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Evolution

4 idées reçues sur la théorie de l'évolution de Charles Darwin

Le 24 novembre marque l'anniversaire de la première publication de "L'Origine des espèces" de Charles Darwin - c'était en 1859. A cette occasion Sciences et Avenir revient sur les attaques persistantes menées contre la théorie de l’évolution. Parmi elles, quatre arguments sont récurrents et pourtant totalement faux. Décryptage.

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crâne et tête de darwin

Le crâne et la tête de Charles Darwin, représentés dans sa maison de Down, en Grande Bretagne.

Crédit: CARL DE SOUZA / AFP

Original, Darwin ? Incontestablement, comme le racontait une exposition de la Cité des sciences et de l’industrie, à Paris, en 2016. Mais ce savant fécond et minutieux est également incompris. On comprend que son travail ait provoqué une “tétanie idéologique” à l'époque victorienne. Il est plus ennuyeux et surprenant que persistent dans l’espace public, de véritables malentendus sur la portée et de le sens de la théorie de l'évolution. Cette dernière est également caricaturée, victime de déformations idéologiques qui profitent à des gourous religieux ou ultra-libéraux. Sciences et Avenir réfute ici quelques idées fausses et persistantes.

“Ce n’est qu’une "théorie" parmi d’autres et elle n’est pas prouvée

THÉORIE. Le premier malentendu vient de ce que le mot théorie a plusieurs sens en français. En langage courant, il désigne des faits imparfaitement étayés. Or, en science, il désigne un corpus de connaissances apportant une explication. Une théorie scientifique se distingue par le fait que son élaborateur ne connaît pas à l’avance la réponse, et surtout se donne les moyens de réfuter chacune de ses hypothèses… ce qui n’est pas le cas des autres tentatives d’explications du vivant (comme le créationnisme ou l’Intelligent design). Or, 150 ans de travaux scientifiques n’ont pas invalidé la théorie de l’évolution, mais l’ont affinée et complétée. Ainsi, la découverte de l’ADN à la fin du 20e siècle et l’analyse des génomes, permettant de retracer l’histoire évolutive des êtres vivants, sont venus conforter les connaissances des paléontologues et anatomistes. Il reste des points de discussions, des imprécisions, des compléments à apporter sur le rôle du hasard, de la contingence, de l’épigénétique, etc. La théorie de l’évolution continue donc de s’enrichir des travaux des chercheurs, mais en questionnant le monde réel selon une méthodologie scientifique faisant appel à trois piliers : le scepticisme, le réalisme et le matérialisme. Une démarche évidemment plus ardue que celle qui consiste à faire appel à une “force surnaturelle” pour combler des “failles”.

Tant de beauté, de complexité et de diversité ne peuvent être le fruit du hasard

HASARD. Certes, le hasard n’aurait jamais produit, seul, cet éventail du vivant. Mais entre le hasard — pur événement aléatoire dégagé de toute contingence — et la finalité — qui tend vers un but —,il faut replacer la sélection naturelle. Elle agit depuis des milliards d'années sur les êtres vivants et entraîne des mutations à partir d’un matériel biologique préexistant. Bref, les innovations sont contraintes par un “jeu des possibles”. Ainsi, malgré leur extraordinaire diversité, tous les animaux conservent le même plan d’organisation depuis 600 millions d’années ! La sélection naturelle se caractérise aussi par la survie des plus aptes… à un moment donné dans un environnement donné. L’évolution n’est donc pas forcément synonyme de système durable optimisé : des australopithèques robustes se sont ainsi éteint lorsque la végétation coriace à laquelle leur dentition spécialisée leur donnait un accès privilégié a disparu. Elle n’est pas non plus synonyme de complexification inéluctable  : certains vers ou insectes se sont simplifiés au terme d’un parcours évolutif compliqué. Elle ne veut pas dire non plus “progrès”, cette notion subjective. L’histoire de la vie est un chemin discontinu, souvent réversible, mêlant innovations et ratés. La sélection naturelle n'a pas de but ultime, mais un effet mécanique : reproduire les gènes. Et les seuls à s’être maintenus sont ceux qui étaient susceptibles de produire des organismes suffisamment efficaces pour, à leur tour, se reproduire. Nul besoin d’une intelligence supérieure dans ce système.

