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"Lynchage de policiers" : Julien Bayou s'excuse de demander pardon après l'emploi d'un mot "pas adapté pour une personne blanche"
PHOTOPQR/L'EST REPUBLICAIN/MAXPPP

"Lynchage de policiers" : Julien Bayou s'excuse de demander pardon après l'emploi d'un mot "pas adapté pour une personne blanche"

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Sur Twitter, le secrétaire général d'EELV, Julien Bayou, a été tancé par la militante afroféministe Amandine Gay après avoir désigné comme tel le "lynchage" de policiers à Bastille lors de la manifestation de la veille. Ce terme serait, selon la réalisatrice, réservé aux personnes noires…

Même chez Europe Ecologie les Verts, personne n'est à l'abri d'être accusé de ne pas être assez "conscientisé". Le secrétaire général du parti, Julien Bayou, en a fait l'amère expérience ce dimanche 29 novembre, repris de volée par la réalisatrice Amandine Gay après avoir désigné comme tel le "lynchage" de policiers à Bastille lors de la manifestation de la veille. Selon elle, l'emploi de ce terme devrait en effet être réservé aux lynchages de personnes noires. Loin de se rebiffer contre la tentative d'OPA langagière de la militante afroféministe, le leader écolo a au contraire battu sa coulpe, allant jusqu'à réclamer un "échange" pour choisir le lexique adéquat et non offensant.

L'emploi du mot "lynchage" dans le tweet à l'origine de cette navrante abdication est pourtant parfaitement anodin. Samedi soir, le pénitent Bayou écrivait : "Le pays se fissure. Images horribles de lynchage de policiers à Bastille. La violence policière impunie qui abîme la confiance de la population. Le gouvernement nous entraîne dans une spirale qui ne peut que mal finir."

Vous ne voyez pas le problème ? Amandine Gay se charge d'éclairer votre lanterne : "Voilà pourquoi la banalisation du terme 'lynchage' et son usage par les personnes blanches pour décrire du harcèlement en ligne ou des agressions IRL (in real life, N.D.L.R.) conduit non seulement à effacer l’expérience et les souffrances des personnes noires, mais aussi à inverser la réalité", annonce la militante. Notons qu'outre le terme lui-même, c'est "son usage par les personnes blanches" qui est désigné comme "problématique", pour employer un terme cher à l'orthodoxie antiraciste.

La démonstration s'appuie sur l'idée que des lynchages de personnes noires ont toujours lieu aux États-Unis. Fait dont Amandine Gay tire cette conclusion : "Il ne s’agit donc pas d’étendre un terme décrivant une pratique révolue. Ce terme concerne toujours spécifiquement les Noir.e.s." Outre le fait que la langue, ses extensions et ses analogies, n'aient jamais réglé leurs pas sur la marche de l'Histoire, les définitions des termes "lyncher" et de son substantif "lynchage", tout comme leur étymologie, n'expriment en rien l'idée qu'ils concerneraient "toujours spécifiquement les Noir.e.s".

Que dit le dico ?

Le Centre national de ressources textuelles et lexicales (CNRTL), qui relève une première occurrence du mot en 1861, désigne le lynchage comme le fait de "mettre à mort (quelqu'un) sans jugement régulier", et "par extension, [de] faire subir (à quelqu'un) des violences physiques entraînant la mort". Le mot "lynchage" est encore défini comme "l'exécution sommaire (de quelqu'un) par une foule". Le Larousseparle quant à lui de "mettre à mort sommairement quelqu'un ou lui faire subir des violences sans jugement régulier, en parlant d'une foule, d'un groupe".

