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« Je travaille dans une super ambiance ! » Les curieux défenseurs d’Amazon sur internet

Sur les réseaux sociaux, des dizaines d’employés d’Amazon vantent les mérites du géant du e-commerce. Objectif : désamorcer les critiques des journalistes, associations et citoyens en projetant sur l’ogre du numérique l’image d’une entreprise à taille humaine.

Soirée Halloween et pauses gourmandes, ouverture d’un espace fumeur ou présentation des mesures sanitaires… Sur son fil Twitter, Magdalena semble exposer le quotidien exemplaire d’une entreprise ordinaire. À coup de photos et de vidéos, la jeune femme ouvre une fenêtre idyllique sur la mécanique interne d’Amazon.

Magdalena y est à la fois préparatrice de commandes et « ambassadrice réseaux sociaux », comme elle se définit elle-même. Un double rôle symbolisé par son identifiant Twitter : « AmazonFCLena ». L’acronyme central FC a pour origine « Fulfillment Center », le patronyme anglophone des centres de préparation de commande Amazon. À ne pas confondre avec les plateformes logistiques, dont Reporterre montrait la semaine dernière l’envers du décor.

Madgalena n’est pas seule dans ce rôle de représentation. Elle peut compter sur Alexis, Solène et Jonathan pour tweeter à ses côtés. Tous sont employés au centre logistique de Boves (Haut-de-France), et rédigent en chœur les mêmes messages édulcorés. Si la majorité des tweets sont destinés à décrire leurs journées de travail, le quatuor prend également la peine de répondre aux détracteurs d’Amazon, au risque de chanter d’une même voix des éléments de langage. « En revanche je travaille pour Amazon depuis 2 ans et je peux vous assurez que mes conditions de travail sont très bien ! Je travail dans une super ambiance et vraiment le travail n’est pas dur je ne suis pas exploiter quoi !!! [sic] », assure Solène à une internaute critiquant les conditions de travail du géant américain. « Ohhh mais non pourquoi entendre ce genre de propos moi j’y travaille depuis 3 ans en tant que préparatrice de commande et je peux vous certifier qu’il y a une très bonne ambiance, la sécurité passe avant tout le reste. J’espère y rester très longtemps et pouvoir évoluer », renchérit Magdalena à un autre contempteur.

Des employés « volontaires » aux discours extrêmement similaires

Interrogé sur ces profils particuliers, Amazon assure à Reporterre que « les ambassadeurs FC sont des salariés expérimentés volontaires qui souhaitent être des ambassadeurs de nos centres de distribution. Ils connaissent la réalité du travail et ils sont présents depuis suffisamment longtemps pour pouvoir partager en toute honnêteté des faits concrets basés sur leur expérience personnelle quotidienne. »

Quelle motivation anime cette communication bénévole ? Réponse d’Amazon :

De nombreux collaborateurs dans nos centres de distribution se disent heurtés de voir des personnes, qui ne connaissent pas le fonctionnement d’un site logistique, faire des commentaires inexacts sur leur travail. »

Des affirmations difficiles à vérifier. Contactés, aucun « ambassadeur » n’a souhaité répondre aux questions de Reporterre.

Ces employés « volontaires » utilisent en tout cas des comptes Twitter créés à partir d’une adresse mail professionnelle — se terminant par le domaine « amazon.com ». Quant aux messages postés, ils ont systématiquement été émis à l’aide de l’outil Sprinklr. Soit « la première plateforme de Customer Experience Management (CXM) au monde qui aide les entreprises à proposer des expériences clients mémorables », comme le vante cette compagnie américaine. Un outil professionnel qui permet de concentrer sur une unique plateforme les interactions avec les interlocuteurs de différents réseaux sociaux, et de superviser le travail de chaque « ambassadeur ».

Même les vidéos, tournées à l’extérieur, mais dont la voix-off est enregistrée à l’intérieur, démontrent le caractère réfléchi de chaque publication. En témoignent les noms des fichiers mis en ligne : « presentation ok.mp4 », « port masque-voiture-bva1(1).mp4 »

Si cette stratégie de storytelling est encore discrète en France, des dizaines « d’ambassadeurs » sont déjà déployés à travers le monde. De l’Ohio aux États-Unis ou de Dortmund en Allemagne, les comptes se suivent et se ressemblent. En tête de la majorité des « fils » Twitter, une courte présentation vidéo de l’employé, toutes élaborées sur le même modèle. Tous les profils vantent d’une même voix les conditions de travail des préparateurs de commandes, avec des éléments de langage similaires à leurs confrères français. Tous répondent également pied à pied aux détracteurs d’Amazon. Une simple coïncidence pour le cybermarchand, qui certifie ne fournir « ni message, ni éléments de langage à ses salariés ». Objectif de cette stratégie ? Désamorcer les critiques des journalistes, associations et citoyens en projetant sur l’ogre du numérique l’image d’une entreprise à taille humaine.

« Je suis avec Amazon depuis 6 ans et je ne suis pas exploitée. Je me sens vraiment très à l’aise ici. Difficile à croire je sais. »

Sur les chaînes Youtube d’Amazon, des vidéos sans détracteurs

Autre front de communication numérique, nouveau contre-feu médiatique. Sur Youtube aussi Amazon fait son cinéma. Des dizaines de chaînes y ont été déployées pour faire la promotion de ses services. On y découvre, entre deux spots publicitaires, des vidéos de démystification des allégations portées contre Amazon. En réaction à la parution d’une enquête qui souligne la précarité alimentaire des employés Amazon, la chaîne Amazon Stories UE s’est fendue d’une vidéo « Amazon, vrai pas vrai ? »

Capture d’écran de la vidéo « Amazon, vrai pas vrai ? »

Mise en scène : une employée lit une carte, tamponnée du logo d’Amazon, sur laquelle une question est inscrite. « Avez-vous l’impression de vous faire exploiter ? » Et quatre employés de féliciter à tour de rôle leurs conditions de travail dans un étrange exercice corporate. Difficile d’asseoir la crédibilité d’une telle vidéo, la spontanéité de ses acteurs, ou la véracité de leurs récits.

Cette communication ne souffre pas de la contradiction : les commentaires des internautes sont systématiquement désactivés sur l’ensemble des chaînes Youtube associées à Jeff Bezos : Amazon News, Inside Amazon Videos, AmazonFulfillment, Amazon Uk, Amazon Fr. (Seule exception, Amazon Stories UE a oublié de clore ses commentaires.)

Un détail pour Amazon, qui affirme, sans y voir d’ironie : « Nous accordons beaucoup d’importance aux retours de nos clients et il existe de nombreuses façons de nous envoyer des commentaires directs, via le service client ou de nombreuses autres plateformes de réseaux sociaux. » Un choix détonnant sur une plateforme où le commentaire est roi.

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