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Le gouvernement a trois mois pour prouver qu’il respecte ses engagements climatiques, une première en France

Le Conseil d’Etat a donné ce délai à l’exécutif pour « justifier que la trajectoire de réduction à horizon 2030 pourra être respectée ». Une décision « historique » pour les ONG.

Par  et

Publié le 19 novembre 2020 à 12h02, modifié le 20 novembre 2020 à 05h44

Temps de Lecture 5 min.

Le député européen EELV et ancien maire de Grande-Synthe, Damien Carême, et la députée européenne EELV Karima Delli, lors d’une manifestation à Paris.

« Un pas de géant, a salué l’ancien ministre de l’écologie Nicolas Hulot sur Twitter. Les objectifs climatiques de la France deviennent contraignants. » Si on n’en est pas encore là, l’Etat va en tout cas devoir rendre des comptes sur ses politiques de lutte contre le changement climatique et ses engagements en matière de réduction des gaz à effet de serre.

Dans une décision inédite rendue jeudi 19 novembre, le Conseil d’Etat donne trois mois au gouvernement pour « justifier que la trajectoire de réduction à horizon 2030 pourra être respectée ». La France s’est engagée à diminuer ses émissions de 40 % par rapport aux niveaux de 1990 et à atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050.

En janvier 2019, la ville de Grande-Synthe, dans le Nord (et son ancien maire, désormais député européen Europe Ecologie-Les Verts, Damien Carême), avait saisi le Conseil d’Etat d’un recours visant « l’inaction climatique » de la France. Ce dernier faisait suite au refus du gouvernement de répondre à la demande des requérants de prendre des mesures supplémentaires pour respecter les objectifs de l’accord de Paris, dont on célébrera le cinquième anniversaire le 12 décembre.

La haute juridiction a jugé recevable la requête de Grande-Synthe – mais pas celle de Damien Carême – estimant la commune littorale « particulièrement exposée aux effets du changement climatique » et en particulier à des risques de submersion.

Une décision « historique »

Le Conseil d’Etat relève que si la France s’est engagée à réduire ses émissions de 40 % d’ici à 2030, « elle a, au cours des dernières années, régulièrement dépassé les plafonds d’émissions qu’elle s’était fixés et que le décret du 21 avril 2020 a reporté l’essentiel des efforts de réduction après 2020 ». Aussi, avant de statuer définitivement sur la requête, la juridiction demande au gouvernement de « justifier, dans un délai de trois mois, que son refus de prendre des mesures complémentaires est compatible avec le respect de la trajectoire de réduction choisie pour atteindre les objectifs fixés pour 2030 ».

Très attendue, la décision du Conseil d’Etat est qualifiée d’« historique » par les associations de défense de l’environnement et leurs avocats. « Elle est historique dans la mesure où, désormais, on passe à une obligation de résultats, et pas seulement de moyens, en matière de lutte contre le changement climatique », commente l’ancienne ministre de l’environnement, Corinne Lepage, l’avocate de Grande-Synthe.

« Pour la première fois, l’Etat va devoir rendre des comptes », précise Guillaume Hannotin, avocat

« La décision du Conseil d’Etat marque un avant et un après en matière de contentieux climatique, confirme Marta Torre-Schaub, directrice de recherche (CNRS) à l’Institut des sciences juridiques et philosophiques de la Sorbonne et spécialiste du contentieux climatique. A partir de maintenant, le juge contrôle l’action de l’administration pour respecter ses objectifs climatiques et il lui demande de se justifier. »

A l’issue de l’instruction supplémentaire de trois mois, le Conseil d’Etat demandera au gouvernement de se justifier à la barre sur l’efficacité de ses politiques publiques. Si la haute juridiction administrative n’est pas satisfaite des réponses, « elle pourra enjoindre à l’Etat de prendre des mesures pour rectifier la trajectoire, relevant du champ réglementaire, précise Guillaume Hannotin, avocat au Conseil d’Etat et conseil de l’Affaire du siècle. Pour la première fois, l’Etat va devoir rendre des comptes. Le juge considère que les objectifs fixés par les lois de programmation doivent être effectivement réalisés. »

« La décision du Conseil d’Etat obligera le tribunal administratif à nous donner raison sur un certain nombre de points », estime Cécilia Rinaudo

A l’instar des villes de Paris et de Grenoble, les associations de l’Affaire du siècle se sont jointes au recours. Après avoir lancé la pétition éponyme (plus de 2 millions de signatures en un mois), les ONG Notre affaire à tous, Greenpeace, Oxfam et la Fondation Nicolas Hulot avaient déposé en mars 2019 un recours devant le tribunal administratif de Paris pour « carence fautive » de l’Etat.

