Dominique Blanc : « Il faut jouer coûte que coûte ! »

Pensionnaire de la Comédie-Française depuis 2016, l'actrice présentera « Sans famille », un spectacle tous publics. Cette femme délicieuse use de son optimisme et de sa passion du jeu pour espérer un avenir lumineux.
Clara Géliot
Dominique Blanc : « Il faut jouer coûte que coûte ! » Bestimage

Comment occupez-vous ce nouveau confinement ?
Dominique Blanc -
Je répète tous les après-midi Sans famille dans la salle Richelieu. Nous devrions présenter la pièce dès la réouverture des théâtres et, quoi qu'il arrive, nous serons prêts le 3 décembre pour réaliser une captation sans public à destination du ministère de la Culture, dont la Comédie-Française dépend. J'ai bien conscience que c'est une chance énorme de pouvoir sortir de chez soi, de travailler, dans un pays où ce qui touche à la culture est paralysé et où de nombreux artistes et techniciens sont à l'arrêt. Ils vivent une grande tragédie avec ce virus.

Cela vous met-il en colère ?
Dominique Blanc -
Oui, je trouve dommage que Bruno Le Maire n'ait pas accepté la proposition de Roselyne Bachelot consistant à laisser cinémas et théâtres ouverts. Le protocole mis en place par le Théâtre Marigny, où je jouais à guichets fermés le Côté de Guermantes, était très bien respecté, par exemple. Et même lorsque nous avons adapté les horaires et joué à 17 heures pendant le couvre-feu, les jauges étaient pleines et la ferveur des applaudissements en disait long sur le bonheur des spectateurs. Quant aux comédiens, je pense que tous sont d'accord pour dire qu'il faut jouer coûte que coûte.

Qu'est-ce qui vous a séduite dans la pièce Sans famille ?
Dominique Blanc -
Revisiter Hector Malot ou ces auteurs du xixe siècle qui racontent la misère me paraissait opportun à une époque où les confinements créent des millions de nouveaux pauvres. Et la dimension humaniste de Léna Bréban m'a plu : elle tenait à mettre en scène un spectacle destiné à tous les spectateurs de plus de 8 ans. Par ailleurs, le fait de jouer trois personnages – la mère adoptive, un mauvais garçon et la drôle de mère Driscoll – m'amusait. Malgré la thématique, il y a beaucoup de fantaisie dans cette pièce. Or les gens ont besoin de rire de choses tragiques en ce moment.

Avez-vous souvent eu l'occasion de jouer devant des enfants ?
Dominique Blanc -
Non, et entre les écrans devant lesquels ils se collent et ceux qu'on leur impose, il n'est pas facile de capter leur attention. Mais souvenons-nous que le théâtre, c'est quelqu'un qui monte sur une cagette pour raconter quelque chose. Si l'histoire est bonne et que les comédiens font correctement leur boulot, même les alexandrins deviennent limpides, et tout le monde veut connaître la fin. Voilà pourquoi je crois au pouvoir du théâtre sur les jeunes et à l'importance de servir des œuvres de qualité. On a beau consommer à outrance, il faut tirer les gens vers le haut en les emmenant là où ils n'avaient pas forcément pensé aller.

« On doit tirer les gens vers le haut en les emmenant là où ils n'avaient pas pensé aller »

Quels furent vos premiers chocs théâtraux ?
Dominique Blanc - Etant lyonnaise, c'était au Théâtre national populaire de Villeurbanne, en compagnie de ma mère : Roger Planchon y montait le Tartuffe. Un peu plus tard, aux Célestins, je me souviens d'avoir ri aux larmes devant une pièce de Molière que présentait, en tant qu'invitée… la troupe de la Comédie-Française.

