RECIT. L'histoire de Désiré Bianco, le plus jeune Poilu mort au combat, embarqué clandestin à Toulon

Ce gamin de Marseille a 13 ans lorsqu'il embarque clandestinement le 2 mai 1915 sur " La France", navire de transport de troupes amarré dans le port de Toulon. Quelques jours plus tard, débarqué avec les troupes sur le champ de batailles des Dardanelles (Turquie), il meurt au combat. Un monument dressé près de l'hôpital des Armées Saint-Anne à Toulon rend hommage à cet enfant soldat, héros oublié de la Première Guerre Mondiale

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Peggy Poletto Publié le 11/11/2021 à 12:48, mis à jour le 11/11/2021 à 12:48
Désiré Bianco, 13 ans, le plus jeune poilu mort au combat en 1915 source : RetroNews BnF

"En avant. Hardi ! À la Baïonnette! ».

Un sabre fermement tenu en main, un frêle soldat au visage couvert de boue surgit d’une tranchée. Autour de lui, les balles sifflent, les hommes tombent sous le feu de l’ennemi.

Lui avance, encore et encore, dénué de toute peur. Comme anesthésié de tout effroi alors que les corps ensanglantés, agonisant de ses camarades jonchent le champ de bataille.

L’atmosphère est irrespirable, les ventres creux, les esprits envahis par l’agonie des blessés, le manque d’eau, les mines qui explosent, la chaleur… « Désiré, reviens ! Reviens… », l’exhorte-t-on à l’arrière.

Mais Désiré poursuit, insouciant, sa folle course. Il hurle tel un Gavroche sur les barricades une fois de plus : « À la baïonnette…». Soudain, il perd son élan, se fige.

Ses doigts desserrent le sabre qui glisse de sa main. Le soldat est au sol, touché en plein front par une balle. Nous sommes le 8 mai 1915.

Désiré Bianco meurt au combat pour la France sur la péninsule de Gallipoli, pendant la campagne des Dardanelles (ex-Empire ottoman, Turquie actuelle).

Désiré Bianco avait 13 ans, 1 mois et 4 jours.

Un monument dressé devant l'hôpital des Armées

Le monument dédié à l'enfant soldat devant l'hôpital Sainte-Anne à Toulon Photo P. P..

Un siècle plus tard, le parcours héroïque - Ô combien tragique du plus jeune poilu mort en service - se résume à un monument dressé devant l’hôpital d’instruction des armées Sainte-Anne à Toulon.

Avec gravé sur le marbre l’incroyable périple d’un gamin de Marseille. D’un enfant qui rêvait de voir la guerre au point de fuguer du foyer familial pour rejoindre le front en Orient et y perdre la vie. Dans la cité phocéenne, une avenue porte aussi son nom en hommage à cette vie d’enfant brisé.

Les fugues patriotiques du jeune Marseillais

Ils seront plusieurs enfants à s'engager durant la Première Guerre Mondiale Photo D.R..

La fibre patriotique, Désiré il la porte en lui. Depuis que l’Allemagne a déclaré la guerre à la France le 3 août 1914, le gamin a une idée fixe : voir la guerre.

Il vit au 14 rue d’Alby, dans le quartier modeste de Menpenti, avec ses parents Mathilde et Jean - tous deux ouvriers - et sa sœur Alice de deux ans son aînée. En janvier 1915, première fugue.

Désiré fait le mur et se glisse dans les rangs d’un détachement du 6e hussard qui quitte la cité phocéenne pour rejoindre le front, direction Verdun. Il n’a pas encore 13 ans et le voilà agent de liaison cycliste sur les champs de bataille de la Meuse jusqu’à ce qu’un général, lors d’une inspection, décide de le renvoyer chez lui tout en saluant son courage.

C’était méconnaître la détermination de Désiré. Un mois plus tard, il fausse compagnie aux siens pour rejoindre, à nouveau, le 6e hussard sur le front.

Les autorités militaires s’étonnent, le félicitent et le renvoient dans sa famille. Cette fois, pense-t-il sûrement, on ne le reprendra plus…

Sa course folle vers la mort

La bataille des Dardannelles fut un fiasco militaire Source : RetroNews BnF.

Adieu Marseille. Bonjour Toulon. Le 2 mai 1915, sur les quais du port de la rade, ce petit bout d’homme déterminé, auquel personne ne prête attention, parvient à grimper sur La France, un navire de transport de troupes qui doit convoyer le 58e régiment colonial mixte vers les Dardanelles.

Les soldats français et britanniques sont alors envoyés sur le front oriental pour obtenir le contrôle de détroit des Dardanelles et la capitulation de l’Empire ottoman, allié de l’Allemagne. Cette campagne militaire durera du 18 mars 1915 au 9 janvier 1916 et sera qualifié de fiasco militaire. 

Hissé à bord, dissimulé du mieux qu’il peut, il sera découvert plusieurs heures plus tard alors qu’il est impossible de faire demi-tour. Désiré va devenir la mascotte de l’équipage, la pupille du régiment.

