Vendée Globe. Six femmes à la mer….
Depuis le 8 novembre 2020, elles sont six à avoir quitté les pontons de Port Olona. Après onze jours de mer, Samantha Davies, Isabelle Joschke, Clarisse Crémer, Pip Hare, Miranda Merron et Alexia Barrier naviguent dans l’Atlantique, avec l’ambition de revenir aux Sables d’Olonne. Six femmes à la mer, mais surtout six marins sur leur bateau… Une première dans le Vendée Globe.
Il n’y a pas de féminin à marin. Ce mot n’a pas de genre. Dans la course au large, lorsque la compétition est loi, la mixité est reine. Il y a bien marine, mais elle est d’encre sur du papier, ou ancre en la retirant de l’eau. Dimanche onze jours, elles sont six à être en mer. Six femmes. Non pas de marin, mais marins. Ce matin, dans l’ordre Samantha Davies (Initiatives-Cœur – K.Line, 9e au général), Isabelle Joschke (MACSF, 15e), Clarisse Crémer (Banque Populaire, 17e), Pip Hare (Medallia, 22e), Miranda Merron (Campagne de France, 25e) et Alexia Barrier (TSE – 4myplanet, 27e) naviguaient entre 6 degrés Sud et 18e degrés Nord, au cœur d’une flotte de trente-deux bateaux, toujours menée par le Britannique Alex Thomson (Hugo Boss).
Six femmes à la mer…
Comme le nombre de marins au féminin ayant terminé le Vendée Globe, à ce jour… Catherine Chabaud fut la première lors de l’édition 1996-1997. Et dans son sillage, Ellen MacArthur (2000-2001), Anne Liardet (2004-2005), Karen Leibovici (2004-2005), Samantha Davies (2008-2009) et Dee Caffari (2008-2009) ont également bouclé ce tour du monde en solitaire, sans escale et sans assistance. Les Britanniques Ellen MacArthur (Kingfisher) et Samantha Davies (Roxy) s’octroyant les deuxième et quatrième places, lors de leur première participation.
Catherine Chabaud est eurodéputée depuis 2019. Elle est même La voie de l’océan au Parlement européen
. Parmi les missions qu’elle mène, il y a le projet Green Deal
qu’elle souhaite aussi Blue
. Et dans ces combats où se mêlent politique, écologie et écologisme, il est intéressant de noter qu’Ellen MacArthur dirige une fondation sur l’économie circulaire et qu’Isabelle Autissier, est présidente du WWF France. Trois anciennes navigatrices du Vendée Globe engagées dans des actions pour la défense de l’environnement, ce n’est pas commun. À ce titre, Catherine Chabaud a lancé un appel dans le cadre d’un partenariat avec la Classe IMOCA pour que l’Océan soit reconnu comme un bien commun de l’humanité
, mais c’est un autre sujet…
Un classement féminin en voile hauturière n’aurait aucun sens…
Dans ce sujet où l’on parle des femmes et du Vendée Globe, où finalement, il n’y a pas les femmes d’un côté, les hommes de l’autre, ni navigatrice ou navigateur, mais des marins sans masculin, ni féminin, il est bon d’entendre Catherine Chabaud : Un classement féminin en voile hauturière n’aurait aucun sens, commence-t-elle. Le Vendée Globe est une course physique et elle l’est autant pour les femmes que pour les hommes. Ce sont les observateurs extérieurs et les médias qui parlent
de
première femme
.
’J
ai
ce titre sur le Vendée Globe, et j’en suis fière, mais je ne courrais pas dans la catégorie féminine. Comme je pense toutes celles qui sont en course, aujourd’hui. Par contre, il y a une chose que je ne comprends pas, c’est que l’on ne décrète pas une deuxième classe en IMOCA. Les anciens bateaux sont en train de sortir de la classe, alors qu’ils pourraient servir à des marins avec des petits budgets pour faire de la compétition. Je pense qu’il devrait y avoir deux classes, à l’image du bateau de mon deuxième Vendée Globe (2000) qui navigue encore, aujourd’hui, avec Alexia Barrier. Il y aurait une vraie course dans la course et l’intérêt de ce tour du monde n’y perdrait rien…
Pour les marins, les victoires et les défaites se vivent au quotidien…
Six femmes au départ du Vendée Globe, une première qui réjouit également Catherine Chabaud. Ce qui est formidable, c’est de voir que la plupart sont avec des bons bateaux, comme Sam, Isabelle et Clarisse. Je suis aussi très heureuse de voir Miranda Merron dans la course. Ce qui est dommage, c’est qu’elle n’a pas un bateau à la hauteur du marin qu’elle est.