L’Homme ne peut pas descendre du singe !

SINGE. Charles Darwin n’a jamais dit le contraire ! Seule une mauvaise compréhension de sa théorie a permis de véhiculer cette idée fausse. L’Homme ne descend pas du singe : il est  un singe ! Il ne s’agit pas d’une insulte au genre humain, juste d’une classification scientifique, même si celle-ci, selon Sigmund Freud, a infligé une profonde “blessure narcissique” à l’Homme en montrant qu’il n’est ni une créature de Dieu, ni l’espèce élue de la nature, mais le fruit d’une longue évolution du règne animal. L’Homme fait partie des simiens, groupe de mammifères primates, qui possèdent tous un seul os frontal soudé, une denture adulte de 32 dents, un nez qui remplace le museau, un cerveau développé, une face courte, des membres de cinq doigts dont le premier est plus court et capable de s’écarter. L’Homme est un grand singe, dont la queue est réduite au coccyx. La génétique est venue confirmer l’étroite parenté des Hommes avec les chimpanzés (plus de 99 % d’ADN commun) : nous avons donc un dernier ancêtre commun (DAC). Tout comme nous, ces singes ont évolué. Croire que les grands singes actuels donnent une image de nos ancêtres est absurde. La querelle reste vive, en revanche, sur la question de savoir si certains de nos comportements moraux pourraient avoir des fondements biologiques, comme le postulait Darwin. L’éthologie montre aujourd’hui que les primates notamment, ont des cultures, mais sont aussi capables de conscience de soi et d’empathie

“Le darwinisme est une théorie dangereuse et immorale

DANGER. La théorie contemporaine de l’évolution admet le principe de la variation/sélection comme accélérateur du changement organique. Où est le danger ? Seule des interprétations malveillantes ou passionnées ont fait sortir cette théorie du champ des sciences pour servir de caution à des doctrines sociales et politiques comme le racisme, l’eugénisme, l’ultralibéralisme (la loi de la jungle, etc.) mais aussi à l’anarchisme ou le socialisme. Ces dérives ne sont pas propres à l’évolution : toutes les théories sont ainsi potentiellement dangereuses pour la société, pour peu qu’elles soient mal interprétées. Claude Levi-Strauss pointait ainsi “l’humanisme” quant il amène les humains à s’extraire de la nature en s’en prétendant supérieurs. Seule l’arrogance est dangereuse car elle peut s'appuyer sur de multiples doctrines, philosophies, croyances, etc. Ainsi, des croisades aux conquistadors en passant par le colonialisme, l'idée d’une supériorité issue du sang n'a attendu ni la théorie de l’évolution de Darwin ni la génétique pour prospérer !

Clémence Royer et Herbert Spencer, mauvais génies de Darwin
L’ingénieur anglais Herbert Spencer (1820-1903), un contemporain de l’auteur de l’Origine des Espèces s’empara de son hypothèse et développa une véritable philosophie avec des implications économiques et sociales que Darwin lui-même réprouvait : l’ultralibéralisme. Improprement appelé “père du darwinisme social”, “il prônait une application brute du principe de sélection — élimination aux groupes sociaux humains qu'il assimilait à des organismes" explique le philosophe Patrick Tort. En France, la philosophe et femme de sciences Clémence Royer (1830-1902) est la première à traduire le premier ouvrage de Charles Darwin. Mais cette partisane du racisme biologique remplace de son propre chef “sélection” par “élection naturelle”. De quoi alimenter un malentendu qui persiste.

Cet article est adapté d'un dossier publié dans le mensuel de Sciences et Avenir n° 744. Merci à Bruno Chanet, Guillaume Lecointre, Jean Gayon, Pierre-Henri Gouyon, Pascal Picq, Marc-André Selosse et Pierre Jouventin. 

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