Pour l'étymologie, voilà ce que nous apprend le CNRTL : lyncher est "emprunté à l'anglo-américain to lynch attesté depuis 1835 et formé sur le terme lynch de Lynch law, 'loi de Lynch', désignant une pratique de châtiment et parfois d'exécution sommaire sans procès par référence au Capitaine William Lynch (1742-1820) habitant l'État de Virginie, puis la Caroline du Sud, qui établit cette pratique". Si les afro-américains ont bien sûr été victimes de lynchages, notamment perpétrés par le Klu Klux Klan, jamais cette pratique ne leur a été réservée : loyalistes de la couronne britannique et partisans républicains en ont par exemple fait les frais.

Avant que 'lyncher' ne devienne un verbe, on trouvait déjà des mentions de la "loi de Lynch" dans Les Misérables dans un sens ayant bien trait à une exécution sommaire, et sans aucun rapport avec la couleur de peau de la victime. Victor Hugo (c'est de lui) écrivait ainsi : "Le zèle parfois allait jusqu’à l’extermination. Tel peloton de gardes nationaux se constituait de son autorité privée conseil de guerre, et jugeait et exécutait en cinq minutes un insurgé prisonnier. (…) Féroce loi de Lynch, qu’aucun parti n’a le droit de reprocher aux autres, car elle est appliquée par la république en Amérique comme par la monarchie en Europe."

"Un système de déshumanisation des Noir.e.s"

Par ailleurs, faut-il exclure du langage courant, dans lequel ils sont passés, tous les mots se référant de près ou de loin à l'Histoire, sous prétexte qu'ils pourraient offenser quelqu'un ? Le mot "vendetta" offense-t-il les Corses ? "Razzia" offense-t-il les peuples arabes ? "Schisme" est-il une insulte aux catholiques ? Faut-il bannir les mots "synode", "balkanisation", "krach", "croisade" et autres "oukase", parce qu'ils voleraient à quiconque, victime ou pas, une part de son identité ?

Ces objections linguistiques n'empêchent pas Amandine Gay de poursuivre son sermon, selon lequel Julien Bayou participe "à un système de déshumanisation des Noir.e.s" et invalide "le continuum négrophobe à l’origine de l’agression de Michel" - prénom du producteur Michel Zecler, dont l'agression par des policiers a été révélée la semaine dernière par des vidéos de Loopsider. "Utiliser l’expression 'lynchage de policiers', la semaine où la vidéo d’un passage à tabac d’un homme noir par des policiers blancs vous a soi-disant ému, c’est prouver, s’il en était encore besoin, qu’il n’y aura pas de convergences des luttes de sitôt", continue la militante, pour qui "la suprématie blanche est un continuum auquel vous (Julien Bayou, N.D.L.R.) appartenez".

Rééducation

Mais le meilleur reste à venir : comme évoqué plus haut, Julien Bayou - dont le patronyme sera peut-être un jour dénoncé comme une odieuse appropriation culturelle - a en effet préféré tendre l'autre joue à Amandine Gay, au lieu de l'inviter à ouvrir un dictionnaire. Et c'est tremblant de reconnaissance et de contrition mêlées que le patron des Verts fait son mea culpa : "Merci d’avoir pris le temps d’une explication de texte argumentée. Je vous présente mes excuses, je ne souhaitais surtout pas générer cette réaction, effacer les souffrances des personnes noires et encore moins inverser l'histoire", assure-t-il sur Twitter.

Capture d'écran Twitter

Pétrifié, semble-t-il, à l'idée d'être la cible d'une infamante accusation de racisme, le secrétaire général d'EELV souscrit complètement au propos de la militante afroféministe, affirmant que "le terme lynchage n’est pas adapté pour une personne blanche, a fortiori dépositaire de l’autorité publique". Julien Bayou réclame même une rééducation en bonne et due forme : "Je serais preneur d'un échange pour déterminer comment qualifier le fait qu'une foule s'en prenne à un policier, ce qui s’est malheureusement produit hier." Précision méritant une ultime salve de précautions, puisque "cela ne remet pas en question [s]on indignation sincère face à ce qui est arrivé à Michel Zecler et [s]on engagement pour mettre fin aux violences systémiques contre les personnes racisées". Ouf.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne