Musée de Grenoble

Giorgio Morandi ou la vie secrète des choses

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Publié le , mis à jour le
Méconnu en France où il est peu représenté dans les collections muséales, Giorgio Morandi (1890–1964) est un peintre à part dans l’histoire du XXe siècle. En marge de tout mouvement, travailleur solitaire, il n’a (presque) peint que des natures mortes et des paysages. Graveur également, il a séduit le musicologue Luigi Magnani, devenu son ami et mécène, dont l’abondante collection est présentée tout l’hiver au musée de Grenoble aux côtés de quelques prêts. Une belle occasion de découvrir en profondeur l’œuvre ténue d’un silencieux, qui touche au cœur.
Giorgio Morandi, Nature morte
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Giorgio Morandi, Nature morte, 1939

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À l’origine, un chef-d’œuvre

Acquise en 2015, cette nature morte de 1939 a marqué l’entrée de Giorgio Morandi (1890–1964) dans la collection permanente du musée de Grenoble. Cinq ans plus tard, la voici exposée aux côtés des cinquante œuvres de l’artiste achetées par Luigi Magnani (1906–1984) et des cinq toiles possédées par les musées français – dont le Centre Pompidou et le musée Granet d’Aix-en-Provence. Et elle dit déjà tout : le goût de l’artiste pour les camaïeux de couleurs douces, beiges, brunes et rouille, son indéfectible attrait pour les compositions simples et sa facture légèrement tremblante, qui fait vibrer l’ensemble comme un mirage.

Huile sur toile • 23 x 25 cm • Coll. musée de Grenoble • © Musée de Grenoble

Giorgio Morandi, Nature morte métaphysique
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Giorgio Morandi, Nature morte métaphysique, 1918

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De la peinture métaphysique

Né à Bologne au nord de l’Italie, Giorgio Morandi y passe sa vie entière et y meurt à soixante-treize ans. Adolescent, celui qui s’intéresse à la peinture depuis l’enfance entre à l’école des Beaux-arts de la ville – qui ne lui apprend, dira-t-il, pas grand-chose. Sa véritable formation est pour ainsi dire autodidacte, lorsqu’il découvre en feuilletant des revues le travail des impressionnistes, et surtout de Cézanne, sa référence absolue. En 1914, il fait la connaissance des artistes futuristes et expose avec eux à Rome. Quatre ans plus tard, il découvre Giorgio de Chirico et Carlo Carrà, qui lui inspirent cette Nature morte métaphysique (1918). Habitée par une tête de mannequin « qui évoque immédiatement les mêmes personnages sans visage chez Chirico ou Carrà » (Alice Ensabella, co-commissaire), cette toile pose également les principes qui feront l’œuvre de Morandi.

Huile sur toile • 54 x 38 cm • Fondazione Magnani-Rocca • © Fondazione Magnani-Rocca

Giorgio Morandi, Nature morte
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Giorgio Morandi, Nature morte, 1936

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L’expérimentation formelle

L’historien de l’art Jean Leymarie le surnommait l’« ermite bolonais ». Il est vrai que Morandi a peu voyagé ; il n’est sorti qu’une seule fois de l’Italie, pour se rendre… en Suisse. Il passe ses vacances en famille, à Grizzana, au sud-ouest de Bologne. Son père, commerçant et peu favorable à ses ambitions artistiques, meurt alors qu’il n’a que 18 ans. Morandi déménage alors avec sa mère et ses trois sœurs dans un appartement proche du centre de la ville, dans un quartier d’artisans, qu’il ne quittera plus jamais. Sa chambre est son atelier : il y dort et y travaille jusqu’à sa mort, en 1964. Cette vie modeste et solitaire (sans femme ni enfant), il la passe à faire de la peinture une perpétuelle expérimentation formelle. Et « parce qu’il entend maîtriser de bout en bout la réalisation des peintures et pour ressentir la terre comme socle premier de la peinture », écrit Anne Malherbe dans le catalogue, l’artiste broie lui-même ses couleurs.

