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Entre les islamistes et les caricaturistes, leur coeur balance
Une de Charlie Hebdo projetée en hommage à Samuel Paty
Frédéric Scheiber / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Entre les islamistes et les caricaturistes, leur coeur balance

Humeur

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Pour l'anthropologue Emmanuel Terray, le philosophe Olivier Abel et l'inévitable Edgar Morin, le caricaturiste qui ose exercer son talent en toute liberté symbolise le danger public. Voltaire, réveille-toi, ils sont devenus fous !

Face à ceux qui s’inquiètent de la montée du terrorisme djihadiste, ou des dégâts de l’islamisme, il est des voix qui expliquent benoîtement que le problème n’est pas là, et qu’il faut regarder ailleurs pour mettre fin à l’engrenage de la terreur. Mais regarder où ? Du côté de Charlie Hebdo, voyons, et de ces satanés dessinateurs qui jouent la carte de la provocation permanente au nom de la « sacralisation » de la caricature.

Bref, si Samuel Paty a été décapité, ce n’est pas la faute d’Abdoullakh Anzorov, mais de Riss, rédacteur en chef de Charlie. Et s’il est un groupe d’illuminés dont il faut se méfier, ce ne sont pas les fous de Dieu mais les caricaturistes.

Plusieurs intellectuels se réclamant de la gauche de la gauche la plus extrême se sont déjà aventurés sur ces terres incertaines. Afin de renforcer leur groupe et de les protéger d’un éventuel retour du peloton, ils ont été rejoints par l’anthropologue Emmanuel Terray, dans Mediapart, le philosophe Olivier Abel, qui se réclame de Paul Ricoeur, sur le site de L’Obs, et l’inévitable Edgar Morin, connu pour son coup de pédale légendaire.

Opération sacralisation

Terray et Abel développent donc une théorie consistant à dénoncer la « sacralisation » de la caricature d’où viendrait tout le mal. Le premier nommé écrit : « Nous assistons aujourd’hui à une surprenante sacralisation de la fonction de caricaturiste : le voici transformé en héros de la liberté d’expression, placé de ce fait au-dessus de toute contestation et de toute critique ». Quant à Olivier Abel, il affirme : « Ce qui est proprement caricatural, c’est que les caricatures, le droit de rire, soient devenus notre seul sacré ». Amen.

Mais sur quelle planète éloignée vivent donc ces deux penseurs ? Qu’est-ce qui leur permet de suggérer que les dessinateurs de Charlie ont pris la place du Pape pour les Chrétiens, de Mahomet pour les musulmans ou de Vishnu pour les hindouistes ? Peuvent-ils apporter le moindre commencement de preuve d’un tel procès d’intention ?

Que l’on sache, la lecture de Charlie n’est pas obligatoire. Les dessins de l’hebdo satirique ne sont pas affichés dans les salles de classe. Nul n’est obligé de le réviser chaque soir en prévision d’une interrogation en cours de laïcité. Personne ne bouffe du curé, de l’imam ou du rabbin dans les cantines des écoles de la République.

Une seule véritable question se pose : dans une démocratie se revendiquant de la laïcité et de la liberté d’expression, a-t-on oui ou non le droit de se moquer des religions ? Pour les islamistes, c’est non. Toute représentation du prophète, quelle qu’elle soit, drôle ou pas, mérite la mort.

Le grand vent du relativisme

On croyait, sans doute par excès de naïveté, que tout le monde intellectuel se rallierait à une condamnation ferme et claire du discours mortifère qui a laissé tant de cadavres sur le sol national, sans chercher de circonstances atténuantes ou d’explications pseudo-culturelles. C’était sans compter sur le grand vent du relativisme compassionnel qui aboutit à faire de l’islam la religion des pauvres (le roi d’Arabie Saoudite en rigole encore) et des islamistes des personnes dont on peut comprendre la logique, à défaut de la justifier.

Et voilà comment on en arrive à inventer un Dieu fantasmagorique (le caricaturiste) pour en exonérer un autre, bien réel, au nom duquel on sème la terreur. Emmanuel Terray écrit : « Tout croyant sincère s’identifie à sa croyance ; celle-ci est partie intégrante de sa personne et de son identité ; il est donc naturel qu’il se sente agressé si sa croyance est outragée ». A ce compte-là, les frères Kouachi n’ont rien à se reprocher. Leur croyance était outragée, ils en ont tiré les enseignements et quelques balles de kalachnikov au passage. A force de les chercher, on les a trouvés.

Chiffon rouge

Emmanuel Terray poursuit, à propos des caricaturistes : « Nous sommes libres de leur rappeler que lorsqu’on agite un chiffon rouge sous le mufle d’un taureau, on ne doit pas s’étonner ensuite si le taureau se met à charger ». Et d’ajouter : « Être caricaturiste ne dispense pas d’un sens minimum de la responsabilité ». On serait tenté de lui retourner le compliment et de lui conseiller de retourner deux fois sa plume (ou sa souris d’ordinateur) dans la main avant de faire la leçon à des dessinateurs qui se contentent de dessiner, sans dessein sanguinaire particulier.

On donnera le même conseil à Olivier Abel. En effet, ce dernier ose dénoncer les « manipulations de la peur et de la xénophobie par les néonationalistes français qui sacralisent la laïcité comme si elle n’était plus le cadre neutre d’une liberté d’expression capable de cohabiter paisiblement avec celle des autres ». Allez, les amis. Soyons cool et organisons un déjeuner sur l’herbe avec les salafistes pour développer la cohabitation « paisible », fraternelle et sympathique, qui permettra de dépasser les incompréhensions mutuelles.

Pour ce moment festif, il ne faudra pas oublier d’inviter une autre grande conscience, Edgar Morin. Sur Europe 1, le porte-parole de l’humanisme sans frontière a déclaré, en ciblant les coups de crayon de Charlie : « Ce n’était pas la liberté française. C‘était seulement de grossières caricatures ». Bravo. Encore merci. Et quand Edgar Morin cosignait un livre avec Tariq Ramadan, un homme au-dessus de tout soupçon, c’était grossier ou pas ?

Pour ce genre de personnages (je pense à notre trio infernal, pas aux salafistes), Charb avait une formule qui vaut tous les commentaires : « J’ai moins peur des extrémistes religieux que des laïques qui se taisent ». Il y a pire que les laïques qui se taisent, ce sont les faux laïques qui parlent ou qui écrivent.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne