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Mort de la résistante Noëlla Rouget, la déportée qui fit gracier son bourreau

Morte à Genève dimanche à l’âge de 100 ans, cette ancienne institutrice s’est battue pour obtenir la grâce de celui qui la déporta et fut responsable de l’exécution de son fiancé.

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Publié le 22 novembre 2020 à 17h17, modifié le 22 novembre 2020 à 17h28

Temps de Lecture 3 min.

Noëlla Rouget, à Genève (Suisse), en juillet 2019.

En se dressant contre les nazis, dès les débuts de l’Occupation, Noëlla Rouget, qui est morte le dimanche 22 novembre à Genève à l’âge de 100 ans, aura combattu moins un ennemi que l’inhumanité. Et cela, cette volonté arc-boutée de faire triompher la bonté, ce besoin viscéral de vaincre la haine par le pardon, ce refus obstiné de venger le sang versé par un autre sang versé, ses camarades de la Résistance ne le comprendront que difficilement quand, vingt ans après la fin de la guerre, elle plaidera devant les juges pour sauver la tête de son bourreau.

Noëlla, née Peaudeau à Saumur (Maine-et-Loire) le 25 décembre 1919, est élevée dans une fervente foi catholique. A Angers, où la famille a très tôt déménagé, la guerre interrompt tous ses projets d’avenir. Dès 1941, devenue institutrice, elle entre dans la résistance, comme agente de liaison, au sein du mouvement gaullien « Honneur et patrie », puis du réseau Buckmaster Alexandre Privet, monté par les services d’espionnage britanniques. Au cœur de ces années sombres, elle se fiance avec Adrien Tigeot, également instituteur et également résistant, au sein du réseau Front national, d’obédience communiste.

Alors que les bans du mariage viennent d’être publiés, Adrien est arrêté le 7 juin 1943. Puis, c’est au tour de Noëlla d’être appréhendée chez elle, le 21 juin. L’un des hommes de la Gestapo chargé de la besogne est un Français, Jacques Vasseur, un collabo zélé qui a grimpé dans la hiérarchie répressive. Entre 1942 et 1944, il se rendra responsable de 430 arrestations, de 310 déportations et de 230 morts, fusillés ou morts dans les camps de concentration.

Dans cette interminable liste de victimes figure Adrien Tigeot, qui est torturé puis fusillé le 13 décembre 1943. Noëlla, elle, est emprisonnée à Angers puis transférée à Compiègne et enfin déportée au camp de Ravensbrück, par le convoi du 31 janvier 1944. Elle survit pendant quatorze mois à l’enfer concentrationnaire et se lie notamment avec Geneviève de Gaulle, la nièce du général. Lors de sa libération, le 5 avril 1945, Noëlla ne pèse plus que 32 kg et est atteinte d’abcès tuberculeux. Mais sa foi en Dieu et en les hommes est sortie intacte de l’épreuve. En revenant à Angers, elle découvre un mot magnifique, écrit par Adrien juste avant de passer devant le peloton d’exécution, lui redisant son amour et la suppliant de refaire sa vie.

Surhumaine mansuétude

Soignée dans un sanatorium suisse, Noëlla se marie avec un homme du pays en 1947. Elle s’installe à Genève. Elle a deux enfants et croit avoir refait sa vie quand le passé resurgit au début des années soixante. Jacques Vasseur, qui s’est évanoui à la Libération, est arrêté par hasard en novembre 1962, dans le Nord, alors qu’il se terre dans le grenier de sa mère depuis dix-sept ans. Le procès s’ouvre devant la Cour de sûreté de l’Etat, à Paris, le 20 octobre 1965. Les survivants défilent et accablent Vasseur, dont le déni et la veulerie sont insupportables aux témoins. Il est condamné à la guillotine.

Mais, au nom de sa foi et de son dégoût de la peine de mort, Noëlla Rouget s’élève contre cette sentence. Elle plaide de toutes ses forces auprès du tribunal la cause de celui qui a pourtant été l’artisan de son malheur et le responsable de l’exécution de son fiancé. En vain. Elle supplie alors le général de Gaulle d’accorder la grâce de Vasseur et l’obtient en février 1966, la peine étant commuée en prison à vie. Cette surhumaine mansuétude n’est pas comprise de ses camarades de la Résistance, enfermés dans leur douleur. Elle lui vaut de durs reproches auxquels elle répond dans une lettre. « De quel droit juger un homme si, placés aujourd’hui à notre tour en position de force, nous nous comportons comme il le fit hier », écrit-elle à ses frères et sœurs d’armes.

Noëlla Rouget va plus loin encore. Pendant des années, espérant sa rédemption, elle se lance dans un échange épistolaire avec Jacques Vasseur. Correspondance asymétrique où l’une cherche l’étincelle de l’âme et l’autre ne fait que se plaindre de son sort. A la fin des années 1970, la résistante se joint pourtant à une campagne pour l’élargissement des derniers collabos emprisonnés, afin de refermer cette page de l’histoire. Libéré en 1983, Jacques Vasseur ne donnera plus jamais signe de vie à Noëlla Rouget. Il mourra en Allemagne en 2009, sans jamais avoir exprimé le moindre remord. Jusqu’à ses derniers jours, Noëlla Rouget, portée par son inébranlable foi, ne retirera de cet échec ni amertume ni doute sur la nature humaine.

Noëlla Rouget en 5 dates

25 décembre 1919 Naissance à Saumur (Maine-et-Loire)

21 juin 1943 Est arrêtée par des hommes de la Gestapo, dont Jacques Vasseur

1944 Est déportée à Ravensbrück

1966 Obtient la grâce de Jacques Vasseur

22 novembre 2020 Mort à Genève (Suisse)

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