« C’est une grande nouvelle pour la justice climatique dans le monde, mais aussi pour l’Affaire du siècle, car la décision du Conseil d’Etat obligera le tribunal administratif à nous donner raison sur un certain nombre de points », estime Cécilia Rinaudo, directrice générale de Notre affaire à tous. L’audience devant le tribunal administratif de Paris ne devrait pas avoir lieu avant le printemps ou l’été 2021, après la décision finale du Conseil d’Etat.

Le ministère de la transition écologique a indiqué qu’il répondra à la demande du Conseil d’Etat, « qui n’est pas un jugement sur le fond mais une demande de preuves d’action ». Assurant mener une « politique offensive en matière de lutte contre le réchauffement climatique », il indique que le plan de relance et le futur projet de loi traduisant les propositions de la convention citoyenne pour le climat « doivent permettre à la France d’atteindre les objectifs climatiques fixés ».

Baisses insuffisantes des émissions de gaz à effet de serre

Le Haut Conseil pour le climat (HCC) a estimé, en juillet, que la France n’est pas sur la bonne trajectoire pour atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050, jugeant que « les actions climatiques [du pays] ne sont pas à la hauteur des enjeux ni de [ses] objectifs ».

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Les émissions de gaz à effet de serre ont en effet baissé de 0,9 % entre 2018 et 2019, alors que le rythme devrait être d’une diminution annuelle de 1,5 %, et de 3,2 % à partir de 2025. Et encore ces objectifs ont-ils été revus à la baisse par le gouvernement, contre l’avis du HCC.

Par un décret paru en avril, le gouvernement, faute d’être parvenu à respecter ses objectifs pour la période 2015-2018, a relevé les budgets carbone (les plafonds d’émissions) pour la période 2019-2023. Les modifications des budgets carbone « prévoient un décalage de la trajectoire de réduction des émissions qui conduit à reporter l’essentiel de l’effort après 2020, selon une trajectoire qui n’a jamais été atteinte jusqu’ici », note le Conseil d’Etat.

Ce dernier considère, en outre, que l’article 2 de l’accord de Paris, qui limite notamment le réchauffement climatique bien en deçà de 2 °C et si possible 1,5 °C, n’a pas d’effet direct sur le droit français, mais qu’il doit être pris en considération dans l’interprétation de ce dernier. « Sur ce point, il s’agit également d’une décision historique », estime Marta Torre-Schaub.

Le Conseil d’Etat a toutefois rejeté plusieurs demandes des requérants. Il a notamment estimé qu’il ne pouvait pas se prononcer sur l’obligation de « priorité climatique ». Il était demandé au juge de considérer que, compte tenu de l’urgence climatique, la lutte contre les effets du changement climatique était une priorité devant primer sur d’autres intérêts. Mais il a estimé qu’il « ne pouvait apprécier le bien-fondé » de cette demande, faute de « précisions suffisantes ».

Cette affaire s’inscrit dans un mouvement d’essor du contentieux climatique à travers le monde. En décembre 2019, l’Etat néerlandais a été définitivement contraint à réduire ses émissions de CO2 dans l’affaire qui l’opposait à Urgenda, une fondation soutenue par 900 citoyens. En février, la justice britannique a également rejeté le projet d’extension de l’aéroport d’Heathrow, faute de prise en compte des engagements climatiques du Royaume-Uni, tandis qu’en août la Cour suprême irlandaise annulait le plan du gouvernement de lutte contre le réchauffement climatique, jugé pas assez détaillé.

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