Huile sur toile • 32 x 37 cm • Fondazione Magnani-Rocca • © Fondazione Magnani-Rocca

Giorgio Morandi, Autoportrait
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Giorgio Morandi, Autoportrait, 1925

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Une exception à la règle

Morandi a multiplié les peintures et gravures d’objets usuels, pour la plupart sobrement intitulées Nature morte, ainsi que des paysages d’environnements bien connus. Cet autoportrait, réalisé à trente-cinq ans, est l’une des rares exceptions à cette production extrêmement homogène, sans figure humaine. Au début de sa carrière, Morandi se représente à quelques reprises jusqu’en 1930 ; cette toile de 1925 est, pour son collectionneur Luigi Magnani, « son autoportrait le plus achevé ». Il respecte ses tonalités habituelles et se représente frontalement face à son chevalet, en « artisan modeste, simplement vêtu, surpris dans son labeur, agacé même, pourrait-on dire, d’avoir été distrait de son travail ».

Huile sur toile • 61 x 47,5 cm • Fondazione Magnani-Rocca • © Fondazione Magnani-Rocca

Giorgio Morandi, Grande nature morte à la cafetière
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Giorgio Morandi, Grande nature morte à la cafetière, 1933

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Un graveur exceptionnel

Au début des années 30, Morandi délaisse quelque peu la peinture pour se concentrer sur la gravure, qu’il pratique avec virtuosité. Les sujets ne changent pas, il s’agit toujours de natures mortes et de paysages, mais ils se frottent à des myriades de fins traits noirs, qui leur apportent cet effet vibratoire si caractéristique de la facture de Morandi. L’an 1933, écrit la co-commissaire Alice Ensabella, aboutit à « la production de neuf planches et d’aucune peinture », dont cette Grande nature morte à la cafetière qui montre son talent de compositeur d’images. Au fur et à mesure qu’on les observe, les objets choisis deviennent presque abstraits, tant le mouvement qui anime leur dessin prime sur leur fonction…

Eau-forte sur cuivre • 30 x 39,3 cm • Fondazione Magnani-Rocca • © Fondazione Magnani-Rocca

Giorgio Morandi, Cour de la rue Fondazza
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Giorgio Morandi, Cour de la rue Fondazza, 1954

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Cézanne en héritage

Pour peindre cette vue de la cour de la rue Fondazza (1954), Morandi n’est pas allé bien loin : il a simplement ouvert la fenêtre de sa chambre-atelier. Coupé en deux par un grand mur beige, le paysage s’ouvre sur quelques arbres et de petits immeubles. « Abstraction faite des arbres, les bâtiments sont appréhendés comme des volumes indépendants, selon une technique qui rappelle les recherches spatiales et formelles de Cézanne. » Alice Ensabella souligne ici que, quoi que Morandi peigne, il ne fait jamais que poursuivre sa quête formelle, qui isole chaque objet de sa réalité pour en faire un sujet peint.

Huile sur toile • 48 x 53 cm • Fondazione Magnani-Rocca • © Fondazione Magnani-Rocca

Luigi Ghirri, Atelier de Giorgio Morandi
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Luigi Ghirri, Atelier de Giorgio Morandi, 1989-1990

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Luigi Ghirri dans l’atelier du peintre

Aujourd’hui, la maison de l’artiste, installée au 36 de la rue Fondazza à Bologne, se visite – souvent à la suite d’un passage au musée Morandi. Le petit lit monacal, les quelques meubles et la table couverte de vases, de boîtes et de bols se découvrent intacts… Comme sur cette photographie de Luigi Ghirri (1943–1992), qui s’y rendit à la fin des années 80 et au début des années 90 pour immortaliser l’arrangement de ses objets. Avec un outil différent mais une même attention aux couleurs et à la lumière, Luigi Ghirri rend avec fidélité l’univers de Morandi et s’accorde à sa palette.

Archives Luigi Ghirri • © Luigi Ghirri

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Retrouvez le portrait de Giorgio Morandi dans le dernier numéro de Beaux Arts Magazine :

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Giorgio Morandi. La collection Magnani-Rocca

Du 19 mai 2021 au 4 juillet 2021

www.museedegrenoble.fr

Retrouvez dans l’Encyclo : Giorgio Morandi

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