Quelle fut votre réaction lorsqu'en 2016, Eric Ruf vous a invitée à rejoindre la troupe ?
Dominique Blanc - J'avoue avoir été très surprise qu'il me fasse l'honneur d'appartenir à une compagnie qui existe depuis 1680. Je n'oublie pas qu'il y a treize ans, il a été mon Hippolyte adoré dans Phèdre sous la direction de Patrice Chéreau. Venant d'une famille nombreuse, j'avais toujours voulu rentrer dans les institutions, mais du Conservatoire à la Rue Blanche, j'avais été refusée partout. Cela m'a obligée à mener une carrière solitaire comme un « lonesome cowboy ». Lorsqu'il m'a proposé d'emblée de jouer Agrippine dans Britannicus, cela tenait du merveilleux, car ça me permettait de retrouver Racine, un auteur que j'adore, et de déclamer des alexandrins sous la direction de Stéphane Braunschweig. Bref, d'entrer par la grande porte. Eric a le talent de faire revenir des spectateurs de tous âges et de tous milieux au Français en invitant des metteurs en scène passionnants, des femmes notamment, qui renouvellent le paysage du théâtre subventionné grâce à leur curiosité, leur intuition et leur énergie débordante. Et, en ces temps tourmentés, je dois avouer que c'est d'autant plus réconfortant de s'appuyer sur la troupe.

L'initiative du Français de mettre en ligne des programmes est-elle bonne ?
Dominique Blanc -
Cette webtélé, lancée pendant le premier confinement, était une riche idée ! Cela a fidélisé le public de manière extraordinaire. De 16 heures à minuit, on pouvait y voir gratuitement des interviews et des programmes passionnants. Les contes ont séduit les enfants, et les plus anciens ont pu revoir des spectacles comme Bérénice avec Ludmila Mikaël.

On vous verra en 2021 à la télévision dans la peau de Marguerite Duras…
Dominique Blanc -
Je l'incarne dans une série de TF1 consacrée à l'affaire du petit Grégory, puisqu'en 1985, elle a publié dans Libération une tribune titrée : Sublime, forcément sublime Christine V., qui posait comme une évidence la culpabilité criminelle de la mère. Cela a provoqué un scandale journalistique et littéraire dont elle a dû se justifier jusqu'à la fin de sa vie. Ça m'a ramenée à La Douleur, de Duras, que j'ai jouée pendant trois ans dans le monde entier. J'aimerais d'ailleurs reprendre la pièce en 2023 pour le dixième anniversaire de la disparition de Chéreau, qui m'avait mise en scène.

Le cinéma vous manque-t-il parfois ?
Dominique Blanc -
Oui, beaucoup ! Mais, cet été, j'ai eu la chance de tourner avec la troupe de la Comédie-Française deux films copro-duits par France Télévisions. Le premier est réalisé par Arnaud Desplechin, qui nous a mis en scène dans Angels in America, et le second est un « documentaire poétique » de Christophe Honoré que nous avons tourné au Théâtre Marigny à partir d'un scénario original.

Vous avez reçu 4 Césars et 4 Molières. Où les avez-vous rangés ?
Dominique Blanc - Sur les marches d'un escalier pour me souvenir que, dans ce métier, il y a des hauts et des bas.

Quel rapport avez-vous à la famille ?
Dominique Blanc -
Elle est une force vive précieuse qui m'a aidée à tenir dans ce métier où les coups durs et les trahisons sont légion. Mon père était obstétricien, ma mère infirmière, et les cinq enfants formaient une tribu bordélique et joyeuse. Je suis la seule à avoir épousé une carrière artistique, mais nous sommes tous restés très proches : malgré les drames de la vie, l'éloignement géographique, ce lien perdure, entre nous et entre nos enfants. Moi, j'en ai trois : deux filles de 29 et de 23 ans qui ne sont pas du métier, et un beau-fils musicien de 40 ans qui est lui-même père d'une petite fille.

Que faites-vous quand vous ne travaillez pas ?
Dominique Blanc - J'ai quitté Paris il y a dix ans pour m'installer près de la forêt de Montmorency. Entre autres loisirs, je marche dans la nature et je m'adonne à la méditation, que j'ai apprise avec un professeur de médecine, car j'ai toujours accordé une grande importance à la concentration. Sinon, ces prochains mois, j'aimerais faire de beaux tirages des nombreuses photos que j'ai prises des enfants pour réaliser des albums à l'ancienne. Mais, d'une manière générale, j'aime beaucoup lire, écrire – cela a, chez moi, une vraie fonction thérapeutique – ou écouter des émissions à la radio. Tout ce qui touche à la culture me passionne et m'épanouit. Mais, en ce moment, je suis tout à mes répétitions, car la question désormais est : y aura-t-il du théâtre à Noël ?

Sans famille, d'après Hector Malot. Mise en scène de Léna Bréban. Théâtre du Vieux-Colombier, Paris. Réservations sur comedie-francaise.fr.

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le 22/11/2020