POLITIQUE - Comme chaque année, la journée internationale de l’élimination des violences à l’égard des femmes a lieu le 25 novembre. L’occasion de revenir sur tout le travail qu’il reste à mener pour les combattre.
La psychiatre Muriel Salmona, présidente de l’association “Mémoire traumatique et victimologie” est spécialiste de ces questions. Pour Le HuffPost, elle revient sur ce qui a été fait depuis l’élection d’Emmanuel Macron, comme la plateforme arrêtonslesviolences.gouv.fr à laquelle elle a participé en formant des policiers, mais aussi sur tous les chantiers qu’elle préconise sur les plans médical, judiciaire et social. Entretien.
On a parfois l’impression que les années passent et que rien ne change concernant les violences faites aux femmes. Pensez-vous que le 25 novembre devient un triste “marronnier”?
Cette journée a le mérite de concentrer une lutte solidaire entre toutes les associations, tant du côté des militantes que de tous ceux qui se battent autour de cette date. On ne peut pas mobiliser tout le monde tout le temps, là on fait beaucoup d’interventions, c’est très intense, ça a du sens. C’est une façon de visibiliser la réalité de ces violences.
Les moyens n'ont pas été du tout à la hauteur
Quel bilan politique tirez-vous du quinquennat d’Emmanuel Macron sur le sujet des violences faites aux femmes?
La grande cause du quinquennat consacrée à l’égalité entre les femmes et les hommes a eu le mérite de faire parler du sujet. On a pu faire beaucoup de propositions. Mais le résultat est très décevant. Pour éliminer les violences, il faut des moyens. Ils n’ont pas été du tout à la hauteur. On est très en deçà de ce qu’il faut faire, surtout sur le volet impunité. La justice, sauf ponctuellement, échoue à faire condamner les violences sexuelles.
Comment jugez-vous les premiers pas d’Éric Dupond-Moretti à ce ministère? Il a assuré que les violences faites aux femmes feraient partie de ses priorités...
Pour l’instant, il n’y a pas grand-chose. A part les tribunaux criminels spécialisés sans jury, à l’essai, et je n’y suis pas favorable parce que cela voudrait dire que le viol est un “sous-crime”. Les chiffres sont alarmants: en dix ans, les condamnations pour viol ont baissé de 40% alors même que 10% des viols seulement font l’objet d’une instruction et qu′1% des violeurs sont condamnés. Ce qui est paradoxal, c’est que d’un côté on observe la libération et l’augmentation de la parole, de l’autre la diminution de la prise en compte de cette parole.
La justice est dans un état catastrophique. 8% de hausse budgétaire ne suffiront pas.
Le budget de la Justice a augmenté de 8% cette année...
C’est vrai et je reconnais qu’on n’a pas vu ça depuis très longtemps. Mais la justice est dans un état catastrophique et ça ne suffira pas. Le grand enjeu est la formation. Elle a été faite avec les policiers pour la plateforme de chat disponible 24 heures sur 24. C’est un bon dispositif, encore trop méconnu, mais 14.000 signalements ont été traités en un an.
Le grand sujet, ce sont les enfants. Les fichiers pédocriminels partagés sur internet ont doublé, la France est l’un des pays où il en circule le plus au monde: on compte environ 80 millions de vidéos ou photos, ce qui nous met à la 2e place dans le monde. Souvent, ceux qui les postent sont ceux qui commettent des viols sur les enfants. La France est le paradis des violeurs et personne ne semble s’en inquiéter. 80% des enfants violés sont des filles. 1 fille sur 5 subit des violences sexuelles, dont la moitié avant dix ans. Les violences contre les femmes commencent dans l’enfance, c’est un continuum contre lequel il faut lutter.
Une fille sur cinq subit des violences sexuelles, dont la moitié avant 10 ans
Comment les éliminer?
Les médecins ne sont pas formés aux violences psychotraumatiques, alors même que les étudiants en médecine le demandent. On a une société patriarcale qui préfère encore parler d’hystérie ou de névroses pour expliquer une dépression ou des tentatives de suicide alors qu’il faut dépister les violences sexuelles. C’est un problème de santé publique et un problème démocratique, car on ne peut pas laisser la moitié du pays dans ces souffrances. On a demandé en 2016 la création de 100 centres spécialisés dans les psychotraumatismes. On en est à 15. C’est un début, mais largement insuffisant. C’est aussi une question d’argent et donc de volonté politique.
La loi Schiappa sera évaluée le 4 décembre. Vous avez été auditionnée dans ce cadre. Que va-t-il en sortir?
L’évaluation ne va pas être brillante. Nous avons toujours des viols sur mineurs déqualifiés en “atteinte sexuelle” sans seuil d’âge pour dire qu’en dessous de tel âge la contrainte est de fait. Aujourd’hui, on envoie le message à la victime parfois de 11 ou 12 ans qu’elle était consentante. C’est intolérable. Nous demandons l’abrogation de ces déqualifications et la levée de la prescription en cas d’amnésie traumatique chez les enfants, très fréquente et qui met parfois dix ou douze ans à émerger. Le Sénat l’avait votée, la commission mixte paritaire est revenue dessus. La France est très en retard sur cette question.
Jonathann Duval a été condamné à 25 ans d’emprisonnement pour le meurtre de sa compagne. Certains y ont vu la preuve que la justice prenait désormais en compte les féminicides, qu’en pensez-vous?
Le rapport de 2019 montre que 80% des plaintes pour violences conjugales sont classées sans suite, qu’il n’y a pas de garde à vue en cas de risques de féminicides et près de la moitié des femmes avaient signalé à la police avant de mourir les menaces qui pesaient sur elles. Elles ont été ignorées. Non, ce procès n’est pas un progrès. Alexia a été décrite comme “autoritaire” ou “humiliante”, comme si ça pouvait excuser ce crime. Les faits étaient aggravés par son mensonge, le fait qu’il était son compagnon et la façon dont il a traité le corps. Le procureur avait requis la perpétuité. La culture du viol et de la violence sont encore bien en place.
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