Dans ce tour du monde, où il y a aussi vingt-six hommes toujours en course, peut-on imaginer une femme intégrer le Top 5 de ce Vendée Globe 2020-2021 ? Il peut arriver plein de choses, mais je pense que Samantha Davies peut faire un podium, répond Catherine Chabaud. Les marins la mettent dans un Top 3. Sam connaît bien son bateau et elle a eu les moyens de le mettre au point. Elle est parfaitement préparée physiquement et le Vendée Globe se court aussi dans la tête… En compétition, elle a la capacité de maintenir la cadence, d’être constante moralement et mentalement. Physiologiquement, je pense qu’elle est plus forte que la plupart des marins qui sont actuellement en course… C’est l’une des forces des femmes, qui sont également très endurantes… Car il y a une chose qui est très importante à dire, avant de gagner le Vendée Globe ou de faire une belle performance, il faut le boucler. Terminer cette course est une victoire en soi. Pour les marins, les victoires et les défaites se vivent au quotidien. Pour un marin, un tour du monde, c’est tellement long, que chaque jour est une victoire, une expérience extraordinaire.
La prise de risque, une question de mental
Parmi les six navigatrices hauturières actuellement en course, seule Samantha Davies (Initiatives-Cœur – K.Line) a embarqué pour la troisième fois. Quatrième en 2008-2009, Sam
est repartie avec l’initiative au cœur. Un état d’esprit naturel pour féminiser ce qui semble être le dernier frein à ronger
pour médailler une femme en or sur le podium du Vendée Globe : accepter de prendre des risques.
Alain Gautier était premier de cordée au sommet de l’Everest des mers en 1993. En 2000-2001, il était le consultant d’Ellen MacArthur (Kingfisher), deuxième de ce tour du monde en solitaire derrière Michel Desjoyeaux (PRB). Et cette année, il est le directeur du projet d’Isabelle Joschke (MACSF). Le Vendée Globe au masculin, comme au féminin, il connaît. Les nouveaux bateaux sont très durs et la question, maintenant : est-ce que les femmes ont la capacité à prendre des risques autant que les hommes ? Je n’ai pas tout à fait la réponse.
Dans les sports extrêmes – où les nouveaux foilers ont le droit d’être cités, il y a cet abîme
où l’on peut mettre sa vie en danger. Les femmes en ont-elles vraiment envie, c’est encore une question, poursuit Alain Gautier. Est-ce c’est du bon sens ? Le fait qu’elles enfantent ou qu’elles puissent être mères… C’est un débat que je n’ai pas encore ouvert. Ce n’est pas le mental, mais la prise de risque de se mettre en danger. Pour moi, c’est un frein. Le mental vous permet de gérer cette prise de risque. La prise de risque, ce sont les neurones, l’intellect qui va vous dire quoi faire. Quelque part, on pourrait vous dire,
t’es con de te mettre en danger. C’est pas normal, ce n’est pas sérieux de risquer sa vie pour du sport. Mais on est des marins et on n’a pas l’impression de se mettre en danger…
Symbiose avec le bateau, la nature et la météo
À ce jour, c’est la voile-fiction, mais en imaginant Samantha Davies à la barre de l’Apivia de Charlie Dalin, par exemple – actuellement troisième de la course, pouvait-elle remporter cette solitaire autour du monde ? Je pense, oui, répond instantanément, Alain Gautier. Samantha a une grosse expérience, maintenant, aussi bien de Vendée Globe, que d’Ocean Race. Je suis quasiment sûr qu’elle a les compétences pour gagner.
C’est à la barre d’Initiatives-Cœur – K.Line, autrefois Banque Populaire et Maître CoQ III (deuxième et troisième en 2013 et 2017 du Vendée Globe) que Samantha navigue. Lorsqu’Alain Gautier parle de bon sens
, forcément, il est aisé de l’associer au sixième que l’on prête souvent aux femmes. Ce n’est pas exclusivement féminin, corrige Sam. Par rapport à ce
sixième sens
,je préfère parler de symbiose avec le bateau, la nature et la météo. Cela m’arrive d’avoir des intuitions dans le changement de voiles et une minute plus tard, il y a le vent qui arrive… À un tel point que je suis moi-même étonnée de ce timing. Ce n’est pas juste de la chance. Plus que tu avances sur le Vendée Globe, plus tu t’aperçois que tu ne te trompes jamais… Cela fait un peu peur, lorsque tu te demandes :
Qui m’a dit de faire cela
.
Sixième sens et anticipation
Sixième sens et anticipation, n’est-ce pas, tout simplement, le sens marin. Le bon en totale connexion avec l’intelligence du vent
, cher à Michel Desjoyeaux. Sam Davies va même un peu plus loin que l’instinct du skipper. Pour comprendre, j’ai travaillé sur l’hypnose, poursuit la Britannique. J’ai fait des séances pour que mon cerveau s’organise bien et que ce
sixième sens
travaille plus vite. Cela me permet d’associer cet apprentissage avec la météo, la lecture des nuages et mes expériences précédentes.
Pendant la préparation pour ce troisième tour du monde en solitaire, Sam a aussi été une mère. Ruben a 9 ans. Le père, Romain Attanasio, est aussi embarqué dans ce Vendée Globe. Et pour elle, c’est un atout. On a cet instinct maternel et c’est une force. On fait tout pour protéger, soigner, nourrir nos enfants. Ce devoir maternel nous permet d’avoir une réserve d’énergie et une meilleure gestion de soi-même. C’est la même chose dans la course au large. Dans chaque manœuvre, on ne cherche pas à mettre dans le rouge. Alors que les hommes sont plus dans un effort de résistance, le dosage de l’effort permet aux femmes d’avoir une meilleure endurance.
L’intuition féminine, une autre forme d’intelligence…
Ce
sixième sens
parle aussi à Isabelle Joschke (MACSF). En mer pour la première fois autour de ce monde en solitaire, elle est en parle aussi très bien. « Ce sixième sens au féminin, cela ne veut pas que seules les femmes le possédent. Je pense juste que les femmes ont plus accès à leur intuition que les hommes, mais il y a des hommes qui ont un sixième sens
très développé. Maintenant, est-ce que c’est utile dans la voile, bien sûr. Mais je pense que c’est aussi utile dans la vie en général et, peut-être, que ce n’est pas assez mis en valeur dans plein de milieux. Dans la voile, on joue avec les éléments et un tas de phénomènes que l’on peut comprendre et expliquer, mais qui ont des comportements dans la vraie vie, qu’on ne peut pas comprendre. C’est-à-dire, en mer, on pense que la dépression arrive comme cela et finalement, ça se passe autrement. Parce que les combinaisons sont nombreuses et tout peut arriver. Pour choisir une bonne option, par exemple, il y a la connaissance, l’expérience, l’intelligence, le fait de faire tourner un routage et se dire, je pense que c’est ça…
Et puis, après, il y a cette chose, l’intuition, qui permet de choisir une option plus qu’une autre. Sentir si on peut y aller ou préserver le bateau. Une capacité de se préserver qui est aussi très développée chez les femmes, parce que l’on peut se mettre en danger très facilement sur un bateau, surtout sur un foiler. Se préserver, c’est aussi la capacité de tenir dans la durée, de retrouver de l’énergie… Et dans ce côté
sixième sens
, que l’on peut appeler intuition, je pense que cela va bien au-delà… C’est une autre forme d’intelligence qui a la capacité de trouver des ressources méconnues, quelque part en soi, qui dépassent juste la force, la puissance, l’intelligence, tous nos critères habituels. »
Précédemment, Catherine Chabaud et Samantha Davies ont mis en avant l’une des forces des femmes face à la mer, mais aussi d’une manière générale : l’endurance. Cette capacité physique, mais aussi mentale, de maintenir dans le temps un certain niveau d’intensité exigée. Une aptitude que l’on retrouve dans tous les sports extrêmes répertoriés au chapitre de l’ultra-endurance. Un sujet qui passionne Isabelle Joschke qui va, une nouvelle fois, au-delà… Ultra en latin : Je pense aussi qu’il faut parler de résistance dans la durée et du coup, il faut associer cela à la capacité de gestion. Gérer dans tous les sens du terme, le bateau et ses ressources à bord, le skipper et ses ressources en lui, pour tenir jusqu’au bout. Que ce soit inné ou culturel, je m’en fiche, mais la gestion est un domaine où les femmes se débrouillent assez bien.
