"On se demande si on va rentrer chez nous": braqués au fusil d'assaut, deux policiers marseillais témoignent

Des policiers marseillais ont été braqués à l’arme de guerre lors d’un contrôle dans la cité de la Busserine (14e arrondissement de Marseille). Quelques jours plus tard, un second équipage a essuyé des tirs de kalachnikov. Récit.

Laury Holste Publié le 21/11/2020 à 12:33, mis à jour le 22/11/2020 à 11:24
Maxime et Vincenzo ont frôlé le drame dans le 14e arrondissement de Marseille. Les policiers se retrouvent devant une délinquance de plus en plus violente. Photo L.H.

Il est 10h35 quand les trois policiers de la division nord de Marseille entrent dans la cité de La Busserine.

Une patrouille qui aurait dû être ordinaire mais qui, pourtant, a marqué les fonctionnaires. Alors qu’ils circulent à bord de leur véhicule, les forces de l’ordre repèrent une 508 suspecte, avec trois individus à son bord. Ils décident de procéder au contrôle.

Le conducteur de la Peugeot repère les policiers et accélère jusqu’à leur véhicule. En quelques secondes, la situation bascule : le passager sur le siège arrière sort par la fenêtre et positionne face à eux une arme de guerre. Ils sont dans le viseur.

"On a eu un réflexe humain, indique Maxime, un des policiers. Face à un fusil d’assaut comme ça, le sentiment qui prédomine, c’est la peur. Ils ont un temps d’avance sur nous, on ne peut que constater ce qu’il se passe. C’est comme si le temps s’arrêtait soudainement."

Le pistolet automatique est pointé sur eux, Maxime et Vincenzo savent que l’instant est complexe, qu’ils risquent leur vie.

"Mon premier réflexe quand j’ai compris ce qu’il se passait c’est de me dissimuler, sortir son arme dans ce genre de situation ne sert à rien, indique Vincenzo. On sait que le moindre geste peut tout faire dégénérer. Face à ce type de scène, on n’écoute que son instinct."

"En le gênant, il nous a sauvés"

Les trois policiers doivent leur salut à une mauvaise manœuvre de l’automobiliste et aux réflexes de leur conducteur.

"Ce qui nous a sauvés, c’est en premier le déport que notre collègue a réalisé avec notre voiture pour nous sortir de l’angle de tir du passager, précise Maxime. De son côté, le conducteur de la 508 fait un demi-tour et déstabilise l’individu qui nous braque avec le fusil d’assaut, dont il avait armé la culasse. Finalement, en le gênant malgré lui, le conducteur nous sauve."

Le temps est suspendu pour les policiers, la situation leur échappe. Ils sont spectateurs de ce qui leur arrive.

"Quand le véhicule prend la fuite, le braqueur continue à nous viser pendant une vingtaine de mètres pour être sûr que nous ne les suivons pas, se remémore Vincenzo. Quand il a vu que nous ne les poursuivions pas, le passager est rentré dans l’habitacle de la voiture. On a laissé un peu de distance, puis on est parti à leur poursuite."

Mais la situation est délicate. Si le sang-froid des trois policiers leur permet de continuer à avancer, il y a aussi la situation extérieure à prendre en compte.

"A 10h30 ou 11 heures, un lundi matin, on n’est pas tout seul dans les rues du 14e arrondissement, rappelle Maxime. On fait face à des individus lourdement armés qui n’ont pas hésité à nous braquer avec une arme de guerre. Ce n’est pas rien. On doit se protéger, mais on doit aussi protéger la population qui est dans la rue et sur l’autoroute."

Car le braqueur et ses deux complices se sont engagés sur l’autoroute avant de réussir à semer les agents.

Finalement, le véhicule est retrouvé calciné une dizaine de minutes plus tard, à Chateauneuf-les-Martigues, vide de ses occupants et de l’arme.

"On se demande parfois si on va rentrer"

La cité de la Busserine. Photo DR.

Un contrôle qui aurait pu être fatal et qui rappelle brutalement les deux policiers à la réalité de leur métier.

"C’est de plus en plus compliqué de faire notre boulot, avoue à demi-mot Maxime. Si ce genre de situation reste heureusement plutôt rare, on se demande parfois si on va rentrer le soir auprès de sa famille et de ses enfants. Parfois on rentre chez soi en se demandant si notre place est toujours dans la police. Je m’étais déjà fait tirer dessus, je n’ai pas été touché par miracle, mais ça fait réfléchir, évidemment."

Car dans les quartiers nord de Marseille, la situation se tend et le travail est de plus en plus compliqué.

Quelques jours après s’être fait braquer, un second équipage de la division nord essuie une rafale de kalachnikov. Aucun blessé n’est à déplorer mais les deux affaires mettent en lumière une violence grandissante.

"Pour ma part c’était la première fois que je vivais une situation comme ça, reconnaît Vincenzo. Ça ne laisse pas indemne. On n’est pas blessé physiquement mais psychologiquement c’est autre chose. On comprend qu’on n’est pas passé loin de la fin. C’est difficile à assimiler, à vivre. Dans les quartiers nord, on est face à une hausse des règlements de comptes, il a d’importants trafics d’armes et la réalité du métier, c’est que si on n’a pas réellement la vocation, on ne tient pas."

Une hausse des violences qui se conjugue avec la défiance contre leur profession.

Difficulté du métier

"On respecte de moins en moins l’uniforme, avoue Maxime. Il y a quelques années on nous applaudissait, maintenant on nous crache dessus. Mais beaucoup oublie que nous ne sommes que des êtres humains. Les insultes, les violences et le lynchage sur les réseaux sociaux des collègues... c’est difficile de rester insensible. On nous demande de gérer des situations extrêmement complexes tout en restant stoïque et ce n’est pas toujours possible."

Un constat partagé par son collègue: "Sauver des gens c’est notre vocation, on aime notre boulot. On est là pour aider les gens est pas l’inverse. Quand on vient en intervention et qu’on se fait insulter, c’est un coup psychologique, même si on ne le montre pas. Malgré tout, on continue à avancer parce qu’on veut continuer à servir notre pays. Ça fait mal au fond, parce qu’on est prêt à donner notre vie pour les autres. Nous n’attendons pas un merci en retour. Simplement du respect. "

*Les prénoms ont été modifiés.

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