoire qui se développe très bien autour d'une paysannerie devenue entrepreneuriale. La plupart des acteurs se connaissent depuis la maternelle. Quand on débarque, ce n'est pas par le CV qu'on va trouver un job, mais par les liens d'amitié. »

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Finalement, Camilla profite de cette période de recherche d'emploi et de son temps libre pour raconter son quotidien, en dessins, sur son compte Instagram. Au fil des mois, elle gagne des abonnés, jusqu'à recevoir des commandes d'illustrations. « J'ai fini par devenir illustratrice, en travaillant depuis chez moi. Activité dont je tire mes revenus aujourd'hui. »

Du temps pour s'intégrer

Autre difficulté : créer de vrais liens d'amitié. « Les Vendéens sont adorables, hyper gentils, cordiaux et chaleureux, constate Camilla. Mais on reste bloqué à l'étape de la franche cordialité. C'est difficile de passer le pas de la porte. » Cette mère de famille avait l'impression que les relations étaient plus spontanées dans la capitale. « A Paris, quand on s'entendait bien avec quelqu'un, au bout de trois-quatre discussions, on s'invitait à boire un verre chez l'un ou chez l'autre. »

« A la campagne, on dit souvent que lorsque quelqu'un vient s'installer près de chez soi, on ne lui parle pas la première année, explique Jean Viard, auteur notamment du livre 'C'est quoi la campagne ?' Pourquoi ? Car beaucoup de citadins emménagent avec la vision de la campagne sympa en été, mais ne supportent pas l'hiver et repartent après seulement un an. Les locaux, qui ont pu s'habituer à la solitude, n'ont pas envie de s'attacher à des gens qui repartent. Ils attendent l'année suivante pour être sympas. »

Julien, 43 ans, installé dans un bourg en périphérie de Lyon, a lui aussi eu du mal à nouer des liens d'amitié. Lui a quitté Paris en 2016 pour suivre sa conjointe, qui a grandi dans la capitale des Gaules et trouvé un emploi là-bas. « Les Lyonnais ont leurs potes d'enfance, qui habitent à côté. Ils n'ont pas besoin d'élargir leur cercle au-delà des gens du cru. Si on n'est pas nés dans le coin, on les intéresse beaucoup moins », constate-t-il. Ce père de deux enfants a fini par se faire des amis, au bout de trois ans, en s'investissant dans une association de parents d'élèves.

Professionnellement, ce changement de vie n'a pas été facile. Au départ, il garde son poste d'architecte à Paris, et fait les allers-retours trois fois par semaine en train. « Assez crevant », dit-il. Puis il décroche un poste dans une grosse agence d'architectes à Lyon. Son salaire est divisé par deux. « Certains diront que ce n'est pas grave car le coût de la vie est moins élevé en région, mais ça reste à prouver ! » lance-t-il. Et d'énumérer ses dépenses : « J'ai dû acheter une voiture, il faut payer l'assurance, le stationnement, l'essence… Tandis qu'à Paris mon employeur me payait ma carte de transport en commun et j'avais un scooter. Et puis les gardes d'enfants sont plus galère à trouver. Et la nourriture ne coûte pas moins cher. » Ce qui lui manque le plus depuis son départ ? Lui qui aimait passer son temps dans les musées et aller voir des concerts regrette surtout l'offre culturelle de la capitale.

« Prendre le temps de vivre »

Pour Julie, Camille et Julien, s'installer en région n'a pas été de tout repos. Mais ils y vivent encore. Car eux et leurs enfants y ont aussi trouvé de nombreux avantages. Et surtout, un confort de vie qu'ils n'avaient pas à Paris. « On a aujourd'hui une vie paisible, et nos enfants vivent leur meilleure vie », s'enthousiasme Julie. « On prend enfin le temps de vivre, ajoute Camilla. Le rythme s'est assoupli, les journées semblent s'être allongées… »

« Pour que ça se passe bien, il ne faut pas avoir peur de vraiment changer de vie, préconise Julie. Il faut prendre conscience que l'herbe n'est pas toujours plus verte ailleurs. On quitte des inconvénients à Paris, mais on en rencontre d'autres ailleurs. » Ses recommandations ? Ne pas partir sur un coup de tête, prendre le temps de trouver un endroit dans lequel on se sent bien, s'y rendre à différentes périodes de l'année et assurer ses arrières professionnellement. Pour elle, la recette semble porter ses fruits : « Paris ne me manque pas du tout », sourit Julie.

Ces cadres franciliens qui veulent fuir Paris

Huit cadres sur dix envisagent de quitter la capitale, selon la dernière étude de Cadremploi publiée en août 2020. Un chiffre relativement stable par rapport aux autres années.

En revanche, un tiers des sondés recherche activement un poste ou a demandé une mutation (+3 points en un an).

Les trois villes les plus attractives auprès des Franciliens : Bordeaux (51 %), Nantes (44 %) et Lyon (31 %), toutes à deux heures en TGV.

Chloé Marriault

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