Sciences
Le microbiome des dessins de Léonard de Vinci
Pour entreprendre ce projet, des conservateurs et des scientifiques du Central Institute for the Pathology of Archives and Books de Rome ont contacté Guadalupe Piñar, une chercheuse spécialisée dans l’étude des microbiomes des objets historiques et affiliée à l’Université des ressources naturelles et des sciences de la vie de Vienne. Ensemble, ils se sont penchés sur sept dessins de Léonard de Vinci, à la recherche des bactéries et champignons qui s’y sont accumulés au fil des siècles.
Comment analyser les œuvres sans les détériorer? En passant un petit coup d’«aspirateur»! Les chercheurs ont utilisé une technologie connue sous le nom de séquençage par nanopores, une technique non invasive qui existe depuis la fin des années 90. «Cela séquence les molécules d’ADN en temps réel lorsqu’elles passent à travers une membrane de polymère sous l’effet d’un courant électrique. On séquence en même temps de nombreuses molécules d’ADN», explique Guadalupe Piñar, dans une entrevue par courriel.
Elle a choisi cette technique, plutôt qu’une autre plus connue, comme le PCR, car elle demande moins de réactifs chimiques. «C’est moins cher et on gagne beaucoup de temps parce que le processus technique est simple. Autre avantage: l’appareil [le séquenceur] est plus petit qu’un cellulaire. On peut donc apporter l’appareil dans les musées.»
Contamination humaine
Le séquençage ne dit toutefois pas si le matériel génétique récolté provient de microbes vivants ou morts. Néanmoins, Guadalupe Piñar explique que ce genre de travail permet de connaître l’état de conservation et les risques de détérioration d’une œuvre. «Le microbiome de ces dessins en particulier en révèle beaucoup sur le type de contamination auxquels ils ont été soumis dans un passé récent, surtout le contact humain, puisqu’il y avait un grand nombre de microbes retrouvés habituellement sur la peau, ainsi que des microbes typiques des insectes», signale-t-elle.
Comme une signature unique, le microbiome varie d’un objet à l’autre. Les microbes qui réussissent à se tailler une place sont notamment influencés par le matériau utilisé comme support (papier, toile, bois) et ses couches (vernis, craie, crayon, peinture à l’huile).
La chercheuse a été surprise de trouver une plus grande proportion de bactéries que de champignons. «On a toujours pensé que les champignons étaient dominants parmi les microbes qui colonisent les objets d’art sur papier.» Cette plus grande proportion de bactéries serait en partie due à la contamination humaine qui s’est faite récemment, lorsque les gens manipulent ou transportent les œuvres.
Des microbes datant de la même époque que De Vinci?
Guadualupe Piñar indique qu’il est impossible que des bactéries encore vivantes aujourd’hui aient pu côtoyer le célèbre artiste italien. «Cependant, du matériel génétique pourrait être présent depuis l’époque où les dessins ont été réalisés. En fait, on sait que de nombreux objets conservés dans les musées et les archives constituent un réservoir parfait de matériel génétique et d’ADN ancien.»
Grâce aux résultats d’analyses, publiés dans Frontiers in Microbiology, l’équipe a dressé ce qu’elle appelle des bio-archives pour chaque dessin. Une sorte d’instantané du microbiome de l’œuvre à ce moment. Ces bio-archives pourraient servir à des fins de comparaisons dans le futur.
Ces informations biologiques fournissent de nouveaux éclairages fascinants sur « les matériaux employés pour leur fabrication [des œuvres], l’histoire de leur utilisation, ou même leur origine, leurs séjours géographiques et leurs conditions de stockage», raconte Guadalupe Piñar. À travers ces œuvres, on peut presque voyager dans le temps!