Des choses un peu plus subtiles qui se mettent en place…
Clarisse Crémer (Banque Populaire) est partie avec 90 jours de nourriture dans ses cales. Alors que Samantha Davies (Initiatives-Cœur – K.Line) a pour ambition d’aller plus vite qu’Armel Le Cléac'h en 2016-2017 : 74 jours 3 h 35’46, le record du Vendée Globe. Clarisse connaît les capacités de son bateau. En 2012-2013, François Gabart avait bouclé son tour du monde en 78 jours et 138 minutes… Avec ses 90 jours de mer, la skippeuse de Banque Populaire va devoir faire preuve d’endurance et de résistance. Quant au sixième sens
féminin, rebaptisé autre forme d’intelligence
par Isabelle Joschke, Clarisse s’en démarque quelque peu. Je ne suis pas du genre à faire des généralités, en disant
: Les femmes sont comme ci, les hommes sont comme ça.
Ce que j’entends dire par mes collègues masculins, c’est que les femmes ont une grosse force mentale. Est-ce qu’elles ont plus d’intuition, ou pas ? Je pense que c’est simplement que l’on n’a pas les mêmes forces et qualités physiques. Nécessairement, on s’organise différemment. On laisse moins de place au
bourrinage
et au passage en force. Comme on ne peut changer douze fois de voile dans la journée, il y a donc des choses un peu plus subtiles qui se mettent en place… Mais cela ne veut pas dire que les femmes ont une analyse plus fine de la météo que les hommes…
Un raisonnement qui navigue au cap de l’intuition…
En tant qu’alpiniste, Alexia Barrier (TSE – 4myplanet) n’a pas l’habitude de s’engager en solo ou d’être en premier de cordée. Face à l’Everest des Mers, elle est partie en solitaire pour la première fois autour du monde, avec le bateau le plus ancien (22 ans) de la flotte IMOCA : le Pingouin
, nom de baptême de l’ancien monocoque de Catherine Chabaud, mis à l’eau en 1998. Du sixième sens à l’intuition féminine, Alexia s’épanche à son tour… Anticiper des manœuvres est important dans la voile. Dans ce sens, il faut savoir s’écouter. On peut donc parler d’intuition. Généralement, elles sont bonnes. Lorsque je commence à trop raisonner, souvent, je me trompe. Je raisonne, c’est utile, mais j’ai besoin aussi de revenir à mon intuition première pour faire un choix.
Un raisonnement qui navigue au cap de l’intuition qui n’est pas la seule chose qui caractérise Alexia lorsqu’elle prend la mer. Elle possède d’autres atouts au féminin. Une force intérieure et un optimisme qui m’aident à passer outre de situations difficiles. Dans des moments où j’ai peur, je peux facilement rire de moi. Cela allège beaucoup de choses dans la course au large, mais aussi dans la vie de tous les jours. Cela permet de relativiser dans la difficulté. Face à l’océan, il y a une grande part de mystère. On connaît mieux l’espace que la mer. C’est fou, car l’on dépend de la mer pour vivre…
Les océans absorbent 30 % du CO2 généré par l’homme, et fournissent 135 milliards de tonnes d’oxygène par an. Si Alexia parle de mystère face à la mer, elle évacue la carte chance de son jeu de voile. On dit, parfois, qu’il faut la provoquer. Mais finalement, la chance, ce n’est que la somme du travail accompli qui finit par payer. La voile ne laisse pas sa place au hasard. Il y a, parfois, des petits coups de pouce du destin…
Celui d’Alexia, mais aussi de Samantha, d’Isabelle, Clarisse, Pip et Miranda est, actuellement, sur l’Océan Atlantique. Et ce destin au féminin est porté par ces six femmes à la mer… Espérons qu’elles décrocheront toutes leur bonne étoile. Celle de revenir sur terre en ayant fait le tour du monde…
Et pour conclure, par du masculin au féminin, de la terre à la mer, et inversement, ce « Sédentaire »
, poème de François Mauriac.
« Si jamais je ne fus sur l’Océan amer,
C’est que mon univers a tenu dans les êtres.
Un corps était un monde où je régnais en maître.
Des yeux avaient les bords ravagés d’une mer.
Haleines, tièdes vents sur ma poitrine heureuse !
J’ai vu des lacs dormir aux lisières des cils
Et, plus qu’aucun marin, j’ai connu les périls
D’un corps que le sommeil soulève, abaisse et creuse. »