Quatre jours plus tard, les hommes débarquent sur la péninsule de Gallipoli où les affrontements entre les soldats de l’empire ottoman et les alliés sont âpres depuis le 18 mars.

Les batteries ennemies positionnées sur les hauteurs rendent les avancées quasi impossibles. C’est une impasse. Un massacre. https://www.dailymotion.com/video/xj1j63

Le 8 mai, moins d’une semaine après son embarquement à Toulon, Désiré Bianco découvre l’enfer sur terre, cette guerre qu’il voulait voir de près, il a les pieds dedans. Avec l’odeur mêlée de la boue, du sang et des souffrances.

Caché dans un abri de fortune creusé dans un sol rugueux, Désiré est sommé par ses camarades de ne pas bouger et de garder leurs affaires. Lui ne les entend pas.

Ou plutôt, il n’écoute que son courage. En ce milieu d’après-midi, le gosse quitte son abri de fortune pour tenter d’atteindre le haut d’une colline. Une course folle vers la mort.

Désiré, l’enfant-soldat n’a, à ce jour, pas de sépultures connues. Son corps ne fut pas retrouvé, comme celui de milliers de soldats tombés dans ce fiasco militaire où les pertes humaines furent considérables (46 000 morts et 86 000 blessés pour les alliés).

« Le nom de cet enfant pourrait être inscrit au Panthéon des grands Français »

En 1937, une stèle est inaugurée en hommage à Désiré Bianco Source : RetroNews BnF.

A leur retour en France, ses compagnons d’armes demandent insistent pour rendre hommage à ce combattant hors norme. Le 30 août 1916, avec l’accord du général Joffre, commandant en chef des forces françaises, Désiré Bianco est cité à l’ordre de l’armée. 

Le 14 janvier 1920, le tribunal de Marseille établi un acte de décès avec la mention : « Tué à l’ennemi, le 8 mai 1915 dans la région du Fortin de l’haricot, Dardanelles, Turquie».

Vingt ans plus tard, le souvenir du jeune héros resurgit… D’anciens poilus créent la Légion des Mille, une institution honorifique regroupant les 1 000 plus jeunes combattants volontaires de 1914-1918. Désiré Bianco est reconnu comme le premier d’entre eux.

À Toulon, le 17 mai 1936, le buste de ce soldat hors du commun est enfin dévoilé, lors d’une cérémonie militaire qui se déroule en présence de ses parents.https://www.retronews.fr/embed-journal/le-petit-provencal/18-mai-1936/677/2834239/10?fit=1487.2064.1026.966

« Le nom de cet enfant pourrait être inscrit au Panthéon des grands Français », écrira Gaston Doumergue, ex-président de la République (1924-1931).

Cent cinq ans plus tard, la stèle s’élève fièrement dans le ciel toulonnais, encerclée par les bâtiments des armées françaises.

A son pied quelques fleurs fanées déposées au pied de la stèle ravivent le souvenir d’un héros hors du commun. D’un enfant grand comme un homme.

Jugement du tribunal de Marseille du 14 janvier 1920 avec mention "Tué à l'ennemi" Source : RetroNews BnF.

" Le devoir et plus que le devoir" : la légion des Mille, ces enfants-soldats engagés volontaires

Ils étaient 999. Ils avaient entre 13 et 17 ans. Ils se sont engagés volontairement pour défendre la France lors de la Première Guerre Mondiale.

Ils étaient la Légion des Mille. Avec une devise : " Le devoir et plus que le devoir"

Ils étaient tous membres de l'association créée en 1935 pour rassembler les plus jeunes volontaires ayant combattu dans les Armées françaises pendant la guerre de 1914-1918 "afin qu'ils puissent s'entraider et mettre ensemble, au service de la Nation, les généreux sentiments dont ils ont donné les preuves".

La Légion des Mille a été dissoute - comme le prévoyait ses statuts en 2003 à la mort du dernier des siens. 

Dans les rangs l'on trouvait le Matricule 1 : Désiré Bianco, mais aussi Auguste Thin qui eu l'honneur de choisir le Soldat Inconnu, Jean-François Perette, blessé au combat et l'un des plus jeunes médaillés de la Médaille miliaire, François Siffre, engagé sur le front à 17 ans...  

En novembre 2019, à l'occasion de la commémoration du centenaire de la Première Guerre Mondiale, Michel Magnaldi, délégué départemental du Var de la Fondation de la France Libre (1ere DFL) a tenu à raviver le souvenir de Désiré Bianco, cet enfant soldat "un anonyme parmi des milliers d'autres parti à des milliers de kilomètres, dans la Turquie actuelle se défendre des valeurs, soutenir l'effort de guerre de son pays".  

Des collégiens ont découvert stupéfaits le parcours hors norme de Désiré Bianco. 
" Il est un peu fou d'imaginer aujourd'hui qu'un garçon de 13 ans puisse s'engager dans l'Armée pour défendre son pays. Le parcours de Désiré Bianco est porteur de valeurs universelles pour la jeunesse. Il est mort en défendant la France".

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