Gwerful Mechain, une barde féministe du XVe siècle

Avez-vous déjà entendu parler de Gwerful Mechain, une barde galloise du XVe siècle qui défend des thèmes féministes dans sa poésie ? Aujourd’hui, nous vous proposons la traduction d’un article de Rea Seren Phillips, doctorante qui fait sa thèse sur la poésie galloise. L’article original (en anglais) est à retrouver ici, et nous remercions l’autrice de nous avoir autorisé à le traduire sur notre blog.

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Vous connaissez peut-être le nom du barde médiéval gallois Dafydd ap Gilwyn, auteur d’un célèbre poème « Cywydd y Gal », c’est-à-dire… Eloge du Pénis. Mais on sait moins que la poétesse Gwerful Mechain écrivit une réponse à ce texte, près d’un siècle plus tard. Cywydd y Cerdor est en effet un éloge du vagin, un poème qui le loue et qui critique les hommes qui l’ignorent au profit des autres parties du corps féminin : « joli buisson, tu es béni par Dieu ». C’est l’un des vers les plus célèbres de cette autrice et il résume les thèmes et les valeurs que porte sa poésie.

Gwerful Mechain (c. 1460-c. 1502) parle de la sexualité féminine et de questions domestiques à une époque où les droits des femmes étaient à peu près inexistants. Sa poésie a été traduite en anglais moderne par des universitaires comme Katie Gramich, dans son anthologie de 2018.

On pourrait penser que l’oeuvre de Mechain est isolée, peu reconnue par ses contemporains, voire qu’elle-même a dû être considérée comme une marginale. Mais au contraire, ses échanges poétiques avec des bardes populaires comme Dafydd Llwyd et Llywelyn ap Gutyn suggèrent que Mechain était elle aussi populaire et que sa poésie était très bien considérée par ses homologues masculins.

Féministe médiévale

Mechain était une poétesse dotée d’un fort sens de la justice et de la moralité. Pour de nombreux poètes de l’époque, de tels sentiments étaient réservés à la dévotion religieuse, mais pas pour Mechain. Au contraire, celle-ci se nourrissait des enseignements religieux pour représenter les domestiques, en écrivant une poésie centrée sur des actes domestiques ou corporels qui sont décrits presque comme s’ils étaient des rituels sacrés

Lancelot en Prose, BL, Add 10294/1, fol. 1dr

A sa femme de chambre pendant qu’elle chie
Elle s’accroupit et laisse couler son eau, cascadant
depuis le chaudron de son pantalon, alors qu’elle oscille ;
ses trous jumeaux émettent une immense clameur,
Puis vient la bouse et un arc-en-ciel d’eau qui scintille.

La façon dont elle utilise les mots aurait été attendue dans une poésie religieuse célébrant le Christ, pas dans un poème parlant d’un acte que la société médiévale considérait comme peu digne d’éloges.

Son sens de la justice s’étend au-delà des seuls domestiques. Son poème « A son mari, pour l’avoir battue » est une critique cinglante des violences domestiques.

A son mari, pour l’avoir battue,
Un poignard dans ton cœur de pierre – en biais, pour atteindre ton sternum ;
Puissent tes genoux se briser, tes mains se ratatiner,
Et ta propre épée plonger dans tes tripes pour te faire pleurnicher.

Ce thème se retrouve dans sa réponse à un poème écrit par Ieuan Dyfi, « Red Annie », qui se plaint de la fourberie des femmes à travers l’histoire. Mechain au contraire utilise une langue imagée, pleine de jeux de mots, pour rappeler que le plus souvent les femmes ont été victimes de l’oppression des hommes, alors qu’elles sont plus honorables et plus vertueuses que les hommes. Tiborea, la mère du traître Juda,Était une femme aimante, ne la haïssait pas.

Personne n’était à l’abri de ses vers acérés. Dans son poème satirique, « Aux femmes jalouses », elle s’en prend par exemple à

Roman de la Rose, BNF ms FR 25526 fol. CLXr

Ces maudites femmes, si respectables,
Qui refusent d’abandonner leurs bites délectables.

Dans ce poème, elle réprimande les femmes mariées qui veulent garder leurs hommes pour elles. Son choix de mots réduit les hommes à leurs parties génitales. Elle présente le sexe des hommes comme une personne à part entière, qui occupe une position importante dans la maisonnée… et dans le cœur des femmes. Ce poème est ainsi un exemple de son style humoristique et satirique.

Une plume digne d’un Nobel

Ses vers, à la fois satiriques et religieux, indignés et comiques, font de la poésie de Mechain une poésie ouvertement féministe, dotée d’une qualité intemporelle. Pour comprendre comment Mechain a pu exprimer une voix féminine si forte dans une société patriarcale, il faut prendre en compte son statut social. Elle est la fille de Hywel Fychan (également connue sous la forme anglicisée Vaughan), qui faisait partie de la famille aristocratique de Llwydiarth. Cette appartenance à la noblesse a pu lui donner la confiance lui permettant de parler avec liberté et autorité.

Sa poésie a intéressé les auteurs et les universitaires modernes non seulement parce qu’elle est une femme barde – la seule dont on ait conservé une part substantielle de l’oeuvre – mais aussi parce que cette oeuvre n’a pas été moins bien reçue que celle de ses contemporains masculins, dont le contenu était en de nombreux points similaires.

Comme le note Katie Gramich dans son introduction de The Works of Mechain, elle est « confiante dans son talent et dans ses opinions ». Et c’est en cela que son œuvre reste aussi puissante aujourd’hui qu’elle l’était au XVe siècle.

Retrouvez l’article de Rea Seren Phillips à cette adresse !

Traduction par Florian Besson.

Une réflexion sur “Gwerful Mechain, une barde féministe du XVe siècle

